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La grosse vague, le petit chef et la feuille d’impôts

À défaut d’une fable des temps modernes, faisons un peu de sémiologie sauvage, et filons la métaphore : les incidents, les sanctions, les conseils de discipline seraient des « vagues ». Autrement dit, des manifestations excessives d’activité, de regrettables débordements, des puissances redoutables et des énergies anarchiques à endiguer. Si possible, par un management lisse qui nivelle les mesures disciplinaires et qui, en harmonie cosmique avec mantra d’une bienveillance dévoyée, sonne au diapason du ronronnement administratif de la gestion des flux d’élèves.

On voit bien qu’il est commode d’incriminer des chefs d’établissement dont le zèle hypocrite consisterait à placer sous l’éteignoir toute forme d’incident pour prendre de ce galon égoïste qui leur permettra d’accéder au poste convoité de proviseur du beau lycée (forcément général) de centre ville. Néanmoins, c’est s’attaquer au symptôme plutôt qu’à la maladie. S’il existe indéniablement des principaux et des proviseurs qui balaient d’un revers de main une situation critique qui leur causerait un inutile tracas (lourde procédure disciplinaire, bataille d’arguments avec des parents hystériques, demande de précisions d’une autorité académique vétilleuse, déraillements statistiques à justifier au moment de l’évaluation par le DASEN-Directeur académique des services de l’Éducation nationale), ces petits chefs ne sauraient occulter les chefs qui accueillent les professeurs mis en difficulté ou choqués par des actes violents, qui mènent sans états d’âme la procédure de sanction à son terme afin que l’acte éducatif, fût-il âpre pour l’élève, produise tout son effet et délimite l’acceptable de l’inacceptable.

De fait, comme le dirait Racine, le mal vient de plus loin.

Il vient de certaines pratiques, heureusement épinglées par Le Canard enchaîné du 31 octobre dernier (une circulaire dans l’académie de Grenoble), qui prouvent que l’échelon académique, le nez sur ses statistiques, arrose tout un département, parfois toute une région, de recommandations qui induisent un bridage des procédures disciplinaires. Mais ce mal, d’où vient-il lui-même ?

Casse-tête

D’abord, des limites matérielles qui s’imposent à l’institution : celles des élèves très violents, « poly-exclus », qui ne trouvent pas leur place dans les établissements ordinaires et qui circulent de collège en collège pendant les quatre longues années du premier cycle secondaire. Ce petit effectif constitue un véritable casse-tête pour l’administration de l’Éducation nationale, tenue de réaffecter l’élève en âge scolaire et qui tente de prendre une décision qui permettra réellement à l’élève de se rendre en cours.

Ensuite, il est vrai que quelques chefs d’établissement dégainent le conseil de discipline un peu vite. Se débarrasser rapidement d’élèves à problèmes interroge, par comparaison avec des établissements où un véritable travail éducatif est construit par les professeurs et la direction, qui permet d’éviter l’exclusion définitive tout en obtenant de réels progrès des élèves turbulents. Alors, il faut rappeler individuellement ces cadres à l’ordre, et non pas adresser des recommandations collectives qui nourrissent cette impression délétère de lâcheté et de politique du chiffre, toute une atmosphère de culpabilisation et d’isolement des acteurs qui aboutit au #pasdevagues. Les enseignants sont renvoyés à leur incompétence de pédagogue, incapable de susciter l’intérêt de la part d’élèves qui s’ennuient, le personnel de direction à son incompétence de chef, incapable de maîtriser une salle des profs qui demande la tête d’un gamin pas si difficile.

Prenons donc encore davantage de hauteur.

D’où vient-il, ce management mal compris qui consiste à culpabiliser les adultes (professeurs et direction) quand ce sont les élèves qui sont violents ? C’est cette école managériale qui consiste à se cantonner à agir sur les indicateurs visibles qui sont à notre main. Sous couvert de pragmatisme (je travaille sur ce qui dépend directement de moi), avec l’imparable argument du réalisme (que puis-je concrètement changer ?), il met les chefs d’établissement, mais aussi les DASEN et les recteurs, dans le couloir de la compétition statistique, les œillères sanglées sur la colonne « conseils de discipline ».

Nous y voilà.

Les causes sociales

Après trente ans de révolution conservatrice, sous-tendue par un demi-siècle de retour de ce refoulé réactionnaire pourtant dénoncé en 1968, tout ce petit monde a renoncé à travailler les causes sociales de la violence scolaire. Pour ceux qui sont friands de statistiques, tout est pourtant là, sous nos yeux. L’Insee apporte des réponses aux questions que nous ne nous posons plus : chômage, pouvoir d’achat, aides sociales, niveau de diplôme des parents, relais de la puissance publique (assistantes sociales, planning familial, vie associative, moyens de la Justice, de la Protection judiciaire de la jeunesse, des police et gendarmerie, etc.), tout ce qui peut permettre aux familles de vivre dignement et d’espérer dans l’utilité des institutions se délite, se fragmente, se tarit. Cette vague-là, celle de l’État-providence, se retire.

D’un coup de menton, on me demandera sans doute ce que je propose, qui relève des missions de l’école. Soit.

Pour commencer, des postes – accompagnés de la formation idoine – d’assistants d’éducation, de CPE (conseillers principaux d’éducation), de principaux et proviseurs adjoints, de directeurs adjoints de SEGPA (sections d’enseignement général et professionnel adapté), de coordonnateurs de classes relais ou d’ULIS (unités localisées pour l’inclusion scolaire), d’assistantes sociales, d’infirmières et de médecins scolaires, de psychologues de l’Éducation nationale, déjà, apporteraient un véritable mieux-être aux élèves de tous les collèges et de tous les lycées. Les élèves vont mieux quand les adultes sont là, au complet, prêts à répondre à tous leurs petits malheurs et grandes souffrances. Et les enseignants travaillent dans de meilleures conditions, épaulés par des professionnels qui les soutiennent et œuvrent avec eux auprès des élèves.

Mais on me dit dans l’oreillette que ce n’est pas une question de moyens et que de toute manière les Français paient trop d’impôts. Au temps pour moi : je croyais qu’ils voulaient une meilleure école pour leurs enfants.

Matthias Cyprien
Principal de Collège


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