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Éveiller à la conscience écologique

«Papa, tu es professeur de sciences au collège et tu ne fais rien pendant la conférence de Paris sur les changements climatiques ?» Voici les paroles de ma fille, élève de quatrième dans le même collège que moi, en ce début d’année scolaire 2015-2016.

Effectivement, j’aurais pu faire une exposition pour expliquer l’ampleur de la catastrophe annoncée. Ou même expliquer comment cette catastrophe allait arriver… Mais je trouvais cela tellement triste pour tous ces jeunes de leur réserver un avenir avec «au mieux, seulement 2 degrés de plus pour l’atmosphère», comme l’accord de Paris a tenté de le faire…

Alors j’ai décidé de prendre le problème autrement et de chercher comment limiter la catastrophe, avec eux, comme le colibri de la légende amérindienne qui «fait sa part» pour tenter d’éteindre l’incendie dans la forêt, goutte après goutte.
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C’est ainsi que j’ai réalisé une exposition accompagnée d’un questionnaire-jeu sur les changements climatiques (ci-dessous).
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Une exposition interactive avec quatre expériences à manipuler en autonomie. Sur l’albédo en rapport avec la surface blanche de la glace, sur la dilatation des océans sous l’effet de la chaleur, sur le fonctionnement des cellules photovoltaïques et sur l’effet de serre en milieu fermé. Tout ceci accompagné de posters, d’articles de journaux sur le déroulement de la COP 21 au jour le jour, et surtout d’une «permanence» pendant l’exposition.

S’approprier en manipulant

Une permanence pour surveiller le matériel, certes, mais surtout pour laisser les élèves libres de manipuler, de s’approprier les expériences, et parfois de réinventer des manières inattendues d’utiliser le matériel. Comme ces groupes d’élèves qui posaient l’un après l’autre leurs mains sur le radiateur du collège avant de toucher le récipient plein d’eau pour faire monter le niveau le plus haut possible dans un tube en verre. Ils avaient compris le phénomène de dilatation et ils se lançaient le défi de faire monter l’eau toujours plus haut.

C’est cela qui est important: que les jeunes s’approprient à nouveau la science, qu’ils fassent preuve d’initiative pour pouvoir relever les défis du monde qui les attend. Il faut qu’ils aient tous une vraie culture scientifique pour ne pas laisser la science aux mains d’une élite. Que la science devienne plus démocratique, avec de vrais débats sur ses conséquences et sur les décisions à prendre. Une science qui va de pair avec une conscience scientifique du plus grand nombre. La science est devenue tellement puissante qu’il faut un contrôle du peuple, et pour cela un vrai accès de tous à la culture scientifique. Les dérèglements climatiques liés aux activités humaines en sont la preuve…

La pièce centrale de cette exposition était un grand disque vertical représentant la planète Terre avec ses continents tracés en noir sur fond blanc. Les élèves pouvaient ainsi noter leurs engagements personnels pour la Terre avec des feutres verts pour les zones humides, bleus pour les océans et beiges pour les déserts. Le but étant de colorer cette carte et de lui «donner vie» en douze jours avec des paroles de collégiens allant dans le sens du respect de l’environnement et de la lutte contre le réchauffement climatique. Avec des engagements concrets dans leur vie de tous les jours. Pour écrire ensemble le monde de demain.

Mobiliser toutes les disciplines

Pour cela tous les enseignants du collège avaient été invités à parler des changements climatiques et des gestes de nos vies quotidiennes en rapport avec. Une sorte d’enseignement pratique interdisciplinaire avant l’heure. Mais surtout un moyen d’aborder le sujet sous différents angles pendant la COP 21: d’un point de vue scientifique, géographique, mathématique, littéraire, et même dans des langues et cultures étrangères comme certains élèves sont venus le noter sur la carte.

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Les jeunes actuels savent ce qui est bien ou non en matière d’environnement. Tous les collégiens d’aujourd’hui sont nés au cours de ce nouveau siècle. Tous les programmes scolaires qu’ils ont connus parlaient déjà de développement durable. Mais ce qu’ils ne savent pas, c’est ce qu’ils peuvent faire eux, concrètement, pour limiter ce phénomène de dérèglement climatique. Ou du moins c’est encore flou pour eux. Il faut dire aussi que les adultes autour d’eux ne leur montrent souvent pas le bon exemple! D’où l’importance de l’enseignement une fois de plus. C’est à leurs professeurs de les faire réfléchir, de les mettre sur la voie de comportements moins énergivores et plus respectueux de l’environnement. C’est à leurs professeurs de leur montrer les chemins possibles, et de les laisser décider.

Manger ou ne pas manger de viande ?

