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Le collège unique, une vieille histoire !

Pouvez-vous présenter l’objet de votre livre ?

Cet ouvrage est issu d’un séminaire de recherche qui s’est donné pour objectif d’étudier quelques traits saillants de cette réforme de l’enseignement connue sous le nom de « réforme Haby », tant décriée au cours de ces dernières années. Sont ainsi passés en revue la genèse de ce projet de réforme, la campagne d’information menée par le ministère, les positions adoptées par les syndicats enseignants, les réactions des associations de spécialistes, l’évolution des positions de René Haby sur la question des filières, le rôle joué par Valéry Giscard d’Estaing dans l’adoption de la loi, la nature des polémiques sur le collège unique et, enfin, l’évaluation des résultats obtenus par les élèves sur le plan des acquisitions scolaires. Les auteurs appelés à participer à cette réflexion, sont, pour la majorité, des chercheurs appartenant à l’association transdisciplinaire pour les recherches historiques sur l’éducation (ATRHE).

Vous montrez dans votre livre la complexité des relations entre les membres de la communauté éducative et le ministère de l’éducation. D’où provient cette méfiance, selon vous ?

En 1974, l’action du ministre de l’éducation, René Haby, s’inscrit dans le projet plus global de Valéry Giscard d’Estaing de « moderniser » la société française. Les orientations politiques de ce gouvernement, qualifiées de « libérales » par les membres de l’opposition, sont suspectées de renforcer les inégalités.

Dans le monde enseignant, les propositions faites par le ministre rencontrent le même scepticisme. Un bon exemple de cette méfiance vis-à-vis du pouvoir exécutif est la manière dont est reçu l’avant projet de réforme du système éducatif présenté par le ministre de l’éducation en février 1975. Dès son annonce officielle, les syndicats enseignants sont unanimes pour le condamner, quand bien même une grande disparité existe dans les arguments convoqués par chacune des organisations. Et ce ne sera pas la campagne d’informations orchestrée par le ministère, visant à faire adhérer les enseignants mais aussi les parents et les élèves à la nouvelle réforme, qui va contribuer à apaiser les choses. Bien au contraire. Contre toute attente, le débat se politise et les oppositions se renforcent jusqu’à contraindre, au printemps 1975, le gouvernement à revoir certains aspects du contenu même du projet de loi.

À certains égards, les revendications exprimées au cours des négociations avec le ministère constituent une étape décisive pour le syndicalisme enseignant, qui se voit interroger sur le sens et la portée de son action par les autres membres de la communauté éducative. Les associations de spécialistes, à l’image de celles des mathématiques et d’histoire-géographie, accompagnent ces luttes afin de défendre les intérêts de leurs disciplines.
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Comment expliquez-vous que ce collège unique, malgré sa visée démocratique initiale, ait cristallisé contre lui un tel mécontentement chez la plupart des acteurs du monde éducatif ?

Je ne suis pas certain que les acteurs de cette époque voulaient, majoritairement, de ce collège. Le poids du contexte et des traditions compte ici comme dans de nombreux domaines. Si, sur le plan des intentions, il permettait de rassembler des enfants qui se destinaient, jusqu’alors, à poursuivre leur scolarité dans des filières différentes, dans la réalité des classes, ce nouveau collège faisait surtout rentrer l’hétérogénéité. En réaction et, disons-le, pour maintenir leurs effectifs, certains chefs d’établissements (avec, parfois, l’accord de leur hiérarchie) qui voyaient des parents d’élèves scolariser leur enfant dans l’enseignement privé, optèrent pour de nouvelles formes de classes de niveaux.

Pour certains parents d’élèves, cette ouverture du secondaire au plus grand nombre rendait plus difficile encore la poursuite d’études de leur enfant. Désormais, le collège devenait l’étape à franchir en même temps que le symbole d’une méritocratie de plus en plus exigeante.

Enfin, les polémiques médiatiques et politiques qui ont accompagné ce nouveau collège ont eu des effets dévastateurs sur son rôle et sa fonction au sein de notre système scolaire. Pensé comme l’un des moyens à la disposition du législateur pour combattre les inégalités, ce collège a alimenté une crise scolaire et mobilisé des arguments sur son inefficacité. Éloigné des objectifs recherchés en 1975, le collège actuel apparaît comme un modèle à réformer en optant pour des formes de rapprochement entre les différents paliers de la scolarité des élèves.

