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L’émergence du métier d’orthopédagogue

Angélique ProstC’est en accompagnant des élèves en difficulté d’apprentissage qu’Angélique Prost a découvert le métier d’orthopédagogue. Elle nous raconte comment elle a conçu et partagé une version française d’une profession développée au Canada.

Elle recherchait un boulot d’appoint pour compléter les cachets qu’elle recevait de ses spectacles, et la voici recrutée comme EVS (emploi vie scolaire) dans une petite école primaire à Tarare. Elle avait 21 ans, elle souhaitait conforter son parcours de musicienne professionnelle. Elle ne se doutait pas alors que sa voie serait autre et fraierait avec l’éducation.

Son arrivée concorde avec la loi du 11 février 2005 qui instaure un droit à la scolarisation ordinaire pour les enfants en situation de handicap. Son principal rôle est d’aider un petit garçon dans son quotidien scolaire. « L’enseignante spécialisée en poste dans l’école m’a prise sous son aile. Je me suis prise de passion pour l’accompagnement. » La directrice et l’équipe pédagogique l’encouragent à reprendre des études : « Elles me disaient que j’étais faite pour la pédagogie, que j’avais de bons instincts. »

Elle s’inscrit en sciences de l’éducation, entreprend une double spécialisation en sciences du langage et sciences cognitives, dans l’idée de devenir orthophoniste. Elle tente trois fois le concours pour accéder à ce métier, sans succès. Toujours avec les encouragements de ses collègues, elle interroge cet échec. « Je me rends compte que ce que j’aime c’est l’accompagnement individuel à l’école quand les enfants n’y arrivent pas et effectivement cela ne correspond pas au travail d’orthophoniste ». Alors, elle cherche, le nom du métier qui correspond à ce qu’elle souhaite faire.

Une formation cousue main

Elle le trouve sur un site canadien, c’est orthopédagogue. Il n’y a pas encore d’équivalent en France. Par analogie, elle se construit un parcours de formation pour acquérir les compétences en orthopédagogie tout en continuant à travailler vingt heures par semaine en tant qu’EVS jusqu’à la fin de son M1. Elle commence par une option handicap en licence sciences de l’éducation, poursuit avec un master en sciences cognitives.

Elle rencontre Nicole Bouin, professeure de lycée professionnel, formatrice d’enseignants et autrice spécialisée dans l’application des sciences cognitives à l’éducation, qui lui parle de la gestion mentale et l’incite à se former. Son mémoire de Master 1 porte sur « la comparaison de l’orthopédagogue et du maitre E ».

Elle continue en effectuant une recherche-action autour de la remédiation cognitive couplée à de la gestion mentale, tout en validant un Master 2 sciences cognitives. Ce sont les prémices de l’orthopédagogie. Elle se forme aussi en cartes mentales et devient formatrice dans ce domaine à son tour. Mais elle doute encore de sa légitimité et préfère à ses débuts dans son nouveau métier se dire « intervenante en orthopédagogie ».

Elle fait la connaissance d’autres orthopédagogues et à plusieurs ils fondent l’Union des orthopédagogues de France, qui leur permet d’échanger, de réfléchir ensemble et de conquérir collectivement une légitimité.

Un pied dans la formation

Elle constate une forte demande de formation. Pour y répondre, elle crée avec Christine Louvier l’École française d’orthopédagogie à Lyon. « Nous accueillons quarante-cinq stagiaires par an pour un cursus de deux ans. Beaucoup sont en reconversion. » Elle garde un pied sur le terrain pour rester au plus près de la réalité et continuer ce qui la motive depuis vingt ans, « accompagner des élèves pour qui, malgré le travail de qualité des enseignants, le scolaire ne passe pas ».

Elle précise que l’accompagnement proposé est pédagogique et ne se substitue pas à des professionnels de la rééducation. « On préfère le terme de remédiation, car on est sur le scolaire. » L’intervention peut se faire à la demande d’une équipe pédagogique ou de parents.

La première étape est de transformer une plainte « je ne comprends pas, je n’y arrive pas » en une demande, par exemple « je voudrais être capable de faire mes devoirs tout seul ». La demande devient un objectif qui sera atteint par des entrainements, des aménagements avec une séance hebdomadaire par an au maximum. Elle peut porter sur des difficultés d’attention, de concentration, de mémorisation.

Cerner les difficultés

« On évalue les points forts et les points faibles dans une tâche scolaire qui pose problème. Est-ce que l’élève a les outils ? Comment faire pour qu’il se connecte, se mobilise dans ses façons d’apprendre ? » L’évaluation est utile pour que le jeune cerne, qualifie ses difficultés et envisage les stratégies pour y remédier. Elle cite comme exemple un jeune reçu le matin-même pour des problèmes de compréhension des consignes. « On a travaillé pendant une heure sur le développement construit en utilisant un jeu pour décortiquer une question posée. On notait chaque étape au tableau et le développement en face. »

Les orthopédagogues font également du rattrapage scolaire lorsque les difficultés ne sont pas liées à un trouble dys diagnostiqué. Elle a suivi une élève de CM1 avec des difficultés en calcul pour qui le diagnostic de l’orthophoniste n’avait pas révélé de dyscalculie. Le problème venait simplement d’une notion non acquise lors de la période de confinement et de continuité éducative. « On a reconstruit la base de 10. L’enseignante n’a pas le temps de faire ça et on est allé plus vite en individuel. Aujourd’hui, l’élève est en 6e avec 15 de moyenne en maths. »

Un maillon complémentaire

Le métier peut être perçu de cette façon, comme un maillon qui vient remplir un vide lorsqu’il n’y a ni diagnostic de trouble, ni enseignant spécialisé, comme c’est le cas dans le secondaire. Il s’installe aussi en complément, en lien avec les métiers de la rééducation. « On travaille en lien. Par exemple avec les orthophonistes sur la compréhension de lecture. L’orthophoniste va travailler la fluence, moi les macroprocessus, comment le jeune pense sa lecture. »

L’orthopédagogie se place en réponse ciblée à des besoins non comblés, en appui à la fois aux équipes enseignantes et aux rééducateurs. L’école codirigée par Angélique Prost a déjà formé 130 personnes qui exercent dans toute la France. D’autres pays se sont intéressés avant la France à l’orthopédagogie, parmi lesquels le Canada, le Liban et les Pays-Bas. « Peut-être avec d’autres couleurs mais autour de la même idée : que l’élève se connecte à ses besoins, à ses défis et qu’on l’accompagne pour qu’il se sente bien dans ses apprentissages ».

La profession d’orthopédagogue n’est pas encore réglementée mais la reconnaissance prend ancrage. En octobre, l’Union des orthopédagogues de France organise un colloque en partenariat avec Lyon 3 et au sein de l’université. Un grand premier pas symbolique pour une profession qui se déploie afin de renforcer l’accessibilité de l’école.

Monique Royer

Pour en savoir plus

Le site de l’Union des orthopédagogues de France

Le site de l’école française d’orthopédagogie


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