Mais les réactions de certains élèves n’étaient pas toutes encourageantes pendant cette COP 21. En évoquant la nécessité de manger moins de viande, notamment du bœuf à cause des rejets de méthane de ces animaux et des cultures de céréales qui servent à nourrir du bétail et non des hommes, plusieurs semblaient presque désespérés. L’un d’eux, en quatrième, a même dit «je me suicide si je ne peux plus manger de viande!». Une autre élève, en troisième, a été très surprise d’apprendre que le steak haché dans son assiette était un morceau de muscle de vache et s’est exclamée (et elle était sérieuse) «monsieur, il ne fallait pas me le dire!» sous les rires de ses camarades sidérés. Beaucoup d’enfants d’agriculteurs (des communes rurales
autour du collège) étaient très inquiets pour le travail de leurs parents.

Alors j’ai dû leur expliquer qu’il ne fallait pas ne plus manger de viande, mais moins de viande, et surtout manger de la viande française, de qualité (et bio), en payant mieux les agriculteurs français à l’aide de circuits courts et non enrichir la grande distribution. J’ai expliqué qu’à l’avenir les gens devront dépenser une plus grande part de leur salaire pour une alimentation de qualité, locale et durable (sur le principe des AMAP). Que non seulement les agriculteurs français pourront être mieux payés, mais qu’ils pourront produire du biogaz avec les déchets de leurs fermes pour alimenter leurs tracteurs. Et même chauffer des villages entiers avec les «bouses de vaches», ce qui fait toujours rire les élèves. Deux fils d’agriculteurs, élèves en quatrième, semblaient tellement emballés par ces solutions qu’ils sont venus me demander des détails à la fin de la séance, et qu’ils m’en ont même reparlé la semaine suivante. Les enfants d’agriculteurs ont une vraie «intelligence du travail», alors que beaucoup d’autres collégiens sont incapables d’expliquer le travail de leurs parents.

Bien des élèves, et même des adultes, voulaient marquer sur la carte des conseils pour les autres (comme construire plus d’éoliennes, ou interdire les voitures…) et non des engagements personnels et signés. Alors, à chaque fois, j’ai discuté avec eux de leur vie, de leurs loisirs, de leur logement, pour trouver quelque chose de vraiment personnel à marquer. Comme de faire du covoiturage pour aller aux entraînements de natation pour l’un, de s’occuper eux-mêmes des épluchures à mettre au compost dans le jardin à la place de leurs parents pour l’autre, de prendre le car ou d’aller au collège à pied et non de demander à leurs parents de les emmener et de venir les chercher en voiture pour beaucoup. De ne pas jeter de sacs plastiques dans la nature, et de participer à des journées de nettoyage dans leur commune pour préserver les océans. Océans qui deviennent la destination finale de toute la pollution
terrestre entrainée par le ruissellement, comme s’inquiétait beaucoup une élève. Et tant d’autres sujets… Le but n’étant pas de donner des conseils aux autres, mais de faire quelque chose soi-même. De faire sa part, comme le colibri.

Ce n’est pas grave?

Le plus dur est d’avoir entendu plusieurs fois dans la bouche de collégiens, que deux ou trois degrés de plus en 2100, ce n’était pas grave «car en 2100, de toute façon, on sera morts». J’ai dû leur expliquer que même si, eux, ils seront probablement morts en 2100, d’autres seront encore en vie, et sûrement leurs propres enfants et petits-enfants…

Ce qui est bien dans ce métier, c’est qu’à cet âge-là ils n’hésitent pas à dire ce qu’ils pensent au moment même où ils le pensent. Cela permet au moins d’en apprendre beaucoup sur leur mentalité. Mais cela m’a aussi permis d’entendre une élève de quatrième dire que c’était «bien de faire cette exposition, pour faire prendre conscience aux jeunes des problèmes liés à l’environnement ». D’avoir plusieurs fois la question «c’est vous qui avez préparé tout ça?» au sujet de l’exposition, et de pouvoir leur répondre «oui, car c’était important de le faire». De leur montrer que des
adultes se sentent concernés par leur avenir. Comme tous mes collègues qui avaient eux aussi noté des engagements sur la carte de la Terre, et avaient pris du temps sur leurs cours pour en parler avec eux.

Plus de deux cent élèves du collège ont eu le questionnaire sur l’exposition tout juste. Et beaucoup plus y ont répondu. Pourtant, ce questionnaire n’était pas facile du tout et il nécessitait une vraie recherche sur les expériences proposées. Ces élèves ont reçu un diplôme «d’ambassadeur de la Terre» à leur nom, signé par le principal du collège.

Et j’ai eu cette discussion un jour avec une élève de troisième, autour de la carte et des engagements inscrits par nous tous. Elle m’a expliqué très clairement, très calmement, du haut de ses quatorze ans, que «si les gouvernements sortaient autant d’argent pour sauver le climat que ce qu’ils avaient donné en 2009 pour aider les banques pendant la crise financière, la planète pourrait être sauvée».

Alors je me suis dit que ce n’est pas l’argent des gouvernements ou des banques qui sauvera notre planète à tous, mais elle sera sauvée par des jeunes filles comme elle.

Laurent Brice
Professeur de sciences physiques au collège de Seyssel Haute-Savoie

Sur la COP21 et l’éducation à l’environnement, lire aussi:
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