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L’effervescence de la base

Pendant que le système éducatif est en crise, l’école palpite toujours, forte des réseaux et des coopérations qui se créent et se multiplient à l’initiative des enseignants. Julien Crémoux, directeur et professeur des écoles en cycle 3 à Nuits-Saint-Georges (en Côte-d’Or), fait partie de ceux qui vivent leur métier sur un mode collectif pour adapter sans cesse leurs pratiques pédagogiques.

Dès le départ, il avait en tête les idées pédagogiques de Célestin Freinet et de Fernand Oury sans réussir à les mettre en œuvre. C’est une conférence de Sylvain Connac sur la pédagogie coopérative qui agit comme un déclic pour se lancer dans la classe coopérative. Il apprend en collectant des ressources pédagogiques sur des blogs et sur les réseaux sociaux. En 2015, il associe le principe avec une pédagogie inversée pour les maths et le français. Son ERUN (enseignant référent pour le numérique) lui conseille de rejoindre un groupe Twitter sur les ceintures de compétences et c’est le début de nombreux échanges et mutualisations, au-delà du blog qu’il avait déjà créé pour partager ses propres ressources. « Maintenant je fais partie des groupes qui aident les nouveaux. »

Dans la classe.

En 2016, il lancera l’idée de travailler sur l’Oulipo, à l’instar de ce que faisaient déjà ses élèves mais avec comme dimension supplémentaire la publication pour des lecteurs à l’extérieur de la classe. « Trois collègues ont accepté, maintenant nous en sommes à la septième saison. » Pendant quatre semaines, en janvier et en février, une contrainte d’écriture oulipienne est publiée auprès des classes participantes, du CP au collège. « C’est une occasion de travailler la grammaire de façon utile pour pouvoir produire et enrichir son texte. » Désormais, près de 10 000 élèves appartenant à 400 classes différentes découvrent en même temps la consigne et la mettent en œuvre.

Twittclasses et Twoulipo

La semaine suivante, chaque classe ou groupe de classes vote pour trois phrases et les publie sur Twitter, dans le cadre de twittclasses, ou les communique par mail. Avant ou après les vacances, des textes plus longs peuvent être produits sous forme de chefs-d’œuvre, en respectant la règle du cadavre exquis ou des exercices de style de Raymond Queneau, par exemple.

Le projet Twoulipo s’impose comme un rituel revenant chaque année à la même période et s’intégrant dans la progression pédagogique des enseignants. Le rôle de Julien Crémoux et de ses trente collègues organisateurs est de préparer les contraintes et d’accompagner les nouveaux professeurs participants dans la découverte du dispositif. L’accompagnement débute en automne à partir d’une proposition à essayer, à observer le même type de consignes que devront appliquer les élèves. Les consignes sont choisies par vote. « On fait entrer les enseignants dans le dispositif en se mettant à la place des élèves pour leur faire comprendre les enjeux, les questionnements ». Des ressources sont également proposées. Toute cette phase se déroule avec le support des twittconseils.

Le fait d’échanger avec d’autres enseignants via Twitter ou d’autres supports, favorise l’émergence de projets coopératifs. Ainsi est née l’utilisation de Minetest, la version gratuite de Minecraft, pour construire la ville du futur de façon réaliste « dans un monde virtuel de type bac à sable », à l’initiative de Sandrine Descombes. « J’ai travaillé avec deux collègues de Saône-et-Loire et l’appui de la Cardie (cellule académique recherche, développement, innovation, expérimentation) de Dijon. On a choisi une démarche de type Savanturiers en travaillant avec des chercheurs et des géographes. » L’initiative permet la découverte de l’application et de ses potentialités et, surtout, un premier pas dans la démarche par projet annuel et un renforcement du travail coopératif entre enseignants.

Cette première étape en appelle d’autres et donne naissance à MineStory à l’occasion d’une demande locale, celle du musée avec qui l’école est en partenariat. L’idée est de faire participer la classe à La Nuit des musées pour faire de la médiation. La réalisation ira plus loin.

médiateurs culturels

À la sortie de la ville, se trouvent les ruines d’un temple gallo-romain qu’ont visitées au moins une fois les écoliers pendant leur scolarité. Elles seront reconstruites virtuellement pour donner un aperçu de la réalité de l’architecture, de sa dimension et de ses fonctionnalités. Le musée dit oui et le réseau Canopé apporte son appui. « C’est différent de la construction d’une maquette. Là, on voit le bâtiment en taille réelle. Et on a la possibilité de mobiliser plusieurs disciplines. »

Julien Crémoux propose à des collègues de s’associer au projet en travaillant à partir de bâtiments historiques locaux. Neuf répondent favorablement la première année. La citadelle de Besançon, le château du Louvre sont notamment reconstruits et placés sur une frise immersive hébergée par le site académique. La médiation porte sur le récit, la contextualisation historique. « On travaille l’enseignement artistique et culturel, l’histoire des arts, le français, les mathématiques, l’histoire du site et la découverte du jeu Minetest. » Les élèves se font médiateurs en concevant un documentaire. Les visiteurs se déplacent comme dans un musée. « Ils ne sont pas seulement spectateurs, il y a une explication. »

