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Laïcité : désamorcer les identités de combat

Depuis près de dix ans, Stéphane Aurousseau intervient en milieu scolaire pour animer des séquences sur les discriminations et la laïcité. Dans son livre Promouvoir la laïcité (en milieu hostile), il partage ses observations et des pistes pour aborder le thème. Rencontre avec un militant de l’éducation populaire pour qui l’enseignement de laïcité ne peut plus faire l’impasse sur la non-croyance, au risque de perdre sa cohérence et sa justification.

Aujourd’hui directeur d’une structure d’animation, il a débuté son parcours professionnel en tant que surveillant en collège et lycée puis a été responsable de la lutte contre les discriminations pour la Ligue de l’enseignement en Moselle. Il milite toujours au sein de l’association Couleurs Gaies dont il a été le président fondateur en 1999, et qui est devenue depuis le centre LGBT du nord de la Lorraine. La structure est reconnue association complémentaire de l’enseignement public.

« Les séquences d’animation, que nous déployons dans le cadre d’un collectif interassociatif, sont le fruit de la synthèse entre mes engagements militants et ma culture professionnelle. » La première séquence a été créée en 2010 avec comme objectif la déconstruction des stéréotypes homophobes. « En 2015, après les attentats contre Charlie et l’Hypercasher, nous nous sommes retrouvés piégés en classe entre des réactions minoritaires mais virulentes et antagonistes : une xénophobie décomplexée d’un côté et de l’autre une justification de tout au nom du respect des religions. »

L’idée nait alors de créer deux nouvelles séquences, l’une sur la prévention de la xénophobie, l’autre sur la promotion de la laïcité. « Les sujets sont connexes, quand on aborde les LGBTphobies, la question de la religion revient sur le tapis, idem pour la xénophobie. » Pour chaque thème, l’intervention dure deux heures. L’image est mobilisée pour favoriser l’expression et amener la discussion. Depuis 2010, plus de 30 000 élèves lorrains, de la 4e à la terminale, ont bénéficié d’une des trois séquences.

Le droit et l’identité

Dans son livre, Stéphane Aurousseau constate le décalage entre les préoccupations juridiques pointilleuses des militants laïques et les réactions des élèves qui se focalisent sur des aspirations identitaires que rien ne devrait limiter selon eux. Il souhaite décrire concrètement ce qu’il observe en classe, avec prudence sur l’interprétation des propos recueillis mais sans cultiver « le déni qui caractérise certains enseignants pour des raisons idéologiques ».

« Quand je présente mon livre aux professionnels de l’éducation, ce qui les intéresse le plus, c’est d’entendre la description d’une réalité qu’ils vivent au quotidien mais avec des mots qui s’affranchissent à la fois des discours officiels de l’institution et des biais idéologiques et politiques qui imposent parfois d’autres discours dominants en salle des profs. »

Des espaces de dialogue

Sur ce sujet, l’auteur plaide pour une sortie urgente de la culture du faux-semblant. « Il est impératif de délégitimer les procès rituels en « fascisme » ou en « islamogauchisme ». » Il prône l’émergence d’espaces de dialogue permettant aux enseignants de parler de leurs doutes, de leurs peurs, de leurs désaccords.

Ces espaces lui semblent nécessaires pour qu’en premier lieu, les émotions suscitées par les controverses au sujet de la laïcité trouvent toute leur place. Ils seraient dans un deuxième temps propices à autoriser la construction et la diffusion d’une pédagogie efficace de promotion de la laïcité. « Ni les enseignants ni l’institution ne devraient redouter le dialogue. Au final, la loi doit être enseignée. Mais les profs et les élèves doivent surtout en percevoir l’intérêt. La laïcité exige un effort auquel on consent difficilement quand on la perçoit comme une contrainte injuste imposée par le pouvoir. »

Une fracture générationnelle

Construire une pédagogie efficace nécessite de se mettre d’accord sur les objectifs visés, définis en rapport à un état des lieux. Stéphane Aurousseau propose un raisonnement qui va des faits observés aux priorités éducatives, avec des hypothèses traditionnellement retenues et d’autres plus singulières, à commencer par celle d’une fracture générationnelle. « Dans notre séquence d’animation, nous projetons des photos qui présentent des situations clivantes autour de la croyance et de la non-croyance. Ce qui choque les ados ne choque pas les adultes de plus 35 ans et réciproquement. »

Il prend l’exemple de la photo d’une femme intégralement voilée et celle d’un dessin stylisé où un personnage jette à la poubelle les symboles des trois religions monothéistes. La première suscitera de vives réactions de la part des plus de 35 ans, la seconde celles des moins de 35 ans.

