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Le choix de l’embarras

Couverture du numéro 595

Juin et juillet derniers nous ont fait connaitre de sacrées actualités politiques, dont Nipédu s’est saisi pour son émission de juillet. Il a notamment été question d’idées de droite ou de gauche pour l’école, de devoir de réserve et de désobéissance civile des enseignants. Au milieu de tout cela, deux questions au moins nous habitent encore.

La première, certainement la plus immédiate, est celle qui se pose si l’on fait l’hypothèse que demain – heureux de l’avoir évité pour aujourd’hui – les décisions prises pour l’école iraient à l’encontre de nos valeurs : aurions-nous le courage de désobéir ?

Penser collectif

De fait, ont été évoqués lors de l’émission des souvenirs de désobéissances déjà accomplies. La présence du collectif (équipe pédagogique, syndicat, etc.) a alors paru déterminante, tout d’abord, pour légitimer l’acte désobéissant. Car, lorsqu’il est question de valeur, il n’est pas toujours simple, ni même certainement souhaitable, de décider seul si l’acte envisagé vaut mieux que celui prescrit. Par ailleurs, il est aussi apparu que le collectif amoindrit sans aucun doute la peur des conséquences.

Mais si l’extrême droite venait à gouverner un jour notre pays, ces conséquences ne prendraient-elles pas d’autres proportions ? D’autant qu’avant de penser en conjectures, il faut déjà vraisemblablement admettre qu’enseignants et cadres de l’Éducation nationale sont un ensemble de personnes peu homogène quant à leurs idées politiques1. Peut-être alors que la question de la désobéissance se pose de manière de plus en plus individuelle, donc de plus en plus contrainte.

Et puis, il y a la seconde question, qui vient peut-être moins vite à l’esprit, plus pernicieuse mais tout aussi problématique d’un point de vue éthique. Nos échanges autour des idées pour l’école associées à des pensées de droite et de gauche nous ont montré que, au moins pour nous trois, les choses n’étaient pas si simples. Pourtant revendicateurs d’un ancrage de gauche, nous pouvons aussi parfois nous sentir proches de certaines idées portées par la droite : par exemple, l’autonomisation des établissements et les choix de l’établissement scolaire.

Bien sûr, si nous soutenons ces idées, c’est parce que nous pensons qu’il est possible de le faire de manière ou pour des raisons qui soient bénéfiques à l’ensemble des acteurs de l’école et, ainsi, alignées avec nos valeurs. Mais que se passerait-il si ces mêmes idées se concrétisaient au service d’un projet politique global qui n’est pas du tout le nôtre, qui plus est à tendance fasciste ? Très certainement, nous ne nous reconnaitrions alors pas dans les discours qui défendent ces mesures, mais comment pourrions-nous encore nous regarder en face avec un accord même partiel ? De fait, dans un monde modéré, la flexibilité de nos allégeances peut être à notre honneur. Dans un monde clivé et autoritaire, il en va tout autrement.

Lorsque nous écrivons ces mots, nous pouvons encore nous réfugier derrière l’espoir que ce type de choix ne soit jamais mis sur notre chemin. Mais en considérant que la base électorale du Rassemblement national ne cesse de croitre et de s’assumer, nous ne pouvons pas non plus être sûrs qu’ils ne le seront pas un jour. En fait, soyons vraiment sincères : rien que d’avoir fait ensemble cette émission et rédigé le présent billet constituent déjà les signes d’un temps que nous aurions préféré ne pas connaitre…

Régis Forgione, Fabien Hobart et Jean-Philippe Maitre

Sur notre librairie

Couverture du numéro 595, Racismes et école


Notes
  1. Voir cet article du Monde : https://miniurl.be/r-5n7s.