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Les ceintures en classe coopérative

Dans plusieurs classes uniques d’une école en ZEP d’un quartier populaire de la ville de Montpellier, les enfants, de 5 à 12 ans, proviennent en grande majorité de familles maghrébines. L’équipe des maîtres s’appuie sur les pédagogies Freinet et institutionnelle. Les méthodes d’évaluation aussi n’y sont pas traditionnelles…

Une des premières caractéristiques du dispositif d’évaluation de la classe est l’absence de notes. À notre sens, elles visent à créer un climat relationnel plus coloré de compétition que de coopération, elles ne produisent qu’une vision très globale des domaines de maîtrise de l’élève, nécessitent un temps conséquent dans l’activité de l’enseignant et ne permettent que très difficilement d’envisager directement des stratégies de remédiations aux obstacles rencontrés.

Des judokas coopératifs

Dans un contexte plus large que celui de l’évaluation, nous sommes plusieurs classes sur l’école à nous référer à la « démarche PIDAPI », ensemble d’outils et de dispositifs qui permettent aux enfants d’évoluer de manière coopérative et personnalisée dans la maîtrise de la langue et les mathématiques. Ils sont ainsi conduits à se référer à une des techniques développées par Fernand Oury, les ceintures1

Praticien du judo, il avait observé la capacité des judokas à coopérer malgré les écarts de niveaux existant dans le groupe. Il envisagea alors le transfert de ce qui fonctionnait dans cette pratique sportive aux préoccupations pédagogiques. Une ceinture est donc la représentation symbolique d’un niveau de maîtrise correspondant à un ensemble de compétences identifiées. Elles se déclinent en plusieurs couleurs : rose, blanc, jaune, orange, vert, bleu, marron, noir. Lorsqu’un enfant est ceinture verte dans un domaine précis, il s’entraîne aux items de la ceinture bleue et demande à en passer les épreuves une fois cet entraînement achevé.

Dans une grille de ceintures, surtout pour celles qui correspondent à des tâches complexes (lecture, résolution de problèmes, oral…), les items proposés ne désignent pas des compétences mais plutôt ce que l’on pourrait appeler des « indicateurs ». Lorsqu’un enfant obtient une ceinture, son niveau de maîtrise dépasse largement la seule compilation des actions données. Leur manifestation montre toutefois qu’un seuil est franchi et que la zone de développement est plus large que précédemment.

Les intentions éducatives des ceintures à l’école sont multiples.

  • Tout d’abord les ceintures tendent à ce que chaque enfant, dans un groupe, puisse être pris en considération quels que soient ses connaissances, ses compétences et son profil d’apprentissage.
  • Il s’agit ensuite de permettre aux enfants d’entrer dans des activités qui correspondent à ce qu’ils sont en mesure d’entreprendre, qui se trouvent dans ce que Vygotsky nomme la zone de proche développement. Lorsqu’un enfant s’entraîne pour l’obtention d’une ceinture, il tente la maîtrise de compétences ni trop aisées, ni trop complexes au regard de son niveau actuel.
  • Il s’agit également de permettre aux enfants de disposer d’un support conséquent aux apprentissages coopératifs. Dans une classe hétérogène, l’enseignant ne peut plus être le seul recours. Les pairs deviennent des relais éventuels et des sources d’aides possibles. Dans les faits, lorsqu’un enfant « jaune en lecture » ne parvient plus à résoudre un problème posé pour l’obtention de la ceinture orange, il peut aller trouver un enfant ayant déjà réussi cette ceinture et lui demander de l’aide.
  • Enfin, les ceintures ont pour objectif l’évaluation.
    • Elle est diagnostique lorsqu’en début d’année l’enseignant évalue les compétences maîtrisées par les élèves.
    • Elle est formative : lorsqu’un enfant n’obtient pas une ceinture, ses domaines de maîtrise sont identifiés et considérés tout comme ses insuffisances sont retenues pour faire l’objet d’une remédiation.
    • Elle est sommative parce qu’une ceinture ne peut pas être retirée et ce qui est réussi en début d’année n’est pas remis en question ultérieurement. Un enfant qui possède une ceinture voit son domaine de préoccupations changé et son statut dans la classe modifié puisqu’il devient expert pour les compétences de la ceinture qu’il vient d’obtenir.
Des experts pour s’entraider

De manière concrète, un tableau « Je grandis » est affiché dans la classe. Il regroupe l’ensemble des ceintures obtenues par les enfants. Chacun dispose de toutes les grilles de ceintures sur lesquelles se trouvent les compétences correspondant à chaque couleur et la possibilité pour l’enseignant de signifier la réussite d’une ceinture et la maîtrise des diverses compétences lors des phases d’entraînement. Pendant les moments collectifs, la priorité de parole est toujours donnée aux « plus petits », c’est-à-dire les enfants qui ont les ceintures les plus claires (rose, blanc puis jaune). Pour que des enfants reconnus comme experts puissent être en mesure d’apporter une aide efficace, ceux-ci doivent pouvoir respecter un certain nombre de règles métacognitives : « Pour aider, on ne donne pas la solution, on ne se moque pas, on encourage et on fournit plein d’idées et d’exemples. » Ces acquisitions font nécessairement l’objet d’un travail spécifique conduit par l’enseignant en début d’année scolaire.

