Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

« Les devoirs, c’est mon choix ! »

Traditionnellement, les devoirs que je proposais à mes élèves étaient surtout des exercices d’entrainement. Ces derniers n’ont jamais eu de points. Deux constats m’ont poussée à trouver une alternative aux devoirs « classiques ».

Premièrement, les devoirs n’étaient pas toujours faits. Dans certains cas, ils l’étaient… mais par les parents, vite trahis par leur écriture ! Deuxièmement, les élèves en difficulté à l’école sont aussi en difficulté après 16 heures. Quant aux enfants qui savaient déjà faire les exercices en classe, ils n’avaient pas plus envie de faire leurs devoirs car pour eux, c’était trop facile.

Par ailleurs, plusieurs de mes amies m’ayant demandé d’aider leurs enfants à faire leurs devoirs, m’ont permis de me rendre compte de l’envers du décor. C’était parfois laborieux…

J’ai donc cherché à améliorer la façon de donner des devoirs. Je voulais trouver un moyen de mieux connaitre mes élèves, de découvrir leur personnalité, leurs centres d’intérêt, ce qu’ils aimaient ou détestaient…

Les questions suivantes m’ont guidée dans la construction de ces nouveaux travaux :

  • À quel moment donnons-nous aux enfants l’occasion d’apprendre à répondre aux questions qu’ils se posent ?
  • Pourquoi certains parents en arrivent-ils à faire les devoirs de leurs enfants ?
  • Comment maintenir un lien entre ce qui est fait à l’école et le travail fait à la maison ?

Je me suis également appuyée sur des textes, à commencer par la réglementation en vigueur.

Ce que dit la loi belge

En Belgique francophone, la pratique des devoirs a été balisée par un texte de loi, voté au parlement de la Communauté française de Belgique en 2001. Les modalités d’application de ces dispositions légales sont précisées dans une circulaire ministérielle datant de 2002, dont voici un extrait :

« En première et deuxième années primaires, les travaux à domicile sont
interdits, mais certaines activités sont autorisées.
Si les travaux à domicile sont interdits en tant que tels à ce niveau, de courtes activités par lesquelles il est demandé à l’élève de lire ou de présenter à sa famille ou à son entourage ce qui a été réalisé ou construit en classe sont par contre autorisées. Il s’agit ainsi non seulement de reconnaître l’importance de l’apprentissage de la lecture, mais aussi de prendre en compte l’intérêt, pour l’enfant, d’avoir l’occasion d’être fier devant ses parents, son entourage, son milieu d’accueil de présenter sous quelque forme que ce soit ( racontée, lue, dessinée, jouée, écrite…) ce qu’il a appris à l’école. Insistons : le but poursuivi à travers ces activités demandées à l’enfant est bien de lui permettre de valoriser auprès de son entourage ce qu’il a appris à l’école et non de l’amener à se livrer à des exercices répétitifs.»

Cela m’a donné mon point de départ pour proposer un autre type de devoir : un texte à lire pouvant déboucher sur un projet personnel.

Les devoirs, source de conflits

Les devoirs sont parfois une source de conflits entre parents et enfants. En particulier après une journée de travail. Dans de nombreux cas, le parent tente d’expliquer à sa manière une notion que l’enfant n’a pas comprise en classe, en s’appuyant sur ses propres souvenirs scolaires, ce qui embrouille encore parfois davantage l’enfant. Le parent, lui, s’impatiente lorsque son enfant ne comprend pas quelque chose qui lui semble évident ! Or, apprendre, cela prend du temps…

L’objectif est donc de basculer d’une situation conflictuelle à un partage de « moments de vie », influencé par ce que chacun sait, à partir d’une idée venant de l’enfant.

Ma réflexion s’est également nourrie d’un texte de Danielle Mouraux[[Danielle Mouraux, « Entre rondes familles et École carrée : le choc ? », revue Indirect n°15, éditions Plantyn, 2009, p. 33.]], sociologue à la Ligue des Familles :

« Dépasser le scolaire et libérer l’élève ?
Après quatre heures, l’élève a besoin de…
Être accueilli comme un travailleur, sentir que ses parents comprennent son effort scolaire et qu’il a besoin d’encouragements, même et surtout s’il connait des difficultés ;
Utiliser ses savoirs nouveaux à la maison, tester ses savoirs scolaires dans la vie réelle afin de leur donner un sens culturel et social ;
Redevenir un enfant, être libéré de son travail scolaire afin de continuer à apprendre, mais de manière culturelle et sociale, dans et via sa famille.
[…] Comment l’école pourrait–elle exploiter au mieux ce « domicile » afin que les savoirs dépassent le scolaire pour atteindre le socioculturel ? Il est troublant de voir que, par le travail scolaire à domicile, l’École passe à côté de dépassement : en leur imposant de rester dans la forme scolaire tant dans les matières que dans les manières d’apprendre, elle empêche littéralement les élèves non seulement de redevenir des enfants mais surtout de se lancer dans la découverte, dans l’exploration et la compréhension du monde particulier qui les entoure tout en utilisant les outils universels appris à l’école. »

