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« Le raisonnement géographique est accessible à tous »
Alors comme ça, la géographie se conjugue au futur ?
La géographie a longtemps été tournée vers le passé, notamment au début du XXe siècle, puis vers le présent après la seconde Guerre mondiale et aujourd’hui elle regarde le futur avec détermination, sans angoisse et sans complaisance. C’est une discipline qui cherche à constater, à expliquer et à proposer des solutions, et ici le pluriel est essentiel. Le futur oui, comme horizon, comme utopie. Longtemps, on a pensé l’imaginaire comme un contrepoint de la réalité, alors qu’on considère aujourd’hui qu’il en est constitutif : Henri Lefebvre, qui était à la fois philosophe, sociologue et géographe, disait il y a 40 ans qu’il n’y avait pas de vie sociale sans utopie. On pourrait ajouter que le futur, ce sont nos élèves qui vont le vivre, et qu’il faut donc qu’ils participent à sa construction et que les enseignants les aident dans ce cheminement.
En effet, ce qui compte dans cette nouvelle approche de la géographie, ce n’est pas tant le résultat que le chemin parcouru, la façon dont on soulève des problèmes et comment on essaie de les résoudre. Il y a alors des futurs possibles. En ce sens, former nos élèves à penser le futur, c’est aussi les conduire à devenir des citoyens agissants face aux enjeux du changement global, par exemple. De la même manière que certaines démarches en histoire peuvent permettre aux élèves d’accéder à la conscience que toute évolution résulte de choix, et non d’une fatalité, conjuguer la géographie au futur leur montre que l’avenir de leur lieu de vie, local ou planétaire, dépend des choix actuels et futurs qu’ils font et feront.
Quels sont les grands enjeux de l’enseignement de la géographie aujourd’hui ?
Le principal enjeu, c’est de doter les élèves de raisonnements, d’outils, de démarches qui permettent de comprendre le Monde dans lequel ils vivent et aussi d’y agir. Mais c’est aussi un regard particulier sur les acteurs sociaux : Antoine Bailly, géographe suisse contemporain, dit que l’empathie pour les acteurs « est l’indispensable point de départ de la recherche en géographie des représentations ».
Dans la géographie actuelle, on retrouve entremêlées les forces de l’imaginaire et de la réflexion prospective : l’imaginaire pour transcender la réalité, la prospective qui nous invite à la complexité et à une réflexion sur l’impossibilité de tout prévoir. En se centrant sur le sujet, ses intentions, ses doutes, ses choix et ses renoncements, la géographie se veut alors une science en et du débat.
En ajoutant aux thématiques de l’organisation, de la compréhension, celles de la prévision, des valeurs, des significations, la géographie enseignée se veut plus proche des élèves en les poussant à s’impliquer dans la vie citoyenne, à trouver des solutions alternatives aux grands problèmes contemporains (le changement global, les migrations, l’Europe, la question de l’Autre, etc.).
Les questions posées à la géographie d’aujourd’hui sont liées à la relation entre les hommes et les lieux, au rapport entre le fonctionnel et le symbolique. Cela se traduit dans les programmes scolaires du cycle 1 à la terminale, mais aussi dans l’enseignement de la géographie au-delà du baccalauréat : quelle place pour l’individu et sa relation au Monde ?
Est-ce un dossier qui ne s’adresse qu’aux enseignants d’histoire-géographie ?
Non, car pour les enseignants, cette géographie qui redonne plus de place à l’homme ouvre des champs interdisciplinaires vastes, en lien avec toutes les disciplines scolaires, de la poésie aux mathématiques, de la littérature aux sciences du vivant. Tout objet géographique, de par sa relation à l’espace, est en lien avec l’ensemble des connaissances à transmettre : les enseignants de toutes disciplines peuvent trouver matière à entrer dans leurs objets de travail par la géographie. Le travail mené par Marie Bouts (cf. l’interview en ligne) ne peut que conforter cette approche : la géographie est à tous ! Les contributions sont d’ailleurs très révélatrices : elles croisent des domaines variés, et, comme Monsieur Jourdain, nous faisons tous de la géographie sans le savoir ! Le raisonnement géographique est accessible à tous car il repose sur des éléments simples du quotidien, des acteurs, des échelles et des temporalités : la vie quotidienne d’un enseignant ou d’une enseignante, en somme !
En outre, les démarches décrites dans ce dossier sont toutes transposables. Qu’elles aient été menées en élémentaire, au collège ou au lycée, chaque professeur peut les adapter à ses propres élèves et s’en inspirer pour construire d’autres projets en géographie ou en interdisciplinarité.
Quelque chose qui vous a particulièrement marqué dans la préparation ce numéro ?
Alexandra Rayzal : Pour moi, l’émerveillement devant la diversité des contributions et l’inventivité de tout ce qui est proposé : on voit des enseignants qui ne reculent pas devant l’expérimentation, extrêmement créatifs pour faire saisir à leurs élèves les enjeux de la géographie. Mais c’est aussi l’ambition des projets qui m’a impressionnée. Il y a là des réalisations qui marqueront les élèves qui les auront vécues !
Christophe Duhaut : Le plus marquant, ce fut ce foisonnement de réflexions, d’entrées interdisciplinaires et surtout d’expérimentations : en un sens, cela prouve que la géographie, comme l’enseignement en général, est un artisanat. On pourrait se plaindre d’un émiettement, mais je pense que cela relève davantage d’un éveil à la complexité, au sens d’Edgar Morin. Il y a une grande diversité de contributions, il y a donc des géographies, comme autant de sensibilités, comme autant d’individus. Et c’est la grande richesse de ce numéro des Cahiers pédagogiques !
Propos recueillis par Cécile Blanchard