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L’utile, pour combattre l’ennui
« J’ai toujours enseigné dans des classes particulières, auprès d’élèves auprès de qui le système classique ne fonctionne pas ». Son chemin professionnel a mené Monique Argoualc’h en classe de perfectionnement, en Segpa puis au dispositif relai Rive Droite de Brest. Là, elle a développé une initiative remarquée qui fait de ses élèves des formateurs aux usages d’Internet auprès de personnes âgées dans une résidence voisine. Intergénér@tions s’est développé, s’est ramifié, a tissé des liens avec les étudiants de Telecom Bretagne ou encore le centre culturel Mac Orlan. Soutenue par la ville de Brest au travers d’appels à projets, l’enseignante s’appuie sur des intervenants qui amènent une touche professionnelle aux réalisations des élèves. On ne s’improvise pas formateur pour personnes âgées, ni réalisateur ou monteur de vidéo. Et si les élèves sont les véritables auteurs ou acteurs de leurs projets, des professionnels viennent les épauler pour acquérir les compétences nécessaires et viser la qualité. C’est sans doute ce sérieux qui séduit les partenaires et surtout qui redonne confiance aux collégiens du dispositif dans leurs propres capacités.
Pour s’en convaincre, il suffit d’aller faire un tour sur le site Internet du dispositif relai et de regarder la vidéo « la doyenne d’Intergénérations ». Juanito, le jeune formateur, constate : « Cette personne âgée vient depuis dix ans et continue à venir à l’informatique, ce qui veut dire qu’elle continue à apprendre des choses et que cela lui plait encore ». A le regarder à la fin de la séquence plier et ranger avec douceur et application les lunettes de Marie-Louise, son élève, on pressent que ce qui s’est passé dans l’atelier est intensément porteur d’apprentissages fondamentaux, ceux qui aident chacun à vivre dans une société colorée de différences et à porter attention aux autres.
Comme dans un film
Juanito est co-réalisateur du reportage aux côtés de son enseignante et de Jean-Luc Roudaut, vidéaste et auteur-compositeur de métier. Cette contribution constitue une reconnaissance du travail effectué, qui boute le sentiment d’échec hors de cette classe pas comme les autres. « Je leur donne à faire quelque chose réellement. Je leur confie une mission. S’ils ne la font pas, alors rien ne sera fait. Je leur dis aussi que peut-être cela ne marchera pas, mais que si c’est le cas, on cherchera ensemble pourquoi cela n’a pas marché, et ce sera utile quand même ». En les laissant développer leurs propres idées pour produire un projet utile à d’autres, les élèves se sentent respectés. Le constat énoncé, Monique Argoualc’h le puise dans les productions déjà réalisées dans le cadre du dispositif relai. La mascotte Bubul a été créée avec une classe de maternelle et racontait dans un court métrage d’animation comment prendre le tram en toute sécurité. Avec les étudiants de Telecom Bretagne, une application pour tablettes dédiée aux personnes âges est en cours d’élaboration. Une enseignante en sociologie de cette école épaule la classe pour effectuer une enquête sur les usages d’Internet des adolescents hébergée par le site de l’Injep. Les élèves font le portrait filmé d’artistes en résidence au centre culturel Marc Orlan. Leurs réalisations seront projetées lors d’une soirée inscrite dans la programmation officielle de la salle de spectacle. A chaque fois, de nombreux savoirs sont mobilisés, en français, en mathématiques, en informatique, en art, et aussi des savoir-être précieux.
Faire la moitié du chemin
Inventer, inventer toujours, au fil de l’eau, en constatant les ramifications inattendues, les passerelles posées entre des mondes différents, les partenariats tissés, la posture réclame une énergie folle, demeurée intacte. « Ce qui me fait tenir, c’est la richesse des élèves que j’accueille. C’est une chance d’être avec des élèves qui m’amènent à réfléchir constamment sur ce que je fais ». L’enseignante prépare avec précision ce qu’elle propose mais n’est jamais sûre de ce qui va se produire. Une consigne qui lui semble évidente va être interprétée différemment, ce qui était prévu deviendra tout autre chose. L’important est pour elle ailleurs. Il est dans la mise en mouvement d’élèves passifs qui n’attendent plus rien de l’école. Comment les intéresser, comment les transformer en acteurs, comment chasser l’ennui et éveiller l’intérêt ? Pour Monique Argoualc’h, le regard est essentiel. « Si tu te dis que le gamin peut y arriver, que ce que tu proposes peut fonctionner, c’est la moitié du chemin ». Croire que c’est possible, le principe semble simple mais demande une authenticité à laquelle élèves et parents sont sensibles. Ne pas faire semblant et proposer des projets utiles où le faire ensemble est gage de réussite, l’objectif s’affiche comme un postulat pour retrouver un sens à ce que l’on apprend. La méthode sans doute pourrait s’appliquer ailleurs, dans les collèges ordinaires où l’ennui guette certains au risque de décrocher. Certes, les groupes accueillis par le dispositif relai sont de petite taille et la liberté pédagogique semble plus présente qu’ailleurs. Ils ne viennent pas en permanence et poursuivent une partie de leur scolarité dans leur collège de rattachement.
Le site du dispositif affiche les réalisations des élèves comme autant de liens possibles entre les deux lieux de scolarisation. Les passerelles tissées avec le secteur associatif, la ville de Brest, Telecom Bretagne, entre autres, l’enseignante aimerait les voir se créer également avec les collèges pour réfléchir et partager une méthode différente d’enseigner basée sur la mise en action et un regard positif, confiant. Elle souhaiterait aussi mobiliser beaucoup plus les parents pour les réconcilier eux aussi avec le système scolaire. « Je leur propose un atelier internet. Pour l’instant personne n’est venu. Mais je continue car je suis persuadée qu’à force de proposer, des parents vont venir ».
Et sans doute est-ce là aussi que se niche la force des projets de Monique Argoualc’h, dans cette confiance en leur réussite même s’ils deviennent autre que ce qu’elle avait prévu. Peut-être. Alors, on se prend à rêver qu’un jour des chercheurs viendront les voir de plus près pour comprendre ce qui se trame au dispositif relai Rive Droite et diffuser les ingrédients d’une approche pédagogique qui met le mot décrochage entre parenthèses.
Monique Royer
Le reportage « La doyenne d’Intergénérations »