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Grilles, fiches et portfolio

Peut-on faire en sorte que l’évaluation, domaine réservé du professeur, soit aussi l’affaire des élèves et serve davantage aux apprentissages qu’à la sélection ? Une expérience conduite concrètement en histoire-géographie au collège et où on utilise des outils formatifs : des grilles de réussite par compétences et le portfolio.

« Monsieur, est-ce que c’est noté ? » « Est-ce que ça va compter dans la moyenne, Madame ? » Ces questions trop souvent entendues montrent que l’évaluation scolaire n’est perçue chez nos élèves que comme une série de points à cumuler, à « collectionner ». Ce n’est que trop rarement un moyen mis au service de l’apprentissage et les enseignants utilisent peu l’évaluation dans une perspective vraiment formative. Elle est encore souvent vue par tous — élèves, parents, professeurs — comme un moyen de positionner un individu par rapport aux autres et utilisée pour mesurer une performance, pas assez comme un outil d’apprentissage en soi.

D’autre part, elle reste trop souvent « l’affaire » du professeur et pas assez celle de l’élève.

Aussi, nous avons décidé dans le cadre d’un projet de recherche innovation d’essayer divers outils dans nos classes et avons cherché à :

  • mettre davantage l’évaluation au service des apprentissages, et non de la sélection ;
  • montrer que la notation n’est pas la seule façon d’évaluer ;
  • faire de l’évaluation un outil pour l’élève et non seulement pour le prof ;
  • faire en sorte que l’évaluation ne soit pas source de démotivation.
Une grille d’évaluation par compétences disciplinaires

Nous avons mis en place avec nos classes de 6e et 3e une évaluation par compétences à partir d’une grille. Pour chaque évaluation, la compétence évaluée est indiquée en face de la question et le niveau d’acquisition est complété par le professeur ou par l’élève lui-même quand il s’agit d’évaluation formative dans le cadre d’une activité de classe. Le résultat est ensuite reporté dans la grille d’évaluation.

Cette grille présente de nombreux avantages ; en premier lieu celui de nous faire mieux connaître les élèves, leurs acquis, leurs difficultés, leurs progrès… Sa lecture permet de tracer d’eux un « portrait » en termes de compétences. Elle permet aussi aux élèves de mieux cerner leurs réussites et leurs difficultés (bien plus que la note !). Elle évite ainsi pour certains élèves de se décourager et de se démotiver face à une mauvaise note. Ils peuvent voir, avec l’aide du professeur, qu’ils n’ont pas que des compétences non acquises mais aussi des réussites. L’élève se connaît mieux. Il ne « vaut » plus 12, mais repère ce qu’il sait et ne sait pas encore faire et il peut ainsi adapter ses stratégies de travail en fonction de cette grille. L’enseignant de son côté, peut davantage différencier ses activités : faire travailler aux élèves les compétences qui ne sont pas encore maîtrisées ou au contraire s’appuyer sur ces compétences pour aborder des objectifs de connaissance. En cela, l’évaluation est bien mise au service des apprentissages et la grille n’est pas utilisée pour « objectiver les notes ».

Les élèves commencent au bout d’un certain temps à montrer autant d’intérêt aux cases noircies qu’à la note. Ils deviennent assez vite autonomes dans la tenue de la grille. Par contre, ils n’ont pas toujours le réflexe d’aller voir à quoi correspondent les codes, se contentant de vérifier s’ils ont des acquis ou non. « J’ai acquis l’objectif Co4 » plutôt que « je connais le vocabulaire » ! La classe qui disposait d’un portfolio {cf. ci-après) semble l’avoir mieux utilisée. Les élèves sont parvenus en fin d’année à mettre des mots sur l’acte d’apprendre. Les réponses du type « j’ai progressé en histoire » ont été remplacées par « je sais analyser une affiche de propagande »…

Autres limites de cette pratique : le temps de correction d’une copie est multiplié par deux et certaines tâches complexes entrent plus difficilement dans la grille car elles mobilisent plusieurs compétences. D’autre part, la grille nécessite un temps important d’appropriation en classe.

Des fiches d’objectifs

Nous avons fait le choix de donner aux élèves pour chaque séquence la liste des objectifs que nous leur assignons aussi bien les connaissances que pour les compétences. Les élèves y retrouvent le même « codage » que pour la grille d’évaluation.

Ces fiches ont été utilisées soit comme outil de révision, de préparation de contrôle (par le biais de l’auto-évaluation) soit davantage intégrées aux séances d’apprentissage. Distribuées en début de séquence, elles donnent sens à la leçon, permettent d’en accompagner la progression et de guider les révisions. Certains élèves y voient une aide véritable qui leur est vite devenue indispensable : ils réclament la fiche ! C’est à leur demande que nous les avons distribuées en début de séquence et non plus à la fin.

