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L’orientation, c’est l’affaire de tous – 1. Les enjeux

Pour les auteurs de cet ouvrage, les objectifs de l’orientation créent des enjeux pour un système éducatif considéré comme le soutien d’une croissance économique. Or, les moyens de l’orientation ne parviennent plus à combler la distance qui se creuse entre la formation, les environnements de travail et la demande sociale. L’école devrait former à la construction de la réalisation de soi et mettre l’accent sur les capacités de la personne, alors qu’elle continue d’orienter des flux à partir des résultats scolaires. Comment alors améliorer la performance du système d’orientation face aux enjeux de notre époque ?
Ce livre, bien documenté, témoigne chez les acteurs de l’orientation d’un vécu difficile. Ainsi, celui de la situation paradoxale du professeur à la fois juge et partie, confronté à une classification selon un « mérite » qui semble ne plus pleinement garantir les valeurs d’équité et d’égalité. Le système éducatif ne serait-il plus porteur d’orientation pour qu’il soit nécessaire d’empiler tant d’organisations externes régulatrices ? Tout ceci traduit un embarras profond qui développe un climat particulièrement tendu sur fond de crainte de déclassement social pour les familles. L’orientation, reflet des incertitudes sociales, est alors prise comme bouc émissaire d’une école qui, au dire d’un ouvrage à la mode, « fabrique des crétins ».
L’école planifiée semble mal s’accommoder d’une orientation professionnelle libérale. En 1973, l’instauration d’une codécision famille/école en la matière avait créé un équilibre durable. Aujourd’hui le problème du consensus éducatif se repose dans un nouveau contexte de mutations où l’emploi devient difficile à saisir. Il s’agit sans doute de bâtir un dispositif d’orientation adapté à une majorité de personnes qui, parce que les milieux où ils vivent les sollicitent en ce sens, souhaitent construire leur propre parcours et réaliser leur identité possible. Or, cette intention est inscrite dans les textes depuis plus d’une décennie.
Dès 1989, la loi préconisait l’élaboration d’un projet personnel, tendant de ramener l’orientation à l’échelle individuelle de construction de parcours, amenant ainsi à développer des conduites d’adaptation. Mais la rigidité du système hiérarchisé et spécialisé des filières autour desquelles les procédures légales d’orientation sont articulées a eu tendance à renforcer la situation inverse, celle où la décision finale d’orientation reste entre les mains de la seule école et de ses agents. L’introduction, en 1996, de l’éducation à l’orientation avec son accompagnement pédagogique et son obligation d’information tendait aussi à faire évoluer l’orientation française de la guidance directive vers une approche éducative. Il aurait été pertinent d’ajouter que, depuis onze ans cette démarche est restée expérimentale, basée sur le militantisme, sans moyens horaires, sans espaces spécifiques, sans recommandations méthodologiques, sans processus d’accompagnement évaluatif, sans gouvernance des experts de l’orientation. Elle n’a, de plus, jamais concerné les lycées professionnels où pourtant les problèmes d’abandon sont très nombreux et l’orientation loin d’être terminée. Côté pédagogique, sans doute serait-il utile de développer les nombreux apports d’enseignants, de Cop, de parents, et de cadres, très investis dans leur mission, donnant enfin corps à la fantomatique « équipe pédagogique », révélant tout le sens de la notion de « communauté scolaire » et participant du décloisonnement des disciplines. Ces équipes s’appuient sur un ensemble non négligeable de moyens consacrés à l’orientation et savent les utiliser de façon pertinente. Le souci de mieux administrer cette composante éducative qu’est l’orientation les anime et c’est aussi ce qu’attendent les citoyens.
Côté pilotage, on souligne en effet un certain flou institutionnel qui édite des injonctions fortes mais laisse dans l’ombre les leviers profonds de la régulation.
Cette attitude a entraîné un investissement massif dans les filières générales chargées d’espérance. Dans ce contexte, l’institution, disent les auteurs, fait ce qu’elle peut et non plus ce qu’elle veut, tant les stratégies individuelles, soutenues par un marché éducatif parallèle, exigent de la performance et prennent le pas sur le collectif.
Alors, constatent les auteurs, les frustrations dans les projets individuels sont à la hauteur des ambitions déçues. Un nouvel équilibre semble donc à trouver entre choix individuels et choix contraints. Il convient de réconcilier les conceptions éducatives et utilitaires de l’orientation. Un nouvel espace de dialogue doit s’ouvrir sur le sens des disciplines et de leur intégration dans une démarche partagée. L’approche orientante généralisée au Québec est à ce propos évoquée. Mais alors il convient de lever les paradoxes institutionnels pour permettre une vraie libération de l’initiative locale assortie d’une évaluation à laquelle pourraient participer les parents.
Sans doute faudrait-il considérer enfin que l’orientation, comme la formation, ne s’arrête plus avec l’enfance et à la porte de l’école et passer à une approche plus dynamique d’apprenance. Mais cela est déjà une autre histoire, et peut-être le thème du tome II à venir. Merci aux auteurs pour cette vision pertinente et rendez-vous pour la suite…

Jean-Marie Quiesse


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