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La Maison des 3 espaces, histoire d’une école où tout s’invente (3)

La première fois que Sonia Viel a mis les pieds à la Maison des 3 Espaces, c’était à l’occasion d’un remplacement, court mais suffisant pour lui donner envie d’y revenir, cette fois en tant que titulaire d’un poste. L’opportunité est vite venue et en face de son vœu, premier de la liste, elle a reçu un oui en lettres majuscules, les majuscules d’une promesse professionnelle. Car ce qu’elle a vécu lors de sa première expérience était « un choc pédagogique », un apprentissage auprès de Magali, institutrice en petite section. « Je pense à elle tout au long de ma carrière, à ce qu’elle m’a appris, tout ce que j’ai découvert sur les façons de fonctionner au sein d’une classe, d’une école. »

Elle se souvient de la scolarisation dès deux ans et de tout ce qui était mis en œuvre pour que tout se passe bien pour les enfants comme pour les parents, de l’objectif « zéro pleurs », de l’intégration en douceur, au cas par cas, de l’écoute, de la nécessité d’adapter l’école aux tout-petits. Elle raconte le café offert aux mamans dans la salle des professeurs pour les rassurer, attendre aussi d’être sures que leur fils ou leur fille se sente bien dans la classe. Soixante-dix pour cent des élèves étaient originaires de Turquie. Pour leurs mères, la scolarisation était à la fois une première séparation et un moyen de socialisation, de partager leur parole avec d’autres. Les réunions étaient un lieu de débat souvent autour de la question « pourquoi mettez-vous votre enfant à l’école ? ». L’échange était riche avec des réponses variées du « Je peux souffler » au « Je veux qu’il apprenne le français ». A côté de la classe de petite section, un espace kangourou était installé pour accueillir parents et enfants, un espace de rencontres avec du thé, du café et des jouets, pour prendre contact avec l’école, voir les petits déjà écoliers dans leur quotidien.

En venant à la Maison des 3 Espaces, Sonia Viel savait l’engagement demandé dans un projet où la tiédeur n’était pas de mise. Et cela lui plaisait de choisir d’être là pour des valeurs partagées, pour une réflexion constante, une effervescence pédagogique, au sein d’un quartier aux réalités crues. « C’était une configuration de quartier spécifique et je trouvais que l’école était vraiment une maison qui accueillait les gens venant de multiples origines ». La construction pensée se sentait tout comme la volonté de travailler avec tout le monde, les ATSEM, les animateurs d’activités périscolaires, de façon posée, réfléchie. Les classes se terminaient à 15 heures 30, les animations prenaient le relais. Les heures libérées pour les enseignants ouvraient sur des formations proposées conjointement par la Mairie de Saint-Fons et l’Éducation nationale, proposées à tous ceux qui travaillaient dans l’école, sans obligation. Des temps de réunions, de rendez-vous avec les familles bénéficiaient aussi de ce temps disponible.

La maîtrise du langage était la base de bien des projets et donnait lieu à des partages de classes de maternelle, du travail par groupe, de la petite à la grande section. Elle appréciait cet élan collectif, ce décloisonnement entre les cycles, qui aboutissait bien souvent à un projet culturel avec toujours ce souci de créer des liens avec les parents. Les chorales, les spectacles, les défis lectures où les grands lisaient pour les petits et où les petits glissaient aussi un bulletin dans l’urne pour élire leur livre préféré, les initiatives favorisaient des « va et vient entre les classes ». Et puis l’humour était un ingrédient de base, présent pour faire rire les élèves et délivrer les tensions. L’enseignante se souvient du faux mariage organisé en empruntant les costumes d’un spectacle, applaudi par l’assistance comme s’il était vrai.

« C’était plein de choses réfléchies, bien pensées, mettant les enfants dans des situations réelles, concrètes, qui allaient leur servir ». Et regarder les résultats des projets au regard des difficultés d’apprentissage pressenties des élèves, apportait une motivation plus forte encore. Forcément, avant, l’équipe avait travaillé pour les préparer au niveau artistique et bien entendu pédagogique. « Tout cela demandait beaucoup de boulot et d’énergie. Ça payait et ça me plaisait ». Les spectacles se jouaient la plupart du temps au théâtre, offrant l’occasion aux parents d’apprivoiser le lieu et ses rites. Les enfants étaient en position d’artistes, leurs familles apprenaient à délaisser le registre de la bonne franquette pour l’attention à porter à un spectacle en vrai. Là aussi transpiraient les valeurs communes, celles d’une école ouverte et multipliant les accès aux apprentissages.

Le travail d’équipe était à la base de tout, un engagement constant où les rires chassaient les tensions mais pas toujours. Des réunions animées par un psychologue aidaient à les évacuer, à dire les blocages, les colères, les oppositions. Personne n’était là par hasard ou alors ne s’y attardait pas, l’adhésion était une nécessité. « Quand j’y repense, j’ai vu là des gens à fond dans leur boulot et avec une vie riche à côté, des passions comme le sport, la musique, les voyages ou les pratiques artistiques ».

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Sonia Viel tente d’énumérer tout ce qu’elle a appris à la Maison des 3 Espaces et la liste longue est loin d’être tarie. Elle cite : travailler en collectif, faire des réunions des temps utiles, animés, régulés, dont on garde les traces, oser prendre la parole. Et elle retient toute cette exploration de l’apprentissage du langage qui lui a donné envie de s’y consacrer à mi-temps et l’a conduite ailleurs, auprès d’autres équipes de maternelle. Pendant quatre ans, elle a conseillé, accompagné, puis l’envie d’enseigner l’a ramenée à plein temps en classe.

Ses pratiques gardent l’empreinte de ce qu’elle a fait, partagé dans cette école pas comme les autres de Saint-Fons. Aujourd’hui, elle veille à accueillir les parents, leur montre les réalisations avec diaporamas. Elle investit les pratiques artistiques et songe à se lier avec une artothèque pour amener des œuvres à l’école. Elle initie des liaisons avec le CP. Elle aimerait faire mieux, plus avec ses collègues mais recueille peu d’échos. Ce n’est pas du rejet, ni de l’indifférence mais simplement le manque d’une dimension collective. « J’aimerais bien un jour me relancer dans un projet d’école innovante pour expérimenter, apporter ma graine ». Ce vœu sans doute se transformera en réalité si sa route croise un autre projet empreint de la volonté de faire réussir tous les enfants, car, nous dit-elle, « tout est toujours à inventer ».

Monique Royer

Épisode 1. La bâtisseuse : Monique Desgouttes-Rouby
Épisode 2. Le voyageur : Jacques Suzat
Épilogue: une histoire sans fin