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«Les pratiques au cœur de la classe inversée remontent à plus d’un siècle !»

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Après avoir coordonné ce dossier, pouvez-vous esquisser une définition de ce qu’est la classe inversée ou de ce que sont les pratiques de classe inversée ?

Françoise Colsaët : Je ne savais pas grand chose de la classe inversée avant de me lancer dans cette aventure, hormis la définition simplifiée : « le cours à la maison, les devoirs en classe ». Maintenant, je dirais que ce qui caractérise pour moi les enseignants qui pratiquent en « inversant », c’est l’autorisation qu’ils se sont donnée se s’affranchir de l’idée qu’il faut « donner un cours », « professer », là, en classe, devant les élèves. Ce qui ne veut pas dire qu’ils n’enseignent pas ! Ce point commun ne suffit pas à constituer une définition, au sens précis, de pratiques inversées qui sont, comme le montre le dossier, multiples, métissées avec diverses approches pédagogiques qu’elles utilisent très librement.

Héloïse Dufour : La définition souvent entendue, voire lue dans la presse généraliste, ne tient évidemment pas après examen des pratiques. Les classes inversées « en classe » n’y rentrent pas, et toutes les classes inversées où les élèves construisent le cours ou le parcours d’apprentissage non plus. Bref, cette définition, si elle a le mérite de la vulgarisation pour les profanes, en a aussi les limites, puisqu’elle est caricaturale et déformante pour les acteurs du monde de l’éducation. Je préfère dire que la classe inversée est la mise en autonomie des tâches cognitives les plus simples pour passer plus de temps en classe aux côtés des élèves en activité (et aussi en partie au moins en collaboration) sur les tâches cognitives les plus complexes. Beaucoup moins simple, mais plus réaliste !

Avez-vous une explication à l’engouement suscité par ces pratiques chez les enseignants ces dernières années, parfois qualifié d’effet de mode ? S’agit-il de plus que cela ?

F. C. : Bien sûr, d’abord, probablement la force de conviction et le dynamisme des pionniers, dont, en France, Héloïse et son association. Mais si eux-mêmes sont si convaincants, c’est qu’ils ont ressenti ce que disent aussi beaucoup des auteurs du dossier : la découverte de l’idée de classe inversée a débloqué pour eux une situation où ils avaient l’impression de ne plus pouvoir enseigner, faire leur métier de façon satisfaisante. Ce n’est pas une recette toute faite, le confort d’une méthode, mais une impulsion qui les amène chercher plus loin, une clé qui leur ouvre des portes. Pas sans doutes, ni évolutions, mais c’est là qu’est la vie, et cela répond certainement à un besoin des enseignants d’aujourd’hui.

H. D. : Difficile de résumer… Je vois trois types d’éléments qui contribuent à cet engouement. Premièrement, la classe inversée combine les attributs des innovations particulièrement diffusables : compatibilité avec l’existant, simplicité relative, possibilité d’essayer à « moindre coût » et innovation observable. Il ne s’agit en effet pas d’un protocole rigide, mais d’un ensemble de pratiques que chacun peut adapter à sa classe et à son degré d’aisance avec les pédagogies actives et collaboratives. Cela signifie aussi que l’on peut commencer petit : inverser une séquence représente un changement atteignable. La mise en vidéo d’éléments de cours représente ainsi souvent une première marche qui amène d’autres réflexions… La classe inversée est un vecteur de changements de pratiques.

Deuxièmement, nous sommes dans un contexte particulièrement favorable à ces pratiques. Le développement du numérique bouleverse nos rapports au savoir, apporte des outils très utiles pour enseigner, et amène enfin de nouveaux moyens de communication entre enseignants eux-mêmes. De plus, un nombre croissant d’enseignants est aujourd’hui en recherche de solutions face à l’hétérogénéité des élèves, et à une génération qui ne considère plus forcément comme acquise la pertinence d’un enseignement dit « traditionnel ».

Troisièmement, j’ajouterais que l’engouement pour la classe inversée est mondial, et qu’il s’agit clairement d’un mouvement de terrain. Ce développement est particulièrement accentué et accéléré en France (comme en Italie par exemple) où un réseau d’enseignants (Inversons la Classe ! qui rassemble de nombreux enseignants praticiens et organise régulièrement des rencontres sur le sujet) s’est constitué pour favoriser et organiser les échanges sur le sujet par les pairs.

Phénomène de mode ? Bien sûr, le terme étant nouveau. Cependant, les pratiques au cœur de la classe inversée remontent à plus d’un siècle ! Élaborer des plans de travail, encourager le travail collaboratif entre élèves, multiplier les retours individuels au cours de leur production… Cela fera-t-il vraiment pschitt en quelques mois ?

Les articles que vous avez retenus pour le dossier répondent-ils à l’accusation fréquente faite à ces pratiques d’accroitre les inégalités en s’appuyant sur le travail à la maison ?

F. C. : J’aurais aimé que nous puissions inclure dans le dossier des textes rendant compte d’études sur cette question. Mais sur le système français, cela existe-t-il actuellement ? Nos auteurs, en tout cas, manifestent que cette préoccupation est la leur, ils la prennent en compte dans les dispositifs mis en place. J’ai été surprise d’ailleurs par le fait que de nombreux articles décrivent un travail dans des types de classes, de sections, d’établissements, où sont rencontrées généralement des difficultés sociales et scolaires. Là où, précisément, autrement, on n’arrive plus à « faire classe », les pratiques inversées permettent de recommencer à impliquer les élèves.

H. D. : Non seulement les textes reçus n’apportent pas d’eau au moulin de ceux qui s’inquiètent d’un accroissement des inégalités du fait des pratique de classe inversée, mais ils vont dans le sens inverse. Lutter contre les inégalités scolaires est de fait l’un des nombreux moteurs de l’inversion, et l’expérience des auteurs les conforte dans leur choix. Des REP+ à l’université, les auteurs en classe inversée ont le sentiment de mieux accompagner les élèves selon leurs besoins. Ces retours corroborent les études anglo-saxonnes qui se sont penchées sur la question et montrent en moyenne une réduction d’un tiers du nombre des apprenants en difficulté.

Est-ce que quelque chose vous a surprises dans les textes reçus, dans le travail sur ce dossier ?

F. C. : J’ai surtout été surprise par la variété des pratiques, des lieux, des approches. Il me semblerait intéressant de prolonger la réflexion dans ce sens : plutôt que de figer un concept, chercher au contraire tous les avatars possibles de la notion de classe inversée, tous les métissages qui ne font que l’enrichir. Permettre toutes les variantes, qui dépendent tant de l’âge des élèves, de la maternelle à l’université, des objectifs, du contexte culturel, etc. Faire de l’idée de « classe inversée » un point d’appui à ajouter aux autres dans la « boite à outils » des enseignants.

H. D. : Pour ma part, ayant interrogé en détail une centaine de praticiens et cofondé Inversons la Classe ! il n’y a pas vraiment eu de surprise. En revanche, je pense que ce dossier surprendra ceux qui n’ont de la classe inversée qu’une vision « médiatique », pour lesquels elle se résume à un protocole où le cours est en vidéo à la maison. Le dossier est très représentatif de la diversité d’approches et de pratiques que l’on croise sur le terrain.