Par contre, elles semblent en gêner d’autres qui y voient une contrainte inutile. Ils n’ont toutefois pas obligation de l’utiliser. Il s’agit souvent d’élèves très « scolaires » ayant de l’histoire-géographie-ECJS une représentation figée : une matière où il suffit d’apprendre par cœur un résumé… Aussi, ils n’entrent pas dans la démarche proposée.

Toutefois, l’enquête réalisée en fin d’année montre que cet outil est bien plus apprécié que l’usage fait en cours d’année ne nous l’avait laissé supposer. La majorité des parents le juge positif, aidant l’élève à se retrouver et les aidant, eux, parents, à guider leur enfant dans le travail de révision. Par contre, certains nous ont fait part de leur difficulté à faire le lien entre la fiche et le cahier.

Travailler les critères de réussite avec nos élèves

Nous avons aussi commencé à développer au sein des classes une réflexion autour des critères de réussite des tâches demandées dans ces matières. Des exercices de remédiation et d’entraînement aux compétences travaillées, pour lesquels la réflexion sur l’erreur est au cœur du processus d’apprentissage et de maîtrise, leur ont été proposés.

Ainsi autour de la rédaction du paragraphe argumenté en 3e :

  • Les élèves avaient eu à produire un paragraphe argumenté.
  • La fois suivante, le professeur leur a distribué une série de productions d’élèves.
  • Par groupe de quatre, les élèves ont eu à lister « ce qui allait » et « ce qui n’allait pas » dans chacun de ces paragraphes…
  • … puis, à partir de ce travail à lister les critères de réussite d’une telle tâche.
  • La mise en commun en classe entière a permis d’élaborer une grille mise à disposition des élèves pour toute l’année, éventuellement évolutive et qui servira de base aux grilles d’auto-évaluation des productions ultérieures.

Une telle pratique permet aux élèves et au professeur de clarifier les attentes et rend ainsi l’évaluation plus lisible. Surtout, les élèves possèdent dès lors un « mode d’emploi » de la tâche demandée. Ils gagnent en confiance : ils craignaient cet exercice, un tel travail les rassure. Toutefois, avec le temps, il apparaît qu’ils ne pensent plus à utiliser cette fiche alors qu’ils n’ont progressé (et c’est normal) que sur quelques-uns des critères établis. Il faut donc pour le professeur les renvoyer sans cesse à cet outil mis en place en début d’année. Mieux, en réutilisant cette fiche dans le cadre des séances de correction, on peut la faire évoluer. Certains critères, de forme notamment, qui paraissaient essentiels aux élèves au début de l’apprentissage tombent au profit d’autres qui révèlent une perception plus fine de la tâche à réaliser.

Des pratiques d’auto-évaluation

Ces pratiques au centre de notre problématique de départ ont pris des formes très diverses.

À l’issue d’un exercice fait à la maison ou en classe, on invite les élèves à indiquer sur leur grille le degré d’acquisition de la compétence travaillée. Hésitants au début, ils se montrent assez vite capables de prendre la responsabilité de cette évaluation.

Après un corrigé proposé par le professeur ou élaboré à partir de plusieurs productions, les élèves construisent et complètent un tableau pour leur propre travail : « ce qui va », « ce qui ne va pas » dans mon texte, mon croquis, ma carte…

Cette technique a quelque peu « perturbé » les élèves (et certains parents) qui ne concevaient pas en début d’année de laisser des erreurs dans un cahier. Il a fallu parfois interdire l’usage de la gomme et de l’effaceur !

En classe de 3e, après un contrôle, les élèves ont à leur disposition une fiche d’auto-évaluation de leur paragraphe argumenté qui reprend les critères établis par eux en début d’année, « affinés » en fonction du sujet.

Le portfolio

Enfin, nous avons distribué aux élèves un portfolio qui doit les amener à diverses reprises dans l’année à avoir un regard réflexif sur leurs résultats, leurs difficultés et leurs progrès. Les parents sont associés à la démarche.

Il s’agit pour les élèves de nous présenter en fin de période une sélection de leurs travaux afin d’y repérer leurs points forts, leurs progrès et leurs lacunes.

La démarche se décompose en trois temps :

  • le temps de la sélection des travaux,
  • le temps de l’analyse,
  • le temps de la décision (quel défi prendre face à cette analyse pour progresser ?) à laquelle participent parents et professeur.

Il a été ramassé deux fois dans l’année.

Cet outil permet de mettre en avant les réussites des élèves : nous avons fait le choix de partir de celles-ci. Les évaluations ne sont plus une fin, collées dans le cahier et plus jamais utilisées, mais sont réutilisées pour une analyse de la période écoulée.

