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Le pédagogisme n’existe pas

Les accusations de « pédagogisme », pour ne pas dire les anathèmes, fusent régulièrement pour dénoncer des pratiques pédagogiques qui mèneraient l’école à sa perte. Dernière en date, le président de la république lui-même. Les Cahiers pédagogiques font régulièrement l’objet de ces reproches. Mais de quoi parle-t-on ? Petite mise au point pour éclairer le débat.

Dans un récent entretien, M. Macron a tenu les propos suivants : « On a une génération, même plusieurs, qui, malheureusement, ont un peu perdu leurs repères à cause d’un pédagogisme qui disait, au fond, que l’école ne doit plus transmettre. » Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur à la fois éducative et politique.

Éducative, parce que, bien évidement, l’école est un espace de transmission, en priorité de tout ce qui fait la culture écrite. Aucun professionnel de l’enseignement, aucun parent, aucun acteur de l’éducation ne pense, ne conçoit et n’œuvre pour une éducation qui ne conduise les jeunes à se réaliser par l’appropriation de ce que d’autres, avec eux, ont contribué à construire.

Sinon, à quoi servirait une éducation sans cette transmission ? Certainement à transformer nos démocraties en vaines « happycraties », où le bonheur individuel (si tant est qu’il soit possible à atteindre) serait le seul but d’une vie bonne et d’une société florissante.

Politique, parce que cette phrase reprend une rengaine bien connue qui crée des tensions et une scission entre deux camps fantasmés et irréels. Entre les « bons », qui auraient le souci de l’école et du devenir de notre société, et des « méchants », qui ne souhaiteraient que sa chute et le chaos. Entre des progressistes qui ne chercheraient que de la justice sociale et des réactionnaires qui ne penseraient qu’à inculquer des fondamentaux aux élèves. Entre des défenseurs de l’école qui voudraient en faire l’Alpha et l’Oméga du fonctionnement social et ses détracteurs qui ne souhaiteraient qu’une société économique basée sur le profit des plus riches.

En théorie, il existe deux grandes familles de pédagogistes : les « innovants », qui voudraient nier la part de transmission dévolue à l’école et pensent qu’il suffit de bien se sentir pour apprendre, et les « rétrogrades », qui ne souhaiteraient qu’instruire, sans se demander si les élèves apprennent et sans chercher à les mettre dans de bonnes conditions pour le faire. Ni l’une ni l’autre de ces familles ne sont dans le champ des pédagogies, bien évidemment.

La caricature contre la concorde

Ces deux positions ne sont que des caricatures de la pensée et de l’opprobre. Elles contreviennent à ce dont nous avons urgemment besoin : une concorde autour des questions d’éducation. À l’image de ce que les Finlandais sont parvenus à engager à partir des années 1980, il faudrait que nous travaillions à un moratoire sur les réformes scolaires, histoire de ne plus en faire un outil de lutte politicienne et d’œuvrer collectivement pour une école véritablement au service de nos enfants, de leurs familles et, dans quelque temps, de nous toutes et tous.

Ce moratoire, au service d’une dernière réforme sérieuse du fonctionnement de l’école, passerait alors par quelques priorités. D’abord, une valorisation des métiers de l’enseignement, au même titre que ceux de l’ingénierie, de la recherche ou du développement.

Ensuite, une formation des professionnels de l’école sur la base de leurs besoins, pour qu’ils puissent s’approprier le plus facilement possible ce que les experts français et étrangers sont parvenus à mettre en exergue concernant les liens entre l’acte d’enseigner et celui d’apprendre (le cœur de la pédagogie et de la didactique).

Enfin, une promotion du caractère hétérogène des classes, parce que, en raison de nos singularités, penser qu’un groupe d’élèves est uniforme ne peut conduire qu’à la mise à l’écart de toutes celles et de tout ceux qui pourraient profiter de leurs différences avec une norme mythifiée.

Il n’y a pas de pédagogistes

Où sont donc les pédagogistes ? Là où il y aurait un refus de transmission scolaire au profit d’idéologies individualistes, ou là où il y aurait un excès de volonté de transmission sans prise en compte des conditions de cette possible transmission ?

Nous pensons qu’il n’y a aucun pédagogisme dans les établissements scolaires. Les professionnels de l’école ont bien d’autres priorités à gérer. Nous constatons en revanche que créer des camps est une stratégie stérile au profit d’un délitement du lien éducatif, d’un nivèlement par le bas et d’une segmentation scolaire, laissant aux seuls mieux dotés la chance de pouvoir bénéficier de pédagogies de qualité.

En pédagogie, nous faisons la différence entre la notion d’erreur et celle de faute. « Une erreur devient une faute quand on refuse de la corriger », disait John F. Kennedy. Nous espérons que les femmes et les hommes politiques français parviendront à parler de l’école et de l’éducation avec des conceptions moins erronées et partisanes, en faisant le choix de visions plus optimistes, constructives et fédératives, dans l’intérêt de tous les enfants, en particulier des plus vulnérables.

Sylvain Connac
Enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paul-Valéry de Montpellier
et membre du Comité de rédaction des Cahiers pédagogiques