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Franchir les barrières de l’innovation pédagonumérique
L’intégration pédagogique d’une nouvelle technologie à l’école a toujours été un défi pour les enseignants, leurs élèves et les parents ; pour l’intelligence artificielle (IA), cela ne sera pas très différent. Bien que la recherche dans ce domaine n’ait pas encore montré s’il existe des barrières bien spécifiques à l’IA, il faudra certainement composer avec les mêmes types d’obstacles qu’auparavant. Seuls quelques-uns mal surmontés pourraient compromettre les efforts des enseignants visant à faire utiliser cette technologie par leurs élèves de manière régulière, réfléchie et efficace.
Les barrières externes (à l’acte pédagogique) concernent l’absence d’un leadership positif dans l’établissement, la difficulté d’accès à du matériel récent, l’absence de supports techniques et pédagogiques efficaces. Une autre barrière de premier ordre à surmonter est celle de l’ingénierie de formation.
En effet, les établissements doivent impérativement structurer, favoriser et accompagner des actions de développement professionnel diverses et variées sur la littératie de l’IA chez les enseignants. L’intégration de l’IA exige également des mises à jour régulières des connaissances sur les outils, une planification rigoureuse des interventions et des objectifs clairs, un cadre règlementaire bien défini et une attention particulière portée aux questions d’éthique et d’inclusion.
Cependant, s’attaquer à ces premiers obstacles n’est pas suffisant.
Des barrières internes aux enseignants doivent être prises en compte. Parmi celles-ci figurent leurs croyances envers les technologies éducatives et la pédagogie en général, leurs attitudes, les connaissances acquises, le sentiment d’autoefficacité professionnelle, les expériences avec les technologies en classe, et le désir d’innovation pédagogique. Ces facteurs de second ordre influent directement sur la qualité des usages pédagogiques numériques.
Afin de surmonter ces obstacles et d’observer des effets positifs chez les élèves, les enseignants doivent s’engager dans des programmes de formation élaborés. Leur ingénierie pédagogique doit posséder des caractéristiques favorisant la transformation des pratiques en classe, allant au-delà de la simple transmission de connaissances sur l’IA. C’est précisément ce que nous étudierons de près au cours des cinq prochaines années dans le cadre d’un projet de recherche interuniversitaire d’envergure financé par le gouvernement du Canada.
Récemment, plusieurs études sur l’intégration pédagogique des technologies ont fait ressortir l’importance du manque de design thinking ou de pensée conceptuelle, comme une barrière de troisième ordre. Ce terme reflète « la création dynamique de connaissances et de pratiques par les enseignants lorsqu’ils sont confrontés aux progrès des technologies et aux possibilités pédagogiques qui y sont associées. Elle cherche à changer et à améliorer les situations actuelles et à créer ce qui est désiré1. » La venue de l’IA en éducation accélèrera certainement son importance.
Pour offrir une activité pédagogique de qualité avec le numérique, l’enseignant doit détenir des connaissances interreliées entre le contenu à enseigner, la pédagogie et les technologies. C’est là qu’intervient le modèle Tpack (Technological, Pedagogical and Content Knowledge), dont les trois dimensions cruciales sont représentées dans le schéma ci-dessous.
Mais ces savoirs ne suffisent pas en soi. Le design thinking cherche à les articuler en toute cohérence pour planifier une séquence pédagogique complexe. Ainsi, comme nous le faisons en formation, nous pourrions ici parler d’une articulation entre Tpack (axé sur les connaissances enseignantes et son contexte scolaire) et le modèle SAMR (Substitution, augmentation, modification et redéfinition ; développant le rôle de l’outil technologique dans l’intention pédagogique).
Ainsi, s’appuyer sur la taxonomie des compétences du domaine cognitif (fondement du modèle SAMR) pourra aider les enseignants à offrir des scénarios pédagogiques favorisant la motivation, la métacognition et la pensée critique des élèves.
Cela revient à se poser la question sous cette forme : comment puis-je, avec mes connaissances, réaliser une activité pédagonumérique visant le plus efficacement possible l’atteinte d’objectifs d’apprentissage de haut niveau, et ce, selon les spécificités de mon contexte et les besoins de mes apprenants ?