Par contre, cette pratique nouvelle a pu perturber les élèves ne voyant pas où on voulait les amener. Ainsi, pour les aider à compléter le leur, les élèves de 6e ont pu consulter les portfolios de leurs camarades de 3e. Mais une fois complété, il semble que désormais l’outil soit mieux maîtrisé.

Le premier bilan est largement positif Les élèves nous ont surpris quant à la qualité du travail d’analyse effectué. Reste à évaluer son impact sur les méthodes de travail, les progrès… Tenir un portfolio ne doit en effet pas être une fin en soi, mais bien un outil pour progresser. « C’est intéressant, je le fais avec plaisir mais je ne vois pas en quoi cela va m’aider » (Marlène, 3e). Pour être efficace à long terme, cela nécessiterait un investissement et un suivi individualisé. Replaçant l’évaluation au cœur du processus d’apprentissage, nous nous sommes heurtés concrètement au problème de l’articulation du portfolio avec le cahier, car du coup ces exercices devenaient à la fois des outils d’évaluation (entraînement à des compétences) et des objets d’apprentissage appelés à figurer dans le corpus de la leçon. Il faudrait faire évoluer l’outil portfolio vers quelque chose qui serait plus de l’ordre du carnet de bord que de la « compilation ».

Au final, les élèves l’ont jugé intéressant mais ils sont plusieurs à nous demander de le simplifier. Il leur semble le plus complexe car c’est sans doute le plus « innovant » donc le plus perturbant.

Les parents ont été assez séduits par le portfolio. Est-ce le fait d’être associés à la démarche ? Ils ont tous pris la peine de compléter les rubriques qui leur étaient assignées, apportant souvent un éclairage intéressant. Beaucoup notent son intérêt pour « mesurer » les acquis réels de leur enfant. Ce qui était l’un de nos objectifs prioritaires pour les élèves : mieux se connaître en terme de compétences et de connaissances acquises ou non, a finalement davantage été atteint pour les parents : mieux connaître leur enfant… L’évaluation a ainsi peut-être été moins vécue par eux comme une compétition (« quelle est la place de mon enfant dans la classe, par rapport aux autres ? »). En cela, c’est très encourageant. Certains parents de 6e nous ont confié que compléter le portfolio avait aidé leur enfant à progresser. Il nous fut aussi très agréable d’entendre une maman faire référence au « défi » que s’était fixé sa fille. Toutefois, la note reste pour eux le meilleur moyen d’apprécier les progrès de leur enfant. En cela, leurs réponses et leur comportement peuvent paraître un peu contradictoires !

Mieux connaître nos élèves

Nous pensons que certains des objectifs que nous nous étions donnés ont été atteints pour les élèves. Ils ont sans doute modifié un peu leur vision de l’évaluation, mais pas autant que nous l’aurions souhaité. Ainsi, pour eux, l’évaluation demeure l’affaire du prof sans être vraiment celle de l’élève et ce, malgré les pratiques d’auto-évaluation que nous avons essayé de développer. Toutefois, l’enjeu de la note est parfois devenu complètement accessoire, la meilleure preuve étant que certains élèves nous demandaient de continuer à évaluer leurs productions alors même que les moyennes étaient arrêtées.

En ce qui concerne notre rôle d’enseignants, ces outils et pratiques nous ont beaucoup aidés à mieux connaître nos élèves. Ainsi, nous nous sommes sentis bien plus « performants » pour remplir les bulletins et pour dresser un bilan des périodes écoulées lors des rencontres avec les parents. Alors que nous aurions souhaité que les élèves apprennent a mieux se connaître, c’est finalement au prof que la démarche a le plus apporté dans ce domaine !

Désormais cette action est inscrite au projet d’établissement. Une équipe pluridisciplinaire s’est constituée. Il ne s’agit pas forcément d’harmoniser nos outils (même si cela a été fait pour l’évaluation par compétences avec les grilles de quatre disciplines) ni de mettre en place des outils transversaux. Notre volonté est plutôt de travailler chacun dans nos matières avec les mêmes objectifs, à savoir :

mettre davantage l’évaluation au service de l’apprentissage (et moins de la sélection), développer l’auto-évaluation, en utilisant les outils expérimentés et en les adaptant chacun à nos disciplines et à nos pratiques.

Nous nous inscrivons dans la durée. Nous ne souhaitons pas aller trop vite et voulons affiner cette démarche petit à petit… pour parvenir, pourquoi pas, à nous passer des notes dans quelques années…

(Cahiers pédagogiques n° 438, « L’évaluation des élèves », décembre 2005)

Laurent Fillion
Professeur d’histoire-géo-éducation civique au collège de l’Europe à Ardres (62), formateur associé à l’IUFM Nord-Pas-de-Calais.
Marie-Andrée Vanhove
Professeur d’histoire-géo-éducation civique au collège Robert le Frison à Cassel (59), formatrice associée à l’IUFM Nord-Pas-de-Calais.