Le Louvre, Des phares bretons et des buildings

Depuis le démarrage en 2018, d’autres classes francophones ont rejoint le projet et des collaborations se développent pour enrichir la frise historique : le château du Louvre, la citadelle de Besançon, des phares bretons, les halles et le donjon de Niort, les Hospices de Beaune, Notre-Dame de Paris ou des buildings à Chicago, entre autres. L’an dernier, cinq classes ont travaillé sur le château de Versailles et Trianon. Ce caractère collaboratif est une des richesses de l’initiative, y compris entre les enseignants. « Je me suis rendu compte en travaillant avec les collègues de l’intérêt du travail coopératif. On trouve des solutions ensemble, on s’inspire tout au long de l’année. »

Hors période covid, l’année se termine par un congrès où les élèves présentent leur projet à la manière de scientifiques et proposent des jeux pour découvrir le bâtiment qu’ils ont créé. La veille, les classes visitent une architecture reconstruite virtuellement pour « voir concrètement ce sur quoi les élèves ont travaillé ». Durant l’année scolaire dernière, la visite du château de Versailles était au programme, et le congrès s’est déroulé à Trappes. « On organise comme on peut. La direction du numérique nous aide sur la gestion technique avec un serveur de jeux fonctionnant en toute sécurité. Mais nous recevons une aide limitée pour tout le reste. Sur la pédagogie et la technique, on s’autoforme ou on se forme en échangeant entre collègues. »

Le projet commence en début d’année avec un entrainement en bâtissant virtuellement l’école. Viennent ensuite les recherches à base d’enquête sur le bâtiment historique choisi, puis la construction, assortie d’une fiche de présentation. Le travail se fait en ligne sur une plateforme partagée et les élèves peuvent voir ce que font les autres classes, échanger, se questionner, apprendre les uns des autres, collaborer. « Les élèves travaillent pour eux et pour les autres, à la fois dans le réel et le virtuel. Quand nous avons travaillé sur les Hospices de Beaune, ils ont guidé les parents dans les lieux avant de présenter leur réalisation virtuelle. »

Le projet est un fil rouge pédagogique pour toute l’année. Les connaissances glanées au fil des mois prennent sens dans la réalisation, sont valorisées dans la construction. Les documentaires créés deviennent des ressources pour Vikidia, le wikipedia pour les enfants.

Prise de confiance par le partage

Julien Crémoux constate que la pédagogie de projet a un effet important sur l’implication des élèves et le développement de leurs compétences. « Tous sont actifs et compétents. Les élèves peu intéressés par la forme scolaire sont plus à l’aise là, car ils n’ont pas l’impression d’être dans cette forme. Il y a une prise de confiance par le partage. Tout le monde s’aide naturellement, on se forme les uns les autres. » Il dit « on », car lui aussi apprend sur le jeu et le numérique, là où parfois ses élèves ont une meilleure maitrise que lui. Il arrive souvent que des groupes lui demandent de rester en classe plutôt que de profiter de la récréation. L’accès aux réalisations antérieures accroit encore la motivation en donnant une idée concrète de ce qui sera visible à la fin.

À la fois pour Twoulipo et MineStory, Julien Crémoux souligne le caractère riche et structurant des projets, par l’accroissement des connaissances qu’ils suscitent pour les élèves et les enseignants, grâce notamment à leur aspect collaboratif. Le seul bémol est le temps qu’ils réclament en dehors des heures de classe.

Pour mieux organiser le collectif, une association, liée aux twittclasses, a été créée. « Les participants voient clairement ce qui est proposé, échangent, proposent des dispositifs. Le cadre associatif facilite aussi la reconnaissance pour lever des freins institutionnels, notamment au niveau local. Il permet également de travailler avec des chercheurs sur les compétences en littératie acquises par les élèves. » Il aimerait que les choses soient plus faciles, mieux reconnues et aidées par les différents échelons institutionnels partout sur le territoire.

Il constate la propagation au fil des ans, les partages d’apprentissages entre les enseignants. Ceux qui changent de niveau ou de fonction amènent dans leur nouveau cadre professionnel les projets, la dynamique. Et cette dissémination par la base est une belle réussite. « Beaucoup de collègues, partis de maternelle, viennent en primaire avec leur expérience du principe de coopération, le mettent en œuvre, partagent, et des collègues du secondaire s’y intéressent. On a tous des idées et des connaissances utilisables dans d’autres contextes. » Il rêve de marchés de connaissances développés par l’institution, d’une reconnaissance réelle et facilitatrice. « Il y a une forme d’ouverture que je n’avais pas vue au départ, une forme d’égalité de la maternelle au secondaire avec des échanges entre des gens de niveaux hiérarchiques différents. »

Et si la crise de confiance et de recrutement que connait le système éducatif, trouvait là une piste de solution, dans un lâcher prise institutionnel qui laisserait éclore les initiatives venant de la base ?

Monique Royer

Pour en savoir plus :

Le blog de Julien Crémoux http://supermaitre.eklablog.fr/

Le site de MineStory http://minetest.wp.ac-dijon.fr/minestory-frise-immersive-de-sites-du-patrimoine-architectural/

Site Twoulipo : https://twoulipo.wordpress.com/


Sur notre librairie :

 

N°576 – Former les élèves à la coopération

Coordonné par Sylvain Connac, Cyrille Lascassies et Julie Lefort

Il ne suffit pas que quatre élèves travaillent ensemble pour qu’ils en tirent un bénéfice. Sans précautions spécifiques, la coopération peut même décourager les plus fragiles. Un des leviers pour que la coopération soit profitable à tous est la formation des élèves à la coopération, pour leur expliciter les attendus.