Il n’y a pas que les ceintures qui comptent

Or, la complexité des savoirs ne peut nullement être appréhendée par l’intermédiaire d’un découpage didactique en compétences élémentaires. Pour cette raison centrale, toutes les activités d’apprentissage de la classe ne peuvent et ne doivent pas être en lien continu avec ce support d’évaluation que représentent ces grilles de ceintures. Ainsi, d’autres activités pédagogiques sont à disposition des élèves afin qu’ils puissent être confrontés à des situations adidactiques les incitant à effectuer toutes sortes de transferts de connaissances. C’est notamment le cas lorsqu’ils sont amenés à proposer des créations mathématiques2, à entrer dans la poésie, à écrire des textes libres, des lettres aux correspondants ou tous autres écrits finalisés. Afin que ces productions puissent faire l’objet d’une communication plus large que la seule relation pédagogique, elles demandent à passer par le filtre de nouveaux outils d’évaluation dont la visée est autant celle de mesurer les évolutions que de les permettre.

Ainsi pour l’écrit apporté par un enfant, nous employons ce guide de correction :

SymbolesSignificationCorrections conseillées
?Je ne comprends pasRéécris le passage en t’appliquant
AErreur d’accordPense aux « s » ou aux « e »
CErreur de conjugaisonUtilise un tableau de conjugaison
MErreur de majusculeEnlève ou ajoute une majuscule
MDMal ditExplique autrement
[é]Erreur d’écriture du son [é]Utilise la règle des trois [é]
OErreur d’orthographeUtilise un dictionnaire ou les mots personnels
PErreur de ponctuationPense aux «.»- «,»- « ? » — « ! »
RRépétitionTrouve des synonymes ou utilise un pronom
XIl manque un mot ou un morceau de motCorrige la phrase ou le mot

 

L’évaluation portée par l’enseignant est plus indicative que normative et la récurrence des annotations conduit l’élève à s’engager dans un travail de fond autour des erreurs rencontrées.

Le produit de ces évaluations peut être utilisé comme indicateurs dans les ceintures qui correspondent à des domaines complexes (la ceinture d’écrivain par exemple).

 

Ceintures d’écrivain
RoseFaire une dictée à un adulte

Faire un dessin qui parle de quelque chose

BlancheDicter à un adulte une phrase qui veut dire quelque chose

Raconter une histoire à partir d’un dessin

Faire un dessin qui parle d’une histoire ou d’un film

JauneDicter à un adulte une histoire avec un début et une fin

Écrire seul une phrase qui veut dire quelque chose

Donner des idées dans un texte fait par la classe

Écrire une phrase qui parle d’une image (dessin ou photo)

Trouver un titre d’un texte ou d’une image

OrangeÉcrire un texte de 5 lignes qui veut dire quelque chose

Utiliser plusieurs phrases pour écrire un texte

Améliorer un texte écrit avec l’aide d’un adulte

Enlever certaines répétitions

Utiliser le passé, le présent et le futur quand il le faut

 

Pour celles-ci, lorsqu’un enfant estime avoir grandi ou s’être suffisamment entraîné, il n’est pas conduit à passer de nouvelles épreuves (à la différence d’une ceinture telle que celle de calcul).

 

Ceintures de calcul
BlancheConnaître les sens de l’addition

Additionner deux nombres à deux chiffres (sans retenue)

Résoudre des problèmes sur les pirates

Additionner de tête deux nombres (∑< 20)

JauneAdditionner deux nombres à deux chiffres (avec retenue)

Connaître les sens de la soustraction

Soustraire deux nombres sans retenue

Additionner de tête deux nombres (∑< 100) sans retenue

Résoudre des problèmes sur l’espace

OrangeConnaître les sens de la multiplication

Multiplier par un nombre à un chiffre

Résoudre des problèmes sur les Indiens

Soustraire de tête sans retenue

Connaître les tables de multiplication de 2, 5 et 10

Il fait la proposition de changer de ceinture lors d’un conseil de coopérative et, au regard des critères proposés, l’enseignant valide l’obtention ou indique la nature des engagements à produire.

Tout cela ne veut pas dire que ces ceintures sont au centre de toute l’activité de l’enfant. De nombreux temps scolaires n’en dépendent nullement. C’est généralement le cas pour toutes les actions de communication telles que les articles pour le journal, les défis maths, les écrits aux correspondants dont les visées premières sont essentiellement celles de se rencontrer, de se faire comprendre et d’entretenir un partage débouchant sur un enrichissement mutuel.

