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Intégrer les parents dans un marché des connaissances

Depuis trois ans déjà, les marchés de connaissances ont pris vie dans ma classe. Je pense qu’en mettant en place cette pratique, on met en avant le fait qu’apprendre ne se fait pas seulement en classe ni uniquement sur des matières scolaires. Dans notre société, les possibilités d’apprendre sont nombreuses. Hors du cadre scolaire, les enfants peuvent le faire par l’intermédiaire de clubs sportifs, d’un cours de musique, d’Internet ou même lorsqu’ils sont en contact avec d’autres personnes de leur entourage. Mais pas seulement : avoir chez soi des occasions de « ne rien faire » permet aux enfants d’imaginer, de créer… Toutes ces connaissances acquises à l’extérieur peuvent être enrichies et valorisées à l’école. Je pense ainsi qu’un des rôles de l’école est de leur montrer qu’il est possible d’apprendre partout et d’aider les élèves à apprendre à apprendre. Je citerai en exemple, la façon dont une élève explique la manière dont elle a appris à faire de la salade de poivron : « Ma maman en fait toutes les semaines. J’ai regardé comment elle faisait. Ensuite, je l’ai aidée. Et maintenant, je sais la faire toute seule. »

Dans un premier temps, j’ai commencé par installer les marchés de connaissances au sein de ma classe. Mes élèves en ont parlé dans leur famille, à leurs frères, leurs sœurs. Du coup, certains collègues ainsi que des élèves d’autres classes s’y sont intéressés à leur tour. Depuis, nous en organisons un une fois par mois. Tantôt avec une autre classe, tantôt avec plusieurs classes, parfois avec tout un cycle. Il faut savoir que plus nous sommes nombreux, plus l’organisation doit être importante et rigoureuse. Cependant, cela en vaut vraiment la peine. Nous avons l’impression de mieux connaitre les enfants de notre école. Les élèves ont l’occasion de faire des rencontres tant avec d’autres adultes qu’avec d’autres enfants, ils ont la possibilité de se trouver face à des personnes qu’ils n’auraient peut-être pas côtoyées si la classe ne s’était pas ouverte.

Organisation

Voici mon organisation du marché de connaissances. D’abord, quinze jours avant la date, j’annonce qu’un marché de connaissances va être organisé. Puis, un tour de parole est effectué et chacun annonce la compétence qu’il propose. Les « savoirs » peuvent être scolaires ou non. Les élèves s’inscrivent dans les différents ateliers proposés. Le marché dure deux heures et chaque atelier dure quarante-cinq minutes et est proposé pour deux tours. Chaque élève choisit donc deux ateliers. À la fin du marché, chacun s’exprime sur ce qu’il vient de vivre. Les enfants donnent leur ressenti, annoncent au groupe ce qu’ils ont appris…
Voici le tableau d’inscription :

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Tâches des uns et des autres :

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Sur le plan pédagogique, j’ai pu remarquer que cette organisation aidait les élèves à travailler l’autonomie fonctionnelle (c’est l’autonomie qui permet d’agir pour soi-même, sous la forme d’une autocontrainte ou d’une autodiscipline), mais aussi l’autonomie morale (c’est celle qui permet de choisir pour soi-même). Les répercussions en classe sont nombreuses : le sentiment de compétence, le développement de la confiance en soi, la coopération…

Le plaisir d’apprendre est aussi présent. Pourquoi ? Car les élèves ont le sentiment d’être à l’origine de l’activité, ils sont attirés par la connaissance et, en fin de marché, ils ont une sensation d’accomplissement, ils sont heureux d’avoir appris quelque chose.

Ceci dit, pour que ce soit efficace pour tous, il est important de veiller à ce que ce ne soient pas toujours les mêmes qui apportent et les mêmes qui reçoivent. La réciprocité a toute son importance. Comme me l’a dit un jour Claire Héber-Suffrin : « Qu’est-ce que ça fait à l’autre de n’être que celui qui est aidé ; de n’être jamais attendu vraiment pour ce qu’il peut apporter aux autres, pour ce en quoi il est unique ? »

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Et les parents ?

L’habitude étant bien installée dans l’école, j’ai pensé que les enfants devaient sans doute en parler à la maison. Mais les parents ont-ils conscience de ce que sont les marchés de connaissances ? En ont-ils déjà vécu eux-mêmes ? Il est probable que non. Tous les ans, nous avons une journée portes ouvertes dans l’établissement. J’y ai vu une occasion de faire découvrir cette expérience aux parents. Environ quinze jours avant, j’ai demandé aux élèves de me dire en quoi leurs parents étaient « forts » ?

Qu’est-ce papa / maman sait vraiment bien faire ?

Et là, les réponses ont fusé :

« Moi, mon papa est super fort en calcul. »
« Ma maman sait faire de très belles compositions florales. »
« Mon papa dessine très bien. »
« Maman peut nous apprendre à écrire notre prénom en arabe. »

Ensuite, j’ai demandé aux parents s’ils souhaitaient tenir un atelier ou s’ils préféraient y participer. Ils ont répondu favorablement, tant pour présenter un atelier que pour y participer. Ce qui était intéressant, c’était que les parents ne se rendaient parfois pas compte eux-mêmes d’une de leurs compétences. Certains se sont sentis flattés par leur enfant, d’autres étaient un peu gênés dans un premier temps.

Quelques ateliers qui ont été proposés par mes élèves le jour des portes ouvertes :

  • Apprendre aux parents à travailler avec les fiches de nombres.
  • Trucs et astuces pour avancer dans les ceintures de comportement.
  • Apprendre à faire des scoubidous.
  • Apprendre à grimer à partir de livres.
  • Apprendre à dessiner avec une technique pop-up.
  • Apprendre à réaliser des dessins avec des instruments de géométrie (compas, équerre…).
  • Quelques ateliers proposés par des parents :
  • Apprendre à grimer (réalisé en duo avec une élève de la classe).
  • Apprendre à réaliser des compositions florales.
  • Apprendre à dessiner.

Le jour des portes ouvertes, c’était formidable ! Certains parents étaient inscrits dans un atelier proposé par un enfant. Des enfants dialoguaient avec d’autres parents, les parents s’intéressaient à ce que les enfants disaient et inversement. Ce qui m’a vraiment émerveillée, c’était l’ambiance conviviale et apprenante qui régnait.

À la fin du marché, nous avons fait un bilan parents-enfants et moi-même sur les échanges. Certains ont trouvé que le temps était passé très vite, d’autres ont apprécié de découvrir certaines activités de classe en « les vivant de l’intérieur ». Ils ont aimé avoir d’autres retours qu’uniquement celui de leur enfant. Les enfants étaient fiers de présenter des connaissances aux parents. Ces derniers étaient ravis d’échanger avec d’autres parents, de prendre conscience des « talents » de chacun. Vraiment, ce fut une belle expérience, tant sur le plan pédagogique qu’humain. Les mots ne suffiront jamais pour décrire ce qui a été fait et je pense sincèrement qu’on arrive à bien comprendre uniquement ce que l’on vit.

Angélique Libbrecht
Institutrice en 2e primaire (Belgique)