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Le tutorat à l’université

La lutte contre l’échec des nouveaux étudiants à l’université passe par la mise en place de tutorats entre pairs, une pratique qui n’est pas sans soulever quelques questions.

Le Mans université, depuis quelques années, développe du tutorat au sein de différentes UFR (unités de formation et de recherche). Elle recrute une cinquantaine de tuteurs, accompagne environ cinq cents étudiants, ce qui représente plus de six cents heures de tutorat dispensées par semestre. L’objectif est d’accompagner au mieux les étudiants de première année afin de favoriser leur réussite en cycle de licence. Cet accompagnement peut être disciplinaire ou méthodologique.

La revue de littérature définit le tuteur comme le médiateur, le bras droit de l’enseignant, pour autant, il reste étudiant. Cette ambigüité de posture se retrouve dans les discours de ces étudiants : « Je trouve que le rôle est un peu flou, je ne sais pas trop quoi faire, jusqu’où on peut aller jusqu’où on ne peut pas aller… » Il leur est difficile de délimiter leurs champs d’action et la manière dont ils doivent se comporter avec ces nouveaux bacheliers.

Trouver sa place

Cette ambigüité de posture questionne aussi leur légitimité, les tuteurs disent ne pas toujours se sentir « à leur place » dans cette mission, cette tutrice en géographie exprime bien cette idée : « Des fois, j’ai eu une espèce de syndrome de l’imposteur où tu te dis : je suis qui, moi, pour leur donner des cours de tutorat,  je suis personne. »

Ces étudiants mettent en évidence leur difficulté à se positionner en tant que tuteurs et à définir leur rôle. En outre, ils se retrouvent dans une posture d’accompagnement méthodologique mais aussi disciplinaire. Leurs discours montrent que leur activité principale est de proposer et gérer diverses formes d’activités relatives à des contenus disciplinaires comme des rappels connaissances régulièrement appuyées par des documents réalisés par eux. Ces pratiques semblent s’apparenter à celles des enseignants, pour autant, ils ne sont pas des professionnels de l’enseignement. Cette ambigüité questionne : quelle est leur place au sein de l’institution ?

Puisque les tuteurs abordent, réabordent des contenus disciplinaires lors de leur séance de tutorat, nous pourrions supposer que pour mener à bien cette mission que leur confie l’université, ces étudiants sont accompagnés, encadrés par les enseignants. Existe-t-il une collaboration, un travail de groupe pour les aider à devenir tuteurs ?

Leurs témoignages rapportent qu’ils questionnent les enseignants afin de connaitre leurs attentes, ce qu’ils doivent faire (ou faire faire) en séances, mais aussi sur les sujets qu’ils doivent aborder avec les étudiants accompagnés. Les tuteurs demandent aussi aux enseignants des supports disciplinaires comme des exercices. Néanmoins il apparait que les échanges entre ces deux acteurs sont difficiles, comme l’exprime ce tuteur en sciences de la vie : « Les inconvénients, je dirais, c’est qu’on n’est pas accompagné par les professeurs. »

Interactions

Nous avons interrogé les enseignants afin de savoir comment ils percevaient les tuteurs et quelles étaient leurs attentes. Cette enseignante en physique reconnait avoir peu d’interaction avec eux : « Et ça, c’est une chose qu’on n’a peut-être pas faite, c’est de plus intégrer les tuteurs dans les équipes pédagogiques. »

Les tuteurs, souvent d’une même filière, discutent entre eux afin de mener au mieux leurs séances de tutorat. Dans un premier temps, ces échanges ont pour objectif de se rassurer mutuellement : savoir combien d’étudiants ils ont en séance, ce qu’ils font et leur manière de mener une heure de tutorat.

Dans un second temps, les récits des tuteurs mettent en évidence la nécessité de cette collaboration afin de créer une continuité pédagogique entre les différents groupes de tutorat, comme l’explique cette tutrice en espagnol : « Bah, on essayait d’avoir des séances similaires à chaque fois, donc on discutait pour essayer de se coordonner sur chaque séance. C’est pratique. C’est vrai qu’il y a un groupe qui est pénalisé par rapport à d’autres qui ont vu d’autres choses. »

Entraide entre pairs

Enfin, nous notons que cette entraide entre pairs leur permet de construire leur séance de tutorat de façon mutuelle, d’échanger des supports, des exercices… Comme l’explique cette étudiante : « Oui encore tout à l’heure, j’ai envoyé un message à Lorena par rapport à une séance que justement, je prépare pour la semaine prochaine, et il me manquait quelques trucs et Lorena elle m’a aidée. »

Les tuteurs forment un groupe qui leur permet de faire évoluer leur pratique, que ce soit pour se rassurer sur leur manière d’être tuteur ou sur un aspect plus pédagogique et technique.

Ce groupe que forment les tuteurs, de manière instinctive, est intéressant, d’autant plus questionnable qu’on le met en parallèle avec le projet professionnel de nombre de ces étudiants qui ont pour ambition de se tourner vers le métier d’enseignant. Cette expérience leur offre un avant-gout, un premier pas dans ce milieu professionnel. Le groupe qu’ils forment leur permet d’une certaine manière de s’initier à l’idée d’une équipe pédagogique et donc au travail de groupe de manière générale.

Cette émergence d’un groupe des tuteurs prend racine dans leur marginalisation par rapport au groupe des enseignants, à l’équipe pédagogique en d’autres termes. Ce fonctionnement, suffit-il ou faut-il associer davantage les tuteurs aux enseignants ?

Faustine Rousselot
Doctorante à Le Mans Université

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