Les parents et les ceintures

Il est évident que certains parents d’élèves sont dérangés par une telle perte de repères, surtout en début d’année. Beaucoup se demandent comment ils vont pouvoir suivre le travail de leur enfant. Plutôt que d’organiser de longues réunions et d’y employer tout le jargon docimologique que peu maîtrisent, nous avons préféré inviter ceux qui en font la demande à observer dans les classes comment se traduisent les réussites et comment les difficultés sont identifiées. Par l’intermédiaire de leur enfant, les parents découvrent la grille des couleurs.

De plus, à la fin de chaque semaine, le bilan du « plan de travail » (le document qui définit la personnalisation des activités), et avant chaque vacance, le « bilan de période », sont adressés aux familles afin qu’elles puissent en prendre connaissance et donner leur avis de parent.

Et une fois au collège ?….

Lorsque les enfants entrent au collège, ils y rencontrent une autre façon d’être évalués… De manière empirique, nous avons pu observer très peu de difficultés dans ce changement. D’abord parce que de nombreux anciens élèves reviennent dans les classes pour témoigner de ce qui « change » et sont amenés à expliquer le système des contrôles, des notes et des moyennes.

Ensuite parce qu’en fin de CM2, nous proposons aux enfants quelques devoirs notés de manière à ce qu’ils puissent disposer d’une petite expérience en la matière.

Enfin et surtout parce qu’ils passent du contexte profondément complexe qu’est la classe coopérative à un autre plus élémentaire, guidé par une corrélation quasi mécanique entre un comportement demandé et une production quantifiée. Généralement, les enfants qui quittent l’école élémentaire en étant « bleus » dans la plupart des ceintures deviennent de bons, voire de très bons élèves au collège. Les autres enfants sont le plus souvent confrontés à des difficultés particulières et nous n’arrivons pas plus que d’autres à les leur faire dépasser. Il nous semble toutefois que l’absence de notes a plutôt contribué à entretenir chez eux une capacité à croire en leurs chances de réussir et à ne pas entrer dans ce que Martin Seligman appelait « l’impuissance apprise »3.

Nous pourrions présenter d’autres outils d’évaluation employés dans nos classes coopératives pour montrer combien il importe de les multiplier afin de permettre aux enfants une entrée dans les savoirs colorée de complexité. Car pour nous, l’essentiel réside bien derrière cette idée : l’évaluation n’a de sens qu’au-delà d’elle-même et ne saurait borner les pratiques d’enseignement. L’école n’est pas une institution de sélection et l’engagement éducatif se caractérise en premier lieu par la nature des évolutions effectuées par les enfants.

(Cahiers pédagogiques n° 438, « L’évaluation des élèves », décembre 2005)

Sylvain Connac
Professeur des écoles à Clapiers (34).

signature

Les ceintures de compétences en orthographe en 3eUne grille progressive conçue par Jérôme Dewasch, professeur de lettres classiques.

Orthographe grammaticale

BLANCHE : J’écris une vingtaine de lignes lisibles, ponctuées, dont les mots sont reconnaissables (pas d’erreur phonique).

JAUNE : J’accorde correctement (en genre et nombre) les éléments du groupe nominal (déterminant + nom + adjectif proche).

ORANGE : J’accorde correctement les verbes proches du sujet.

VIOLETTE : Je ne commets pas de confusion graphique entre participe passé, imparfait et infinitif (pour les verbes du 1er groupe).

VERTE : Les participes passés sont correctement accordés (cas simples).

BLEUE : J’accorde correctement les verbes éloignés du sujet.

POURPRE : Je repère bien les chaînes d’accord et mets les marques d’accord éloignées : participes apposés, adjectif séparé du nom par plusieurs mots…

MARRON : Les homophones courants sont écrits sans erreur : c’est/ces/ses — ma/m’a — est/et…

NOIRE : J’accorde correctement les participes passés : cas difficiles (accord avec COD placé avant, verbes pronominaux…)

Orthographe d’usage

JAUNE : Les mots courants sont correctement orthographiés, en particulier à la finale.

VERTE : Les accents sont correctement employés.

BLEUE : Les consonnes doubles sont bien marquées.

ROUGE : Les lettres étymologiques (ph, th, y…) sont correctement marquées.

 

Notes
  1. IAu sujet des ceintures : Aida Vasquez et Fernand Oury, Vers une pédagogie institutionnelle ?, Matrice, Vigneux, 1967 ; De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle, Maspero, 1971. René Laffitte, Mémento de la pédagogie institutionnelle, Matrice, Paris, 1999.
  2. Paul Le Bohec, Le texte libre mathématique, Éditions Odilon, collection P4, Nailly, 1997
  3. L’individu, persuadé qu’il n’a aucun moyen d’agir sur la situation, refuse d’émettre quelque comportement que ce soit. (N. Dubois, La psychologie du contrôle, les croyances internes et externes, Presses Universitaires de Grenoble, 1987, p. 20)..