Autre hypothèse qu’il met en avant : « Oser argumenter sur les avantages d’être discret à l’école sur ses appartenances religieuses est automatiquement assimilé à du racisme, ce qui inadmissible ! » Il perçoit la posture « pro croyance » comme dominante chez les jeunes, qu’ils soient croyants ou indifférents aux questions religieuses.

Le rapport des élèves à la non-croyance

L’expression argumentée de la non-croyance est alors, selon lui, majoritairement classée dans le camp du « Mal », malgré la multiplication des actes de violences commis au nom de la foi. L’athéisme ou l’agnosticisme ne trouvent quasiment jamais de défenseur dans les débats. « Mon hypothèse de travail est que les élèves ont un rapport asymétrique à la liberté de conscience au détriment des non-croyants. »

Il observe une perception de la religion par les jeunes comme un domaine relavant strictement de l’intimité. « Ils ne perçoivent pas ses dimensions institutionnelles, sociales et politiques, ses prétentions normatives et son potentiel de violence, ou les rejettent comme des dévoiements qui n’auraient « rien à voir » avec le sujet. » La réalité est évidemment plus complexe que ne le laisse supposer ce mécanisme de défense. « Leur connaissance du fait religieux est faible. Les groupes religieux sont largement perçus comme des entités homogènes. Leur connaissance des non-croyances est inexistante. »

Outil pédagogique présenté dans la troisième partie du livre.

Comment alors enseigner, intervenir sur la laïcité ? Dans la dernière partie de son livre, Stéphane Aurousseau partage des techniques d’animation en les commentant pas à pas. « Il faut expliquer et dénoncer la posture de l’entrepreneur de morale qui accuse pour faire taire, en classe comme en salle des profs. »

Le seul angle de la liberté de culte ou de la laïcité comme dispositif œcuménique est pour lui incomplet, insuffisant. « Il est fondamental de mettre le paquet sur la connaissance historique des conflits politicoreligieux qui ont défiguré notre pays par le passé et continuent à semer la mort partout à travers le monde. »

Nuance et réflexion

Tout en prêtant attention à ne pas humilier les croyants, le message principal est celui de la nuance et de la réflexion à apporter à nos aspirations identitaires exacerbées, de faire le tri dans nos héritages pour préserver la possibilité du vivre ensemble. « Il faut être capable d’interroger l’origine de la violence justifiée au nom de la foi, y compris en confrontant les élèves à une lecture croisée des textes considérés comme sacrés par les trois monothéismes. »

L’objectif est alors d’apprendre aux élèves à décatégoriser leur perception des groupes construits autour des questions de croyance et de non-croyance, et pour cela de souligner les syncrétismes entre les groupes et la diversité à l’intérieur de chaque groupe. « Il ne serait d’ailleurs pas inutile d’élargir ce travail à toutes les identités de combat, qu’elles soient nationales ou communautaires. »

Il précise que l’ambition n’est pas de « retourner la tête des élèves » mais de donner des éléments pour atténuer les certitudes. Il voit dans la participation des élèves lors des séquences, dans les émotions exprimées, que la laïcité est un sujet qui intéresse les adolescents pour peu qu’elle soit abordée avec franchise.

Monique Royer

Promouvoir la laïcité en milieu hostile, éditions Double ponctuation, 2023. 


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N° 513 – Quelle éducation laïque à la morale ?
Dossier coordonné par Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi

Que s’agit-il d’enseigner, pour ce qui ne peut se réduire à une discipline scolaire ? Dans quel objectif, entre pacification des relations et formation du jugement moral ? Qui pour le faire, dans quel cadre ? Bien des questions, et ce dossier ose dès maintenant des réponses, dans la conviction que nous touchons là à un rôle fondamental de l’école.

 


Les Petits Cahiers n° 8 – Faire vivre la laïcité

Objet de débats, de polémiques, d’anathèmes et de récupérations, la laïcité demeure un principe fondamental à l’école et pour les pédagogues. Six articles pour définir simplement la laïcité et donner des pistes pour qu’elle demeure un outil qui autorise au service des apprentissages, de l’émancipation et de l’égalité.