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Lecture : et si on s’intéressait aux pratiques réelles ?

Goigoux

Goigoux« Des constats ni optimistes ni pessimistes, mais une recherche qui dynamise », telle est la conclusion donnée par le directeur de l’Institut français de l’éducation, Michel Lussault, lors d’une réunion organisée par l’Association des journalistes de l’éducation, ce 15 septembre1. Roland Goigoux présentait l’impressionnant travail mené à partir de «pratiques effectives» de 131 enseignants, d’observations de classes qui ont mobilisé de nombreux acteurs (une soixantaine de chercheurs) et de tests qui ont touché plus de 2500 élèves. Une avant-première avant un colloque à Lyon le 25 septembre qui promet d’être passionnant.

À l’heure où l’on continue à évoquer la « guerre des méthodes », où l’on prétend avoir trouvé l’étude miracle qui démontrerait la supériorité définitive de la « syllabique » et du « décodage » sur une approche plus globale ou plus culturelle, il est passionnant d’entendre un chercheur engagé, qui n’a pas hésité à se « mouiller » en produisant des outils pour aider les enseignants dans l’enseignement de la compréhension à l’école et au collège, énoncer clairement que les choses sont forcément complexes, qu’il n’y a absolument pas de méthode miracle, et qu’un des secrets de la réussite dans l’apprentissage de la lecture réside dans un dosage subtil entre activités de décodage et d’encodage, travail sur la langue et sur la compréhension et indispensable bain culturel.

Opposer ces activités n’a pas de sens. Le problème, qui réclame beaucoup de professionnalisme, réside dans la variété des approches et le bon équilibre à trouver entre elles, ainsi que le rythme imprimé par les maîtres qui ne doit être ni trop rapide, ni trop lent.

Cette étude a duré trois ans et permet aussi de constituer une banque de 3000 heures d’images vidéos, plus des photos d’affichages en classe et de proposer des grilles d’observation qui seront utiles aux formateurs. En voici quelques enseignements :

  • Il y a des écarts importants entre élèves. Pour les meilleurs, au fond, les pratiques importent peu, ils réussissent dans tous les cas et la corrélation avec le milieu social et culturel est bien entendu importante. En revanche, pour ceux qui ont des difficultés, le contexte-classe joue de manière significative (environ 8% sur l’année de CP, mais il y a cumul d’une année sur l’autre). Notons que l’enquête a mobilisé des maitres ayant une certaine expérience du CP et qui dans l’ensemble maitrisent leur classe, ce qui explique le peu d’influence du « climat » de la classe proprement dit. Le facteur explicatif numéro 1 des écarts entre élèves reste le niveau initial, d’où l’importance du travail en amont bien sûr. Le chantier des inégalités reste considérable, il se manifeste bien plus au niveau de la compréhension que de la maitrise du code.
  • « Dans toutes les classes, les élèves reçoivent un enseignement explicite et précoce des correspondances entre les graphèmes et les phonèmes.» Les chercheurs n’ont pas trouvé d’utilisation d’une mythique « méthode globale ». Et surtout, l’utilisation ou non d’un manuel, d’une méthode n’a pas vraiment d’influence sur les résultats. La moyenne de travail effectif autour de la lecture et de l’écriture est de 7h 22 hebdomadaire, avec des variations (notons cependant qu’on a enlevé de ce temps-là tous les temps morts, qui sont pourtant très chronophages dans le quotidien).
  • Le travail sur la compréhension reste trop réduit, et les élèves risquent de le payer plus tard. Ce sera sans doute un point fort à développer dans le futur. Actuellement, seules 24 minutes par semaine sont consacrées à « expliquer ou reformuler le sens d’une phrase ou d’un texte, d’interpréter ce qu’on a lu ou entendu… » C’est trop peu. Et cela va contre les idées en vogue dans certains milieux comme quoi il ne faudrait en CP que s’occuper du code, établir une parenthèse qui en fait s’avérera coûteuse en termes d’inégalités.
  • Il est bien difficile d’établir ce qui fait l’efficacité de tel ou tel maître. Il semblerait qu’on trouve davantage de maitres performants parmi ceux qui n’utilisent pas un manuel par exemple, mais aussi davantage de maîtres moins performants dans cette catégorie. Mais il faut aller plus loin : il y a mille façons d’utiliser ou de ne pas utiliser un manuel. Et il y a des facteurs d’efficacité qu’on n’explique pas (en gros 30%)

Toutes ces observations ont quelque chose de rassurant sur le professionnalisme des enseignants, sur finalement une réussite correcte pour beaucoup d’élèves (Roland Goigoux estime à 4 à 5% le pourcentage d’élèves qui ne sauront pas décoder en fin d’école primaire). Il y a beaucoup à tirer de cette recherche dont on n’a qu’un faible aperçu des résultats et qui dresse un tableau contrasté de la situation en lecture : des ressources, des idées pour la formation initiale et continue, une réflexion sur les manières de mettre en œuvre les nouveaux programmes, et sur ce qui parait le plus pertinent pour pouvoir réduire les écarts de performances. Dans tout cela, ce qui reste incontournable, ce sont, bien loin des querelles idéologiques, les pratiques pédagogiques réelles…

Jean-Michel Zakhartchouk

À lire également sur l’apprentissage de la lecture, la recension par Jacques Crinon du livre Réapprendre à lire. De la querelle des méthodes à l’action pédagogique, de Sandrine Garcia et Anne-Claudine Oller, aux Éditions du Seuil.
Un ouvrage intéressant, mais dont certains se servent comme machine de guerre contre le « progressisme » et comme la soi-disant preuve qu’il faut revenir à un passé mythifié du B-A-BA. Est-on sûr que les auteures ne se sont pas laissé emporter par des considérations idéologiques, à partir d’une enquête bien plus restreinte que la vaste étude pilotée par Roland Goigoux ?

Notes
  1. Michel Lussault se trouve aussi être le président du Conseil supérieur des programmes mais n’intervenait pas à ce titre.