Qu’est-ce qui vous a frappé, voire surpris, dans votre analyse des écrits de cette époque ?

L’un des aspects le plus surprenant de cette étude est lié au procès d’intention dont a fait l’objet le ministre Haby. Je pense sincèrement qu’il était habité par un souci de démocratisation de l’enseignement comme l’atteste d’ailleurs son avant-projet de réforme qui allait de la maternelle au lycée. Ces mesures n’ont pas été acceptées au sein de sa majorité, qui ne l’a pas soutenu lorsque les syndicats se sont mobilisés contre ses propositions. Les syndicats enseignants ont joué un rôle important dans le processus qui a conduit le ministre à renoncer aux mesures phares qu’il préconisait (début du primaire à 5 ans avec l’instauration du cours préparatoire en deux ans, cours de soutien pour les élèves en difficulté et enseignement renforcé pour les meilleurs élèves en sixième, etc.).

Les vingt-deux articles de ce qui devint, par la suite, une « loi cadre » confirment cette idée selon laquelle la cohérence de l’ensemble a été sacrifiée au profit d’une réforme structurelle qui s’est cantonnée au collège. L’effort consenti par les membres du gouvernement pour supprimer les filières correspond certainement au maximum de ce qui pouvait alors leur être demandé. Pour le dire autrement, la droite ne pouvait pas encourager une politique scolaire qui n’allait pas dans le sens de ses intérêts et, pour une part, de son électorat. Les compromis et l’abandon successif des grandes orientations de ce projet de réforme de l’enseignement l’ont ainsi progressivement vidé de sa substance.

Quant au Parti socialiste, il faut avouer qu’il a été pris de court à cette époque. En l’absence de programme sur les questions d’éducation, il s’est tourné vers les syndicats de gauche qui ont principalement dénoncé le libéralisme de ces mesures. Au-delà de la personne du ministre Haby, qui fit preuve d’une grande loyauté à l’égard de Valéry Giscard d’Estaing, cette réforme a surtout été attaquée car elle était suspectée de servir les intérêts d’une droite perçue comme davantage conservatrice que libérale.

En quoi ce retour sur la réforme Haby nous aide-t-il à mieux comprendre les enjeux des débats sur le collège d’aujourd’hui ?

Parmi les enseignements que l’on peut tirer de cette étude, le premier revient sans doute au fait qu’une réforme de l’enseignement doit être pensée à l’échelle de l’ensemble du système éducatif. Cette approche systémique est la seule qui puisse lui garantir sa cohérence. Un deuxième enseignement est lié aux incompréhensions qui accompagnent les décisions en matière de réforme de l’enseignement. Chaque acteur l’interprète selon ses attentes. Le nombre important de partenaires éducatifs rend l’accord parfois même impossible, sur l’essentiel. Les conditions qui sous-tendent le changement en réduisent par ailleurs la portée, dans un contexte où chacun pense que la réforme ne peut pas se faire sans elles.

Le troisième enseignement de cette étude historique sur le collège unique porte sur la formation des enseignants. Elle constitue, en effet, l’une des principales lacunes de la réforme de 1975 qui s’attaque alors à un enjeu de taille : réunir tous les élèves quelque soit leur origine sociale et leur niveau scolaire. Les enseignants se sont ainsi retrouvés désemparés devant une hétérogénéité à laquelle ils n’avaient pas été préparés. Si une réforme doit s’anticiper à différents niveaux et être programmée sur plusieurs années, elle doit aussi accompagner celles et ceux qui la mettent en œuvre. Pas tant par des moyens supplémentaires mais par des actions concrètes portant sur la nature du travail à accomplir. Partir des difficultés rencontrées par les enseignants dans leur classe et par les élèves dans leur apprentissage devrait être constitutif de toute formation pédagogique digne de ce nom.

Laurent Gutierrez
Maître de conférences en Sciences de l’éducation à l’Université de Rouen

Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk

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