S’il est mis en pratique au cycle 2, ce dispositif peut convenir à n’importe quel cycle. Les devoirs au choix permettent de personnaliser les apprentissages. On peut définir quatre axes pour impliquer davantage les élèves en tant que personnes dans ce qu’ils apprennent[[Christian Watthez, « L’élève est une personne », module de formation CESP Hainaut, 2016/2017.]] :

Personnaliser les apprentissages, cela peut conduire àLes devoirs libres invitent les élèves à
Prendre en compte l’enfant dans l’élève. Exprimer leurs intérêts, leurs goûts, leurs hobbys, mais aussi à partager la culture de leur milieu de vie.
Engager chacun à poser des choix dans son métier d’élève. Choisir la tâche qu’ils s’engagent à réaliser.
Amener chacun à prendre une posture d’auteur dans ses apprentissages. Réaliser une création personnelle mobilisant savoir et compétences acquises.
Aider chacun à trouver sa place au sein du collectif. Valoriser aux yeux des autres les domaines dans lesquels ils sont compétents et qui n’apparaissent pas toujours
dans le vécu quotidien de la classe.

En tant qu’enseignants, nous devons accepter que nous n’avons jamais de pouvoir direct sur l’apprentissage de l’autre. Nous ne pouvons pas déclencher ce dernier de manière mécanique. Voici le dispositif que j’ai imaginé pour redonner le goût aux devoirs à mes élèves.

Des devoirs choisis, un savoir partagé

Le travail se déroule en trois temps, le premier étant la mise en projet.

Chaque élève choisit une fiche dans les classeurs mis à disposition dans la classe. Le choix est large : on y trouve des poésies, des recettes, des bricolages, du développement artistique, du sport, des documentaires, de la magie, des fiches animalières, des expériences scientifiques…

Dans un deuxième temps, après avoir lu le texte, l’élève choisit d’aller plus loin ou non. Il peut poursuivre le travail ou se contenter de la lecture. Il doit compléter le compte-rendu dans un délai allant de cinq jours à deux semaines. Il le présentera ensuite à la classe.

Si des personnes sont intervenues pour aider à faire le devoir, elles peuvent rédiger un commentaire sur le dos de la fiche.

Recto :
doc1.jpg

Verso :
doc2.jpg

doc3.jpg

Pour finir, la présentation est faite à la classe sous un format choisi par l’élève (une vidéo, une affiche, un « spectacle », un album photos…). Il est aussi possible d’avoir l’intervention d’une personne-ressource (grand-parent…). À l’issue de la présentation, les élèves peuvent poser des questions, dire ce qu’ils ont appris…

Les conditions du succès

Afin que ces devoirs se déroulent au mieux, plusieurs conditions sont nécessaires.

Avant tout, il est important de ne pas mettre de pression évaluative sur ce travail. Le devoir n’est jamais noté et ne fait pas non plus l’objet d’un jugement de valeur ni d’une comparaison avec les différentes productions des autres élèves de la classe. Tout au long de l’année, il convient d’encourager l’imprévisible et de favoriser un climat bienveillant dans la classe. Et toujours partir du principe qu’apprendre peut se faire n’importe où (à l’école, à la maison, ailleurs), et avec l’aide de quelqu’un.

Quelques exemples de réalisations :

doc4.jpg

L’élève a lu un texte informatif sur l’alimentation. Elle a dessiné la pyramide et découpé des photos d’aliments. Après une explication au groupe, elle a demandé aux autres élèves de placer ses photos au bon endroit.

doc5.jpg

Après une lecture de fiche animalière, des élèves produisent de courts textes sur l’animal concerné. Certains vont même jusqu’à utiliser l’ordinateur pour copier leur devoir.

Je me souviens d’un élève qui avait beaucoup de difficultés en classe et qui est venu nous parler longuement et en détails des dinosaures. À première vue, on aurait pu penser que cet élève ne fournirait pas énormément d’efforts. Bien au contraire, lui qui avait des problèmes de mémorisation, nous a prouvé qu’il était tout à fait capable de garder en mémoire des informations !

Si les apprentissages vécus lors des devoirs au choix ont du sens pour l’enfant, alors ils seront intégrés et mémorisés dans la mémoire à long terme. Pour moi, ce dispositif tente d’aider les élèves à faire des liens et des associations dans leurs connaissances, tout en laissant une place à l’imagination. J’ose espérer que cela les motivera à un projet plus puissant que celui d’avoir des bons points : celui de continuer d’apprendre pour répondre, non pas uniquement aux questions que l’école lui pose, mais aux questions qu’il se pose.

Fiche de compte-rendu à télécharger (format pdf) :
les_devoirs_au_choix_ange_lique_libbrecht.pdf

Angélique Libbrecht
Enseignante en 2e primaire en Belgique


À lire également sur notre site:
École : les vrais défis – « Devoirs faits » : beaucoup de questions et quelques craintes, par Laurent Fillion
De fil en aiguille, tisser la coopération, portrait d’Angélique Libbrecht par Monique Royer
Intégrer les parents dans un marché des connaissances, par Angélique Libbrecht
Visiter une classe coopérative pour trouver des réponses, par Angélique Libbrecht