Prenons l’exemple d’une situation en enseignement du mandarin langue étrangère au secondaire, comme de plus en plus d’écoles le proposent aujourd’hui. Dans un premier temps, l’enseignant devra clarifier le contenu d’apprentissage (Content Knowledge ou CK), par exemple, améliorer la qualité de la prononciation des tons en mandarin à partir de caractères connus. Ensuite, il devra choisir la meilleure stratégie pédagogique (Pedagogical Knowledge ou PK) pour atteindre cet objectif, par exemple, opter pour une structure coopérative avec des flashcards à lire aux équipiers.
Cela relève de l’intersection entre le pédagogique et le contenu (PCK, Pedagogical Content Knowledge). L’enjeu est de savoir comment intégrer les connaissances de l’enseignant sur les contenus avec des approches pédagogiques appropriées pour optimiser l’apprentissage.
Avec l’arrivée massive des technologies en classe, certains auteurs ont proposé de rajouter une troisième dimension : les connaissances technologiques (Technological Knowledge ou TK). Ainsi, en utilisant ses connaissances technologiques, un enseignant pourrait se demander comment articuler ses connaissances sur les technologies avec celles sur la pédagogie (Technological Pedagogical Knowledge, ou TPK).
Autrement dit, comment le numérique peut rehausser la qualité de la pédagogie ? Par exemple, un enseignant peut connaitre un outil permettant aux élèves de coévaluer leurs productions et celles de leurs coéquipiers.
Enfin, une dernière interaction existe : celle du numérique avec le contenu (Technological Content Knowledge – TCK). Ici, l’enseignant doit réfléchir à comment la technologie peut aider à mieux représenter ou manipuler la notion à apprendre. Par exemple, l’enseignant peut connaitre un outil d’IA fournissant une rétroaction visuelle sur la qualité de la prononciation des élèves.
En somme, c’est l’articulation des trois ensembles de connaissances (technologie, pédagogie, contenu) qui permet à l’enseignant de choisir la technologie appropriée pour rehausser la qualité de l’expérience de l’apprenant. Mais comme mentionné, cela ne suffit pas.
Lors de l’intégration du numérique à une situation pédagogique, l’enseignant doit se demander jusqu’à quel niveau d’engagement cognitif il souhaite amener ses élèves. Selon le choix, il se réfèrera à la taxonomie de Bloom et au modèle SAMR.
Ainsi, il pourrait simplement choisir de faire mémoriser (premier niveau taxonomique) ou de comprendre (deuxième niveau) des caractères chinois à l’aide de Quizlet. Dans cette situation de substitution (S), la technologie apporte peu de bénéfice par rapport au papier. Il pourrait choisir de faire appliquer une notion (troisième niveau), comme la prononciation des tons, avec un logiciel comme Chinese Pronunciation AI (CPAIT) ; apportant ainsi un aspect d’augmentation (A), par la rétroaction instantanée. Ces deux premiers niveaux de SAMR cherchent simplement à améliorer la situation d’apprentissage.
Ensuite, l’enseignant peut chercher à carrément transformer la situation par la technologie; en préparant une activité qui s’avèrerait impossible sans elle. D’abord, en modifiant la tâche (M) pour permettre aux élèves d’analyser (quatrième niveau taxonomique) une notion avec le numérique ; par exemple avec une représentation 3D du caractère chinois et de ses origines graphiques et sonores.
Finalement, l’enseignant peut permettre à ses élèves d’autoévaluer leurs compétences (cinquième niveau) à travers la création (sixième niveau) d’une présentation vidéo métacognitive expliquant leurs apprentissages et point de progrès sur la prononciation en mandarin; puis publier cela dans iDoceo Connect pour recevoir une rétroaction audio avec une rubrique descriptive annotée par leur enseignant et certains camarades. Ici, la tâche est redéfinie (R) d’une façon innovante et elle serait impossible sans la technologie.
En somme, le design thinking représente la capacité de l’enseignant à autoévaluer ses connaissances technopédagogiques (Tpack), l’amenant à s’interroger sur les possibilités connues et à mettre à jour ses connaissances. Ainsi, il sera davantage en mesure d’offrir des situations de différents niveaux taxonomiques (SAMR), en fonction des besoins de ses élèves et des ressources technologiques disponibles dans son établissement.
En résumé, pour que l’utilisation pédagogique des outils technologiques soit une réussite, l’enseignant doit questionner et chercher à surmonter en collaboration avec tous les acteurs ces trois types de barrières. Cela garantira une utilisation efficace de l’IA, favorisant des pratiques pédagogiques innovantes et adaptatives.
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