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« Et puis, des noms s’affichent sur l’écran : Wolinski, Tignous, Cabu, Bernard Maris, Charb »

Parfois on ne peut plus parler. Parfois on ne peut plus se taire.

Le ciel est bleu en ce mercredi dans le Sud. À la pause de midi, on flâne, le manteau ouvert, les yeux ravis de cette belle lumière qui caresse les vignes dénudées. Des oiseaux survolent le chemin, des oies sans doute, on n’entend que leurs cris. L’année débute à peine et sans raison, l’espérance survit encore d’une nouvelle ère qui commencerait débarrassée des haines, des indifférences, des solidarités qui se meurent et des bateaux qui chavirent en Méditerranée. C’est idiot, on le sait. La radio ce matin encore parlait de cet enfant rom rejeté même dans sa mort. Mais on croit toujours que l’année sera meilleure car nos cœurs pensent encore que les valeurs humaines, que l’être humain gagneront, des cœurs pensant sans raison, des cœurs immenses et perdus.

Et puis dans la maison éclairée d’une douce lumière, à nouveau la radio s’allume et le fracas s’impose laissant au-dehors les rayons de l’espoir. La nouvelle passe des oreilles aux yeux en baignant de chagrin le regard qui, quelques minutes auparavant, se réjouissait des beautés du paysage. Les morts sont encore anonymes mais le cri porte un nom : Charlie Hebdo. Comment est ce possible, comment ont-ils pu ainsi souiller le journal qui nous faisait rire, nous agaçait, le journal indispensable, le journal énervant comme la liberté. Comment ont-ils osé ? Alors on se jette sur les réseaux sociaux pour partager son effroi, sa peine immense, pour écrire, pour lire, pour ne pas rester là avec son horreur solitaire, pour se réchauffer auprès de semblables. La bouche reste interdite, incapable de dire, délègue ses mots au clavier.

Et puis, des noms s’affichent sur l’écran : Wolinski, Tignous, Cabu, Bernard Maris, Charb, des noms que l’on a lus, entendus, des noms qui nous rappellent des dessins, des prises de parole, des unes, des débats, des impertinences. Le chagrin redouble. Sur le chemin pris dans l’autre sens, la lumière semble absente, les vignes floues. On redoute les paroles malencontreuses d’un quidam, d’un voisin, d’un collègue. La peur s’installe, d’une haine générant une autre haine, de doigts pointés vers une religion, de personnes qui sur leur faciès seraient assimilés à des fous, à des assassins de notre liberté. Les larmes affluent encore. L’après-midi, le lendemain, nous devrons sans doute expliquer à nos enfants, à nos élèves, cette société brisée qu’il nous faut ensemble reconstruire, une société brisée par notre impuissance.

Il nous faudra trouver les mots pour que les valeurs humaines soient celles du futur, un futur exempt de haine. Sans doute, incapables de les dire, nous brandirons un dessin de Charlie Hebdo, un dessin de Tignous, Charb, Cabu, Wolinski, comme un gigantesque bras d’horreur brandi à la face d’une terreur à laquelle on refuse de céder.

Monique Royer