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La santé mentale des étudiants sous l’œil des chercheurs

Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »

Logo de l’IFE (Institut français de l’éducation)La crise sanitaire a marqué un tournant dans la publicisation et la prise en compte de la santé mentale des étudiants. Les enquêtes de santé publique se sont depuis multipliées pour objectiver leurs souffrances psychiques, révélant une détérioration croissante de leur santé mentale. Au-delà des chiffres, quelles réalités derrière ces résultats inquiétants ?

L’enquête sur la santé des étudiants1 révèle qu’un cinquième de cette population présente des signes d’une détresse psychologique se manifestant par des symptômes de nature anxiodépressive (fatigue excessive, irritabilité, tristesse, sentiment d’inutilité, troubles alimentaires, etc.). Plus spécifiquement, les épisodes de dépression majeure sont présents chez 4,6 % de la population étudiante, contre 3,2 % au sein de la population générale2.

Une santé mentale dégradée constitue une réelle entrave à la réussite dans l’enseignement supérieur : les étudiants traversant un épisode dépressif majeur déclarent avoir interrompu leurs études près de deux mois en raison de symptômes handicapants. Une partie de celles et ceux qui ont connu des symptômes de détresse psychologique a déclaré avoir abandonné avant les examens de premier semestre ou avoir échoué à ces derniers.

Qui sont les étudiants les plus vulnérables ?

Certaines catégories d’étudiants sont davantage touchées par des épisodes de détresse psychologique. Il existe en premier lieu de fortes disparités selon le genre : 35 % des femmes sont concernées par une dégradation épisodique ou durable de leur santé mentale, contre 13 % des hommes (voir note 1). S’il n’existe pas de consensus pour expliquer cette différence, plusieurs pistes de recherche tendent à croiser des facteurs biologiques à des arguments d’ordre social (plus de pression pour la réussite scolaire, exposition à des violences sexistes et sexuelles, injonctions contradictoires, etc.) pour comprendre la souffrance des jeunes femmes.

À cela s’ajoute une forte corrélation entre types de filières et risque de souffrance psychique. Les étudiants des filières littéraires et sciences humaines et sociales ont plus de risque de présenter un épisode dépressif et des idéations suicidaires, essentiellement lors de l’accès à l’université. Face à cette surreprésentation, les chercheurs émettent l’hypothèse d’un pessimisme quant aux perspectives d’insertion professionnelle.

La population étudiante des filières en santé est aussi particulièrement touchée par des épisodes de souffrances psychiques, fortement associées à des emplois du temps chargés, partagés entre temps d’enseignement et périodes de stage, et à des parcours d’études caractérisés par des logiques d’excellence et de classement.

Enfin, des conditions sociales plus défavorables comme un budget mensuel inférieur à 800 euros, une absence de soutien familial pour l’alimentation, ne pas bénéficier d’une bourse ou encore demander une aide d’urgence, sont fortement associées à des risques d’épisode de dépression majeure.

comment sont menées les enquêtes ?

Il convient cependant d’être prudent : si les recherches révèlent une aggravation bien réelle de la santé mentale des étudiants depuis la crise sanitaire, ces résultats peuvent aussi être analysés à la lumière de la diversité des façons de construire et de répondre aux questionnaires d’enquête : « La mesure de la santé mentale demeure subjective et, contrairement à la mesure de la température, la compréhension des mécanismes sous-jacents demeure complexe et insuffisamment connue3. »

Les chercheurs disposent d’une certaine liberté dans l’évaluation et la mesure de la santé mentale : d’un dispositif d’enquête à un autre, les résultats peuvent varier considérablement. Ils et elles émettent aussi l’hypothèse que la crise sanitaire et les focus médiatiques sur la santé mentale ont permis de rendre plus visible et plus lisible cette problématique, et qu’il est ainsi davantage accepté socialement d’évoquer ses difficultés psychologiques.

Marie Lauricella
Chargée de médiation scientifique, équipe Veille et analyses de l’IFE (ENS de Lyon)

Pour aller plus loin
Marie Lauricella, « Souffrances adolescentes : quand la santé mentale traverse les frontières de l’éducation », Dossier de veille de l’IFE n° 148, ENS de Lyon, avril 2024.

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Couverture du numéro 598, « Remobilisés ! »


Notes
  1. Ferès Belghith, Claire Beswick et Élise Verley, « Problèmes de santé, souffrances psychiques et investissements studieux », dans Ferès Belghith, Aline Bohet, Yannick Morvan, Arnaud Régnier-Loilier, Élise Tenret et Élise Verley (dir.), La santé des étudiants, La Documentation française, 2020, p. 85 -99.
  2. Yannick Morvan et Boris Chaumette, « La dépression et le suicide chez les étudiants d’université », ibid., p. 69 -83.
  3. Quentin Facon-Barillot, Lucia Romo, Camille Vansimaeys, Astrid Chevance, Ariel Frajerman et Yannick Morvan, « La santé mentale, son importance et sa mesure chez les étudiants dans les enquêtes de l’OVE depuis 2016 », dans Être étudiant avant et pendant la crise sanitaire. Enquête conditions de vie 2020, La Documentation française, p. 176.