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Le rapport au savoir en milieu populaire – Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue

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Que restait-il à écrire après les deux ouvrages précédemment publiés affichant dans le titre rapport au savoir [[Charlot (B.), 1997, Du rapport au savoir, Anthropos, 112 p. Bautier (E.) et Rocheix (J. Y), 1998, L’expérience scolaire des nouveaux lycéens, A. Colin, 302 p.]], qui survenaient après l’ouvrage initial [[Charlot (B.), Bautier (E.) et Rocheix (J. Y), 1992, École et savoir dans les banlieues et ailleurs.]] de Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rocheix ? C’est la question que nous nous sommes posée en découvrant ce nouveau livre de Bernard Charlot : Le rapport au savoir en milieu populaire, avec comme sous-titre Une recherche dans les lycées professionnels de banlieue.

Dans Du rapport au savoir nous avions retenu une intention forte de l’auteur : fonder une sociologie du sujet,  » l’expérience scolaire notamment étant indissociablement, rapport à soi, rapport aux autres (aux enseignants et aux copains) et rapport au savoir « . Nous avions ressenti la volonté d’éclairer la tension entre des déterminants sociaux et individuels dans l’intention d’apprendre de l’élève. Nous avions moins perçu une attention à la composante épistémologique des savoirs en jeu. Il nous semblait en effet, comme dans l’ouvrage d’Élisabeth Bautier et de Jean-Yves Rocheix que le rapport au savoir du sujet social et individuel dont il était question, constituait un rapport à la connaissance en général, à ce que représente plus généralement la culture scolaire, davantage qu’un rapport à la particularité des savoirs disciplinaires qui la caractérise en grande partie. N’observe-t-on pas en effet, dans quelque milieu que ce soit, des élèves qui décrochent de certaines disciplines et adhèrent fortement ou faiblement à d’autres ?

Dans ce nouvel ouvrage Bernard Charlot analyse plus de cinq cents bilans de savoir et plus de deux cents entretiens éclairant successivement ce que les élèves disent avoir appris, où ils l’ont appris et avec qui, ce qui est important pour eux, ce qu’ils attendent, quel est leur rapport au temps, quelles sont les formes et les dominantes qui apparaissent dans leur rapport au monde, aux autres et à eux-mêmes, quel est leur rapport à l’école. On y trouve une approche comparative : garçons et filles, sections industrielles et tertiaires, BEP et baccalauréat professionnel, origines sociales. On y découvre la manière dont ces élèves sont devenus élèves de lycée professionnel, comment ils se réinventent un avenir, comment ils appréhendent leurs parents et leur famille, comment ils disent se comporter en classe. Un ouvrage d’une très grande richesse donc, une véritable anthologie de l’apprendre en lycée professionnel.

Nous retiendrons, d’abord, de ce monument les conclusions de l’auteur.

Ces jeunes ne valorisent pas plus les savoirs scolaires que les savoirs professionnels. Le lycée professionnel ne leur fait pas fortement sens. Il est avant tout l’occasion de passer un diplôme et de trouver un emploi. Ainsi ces jeunes n’inscrivent pas leur existence dans le court terme, mais dans le long terme pour lesquels la notion de projet n’existe cependant pas,  » tant ils sont exposés aux instabilités et aux ruptures « .

Les apprentissages les plus signifiants sont pour eux d’ordre relationnel et affectif. Ils y découvrent la possibilité d’une  » survie affective, relationnelle et sociale « . L’école est très peu particularisée ; le rapport de l’élève avec les professeurs dénote une absence de liens. Si bien que l’institution scolaire leur apparaît difficilement supportable dès lors que la relation est largement absente de cet univers.

Les jeunes vivent un rapport au monde qui n’est ni savant ni anomique.  » Le monde a une logique mais cette logique est celle de l’implication personnelle et de la proximité relationnelle et non celle d’un ordre objectif « . Aussi en dehors de l’école ont-ils le sentiment d’apprendre la vie en en faisant l’expérience, en construisant des relations entre des faits, des événements, des règles, alors qu’à l’école ils ont le sentiment d’apprendre en écoutant et en redisant.

Nous suggérerons ensuite quelques prolongements à cet admirable travail de recherche.

Le sous-titre de l’ouvrage laisse à entendre que les lycées professionnels de banlieue correspondent au milieu populaire. Le qualificatif de populaire s’oppose à d’autres qualificatifs. Lesquels ? Accepterait-on qu’un lycée professionnel dans une commune de moins de cinq mille habitants, en Bresse, qui accueille des sections de mécanique agricole, constitue un milieu populaire ? Si oui, le rapport au savoir en milieu populaire ne peut pas uniquement se fonder sur une recherche dans les lycées professionnels de banlieue. Si non, il conviendrait de distinguer parmi la diversité des lycées professionnels, en fonction de critères restant à définir, la spécificité du rapport au savoir.

Un modèle de l’apprentissage qui vient compléter celui qui avait été détaillé dans  » École et savoir dans les banlieues et ailleurs  » est proposé ici par Bernard Charlot. Trois caractéristiques en avaient en leur temps été proposées : un processus objectivation-dénomination (le langage est nécessaire pour objectiver le savoir), un processus imbrication du je dans la situation (apprendre c’est être présent dans une situation mais ne pas y rester pris), un processus distanciation-régulation (apprendre, c’est prendre de la distance vis-à-vis de soi-même, des autres, de la vie). Bernard Charlot complète ici ce modèle par l’analyse de ses bilans de savoir et ses entretiens. Une confrontation serait à installer entre sociologues et didacticiens afin que les processus généraux identifiés par les premiers dans les discours des élèves soient confrontés aux observations des seconds dans des situations réelles.

Nous avons dit précédemment la nécessite de mieux préciser cette question du rapport au savoir de par la confusion subsistant entre le rapport au savoir conçu comme la relation entre le sujet apprenant et la culture scolaire (les travaux de l’équipe ESCOL), mais aussi le rapport entre le sujet apprenant et les savoirs disciplinaires dans leur dimension épistémologique et anthropologique [[Derrière les questions qu’abordent les disciplines scolaires existent des interrogations anthropologiques qui permettent d’éclairer la question du sens de ce qui est enseigné. Les mathématiques conduisent à résoudre des problèmes, mais chemin faisant, elles sont l’occasion d’approcher la nature et la manière de penser l’infini, ou l’idéalité des objets géométriques. Les sciences physiques ont comme projet d’éclairer la spécificité de la matière inanimée. Chemin faisant elles abordent aussi la question de l’infini – l’infiniment grand et l’infiniment petit – la question de l’ordre et du désordre, du commencement et de la fin]] (les travaux à des degrés divers de la plupart des didacticiens). Cet éclairage pourrait être l’occasion de possibles rapprochements entre sociologues du curriculum et didacticiens, de manière à éprouver davantage la théorie naissante de la question du rapport au savoir et à asseoir davantage la spécificité des sciences de l’éducation.

Le rapport au savoir en milieu populaire : un monument qui restera longtemps comme un point de repère pour mieux comprendre la réalité du rapport au savoir des élèves dans les lycées professionnels en banlieue.

Michel Develay


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