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Des mots amis entre pairs

Travailler le lexique de façon interactive, en partant des mots connus pour interpréter des mots nouveaux. Un dispositif testable à tout niveau.

Le dispositif des mots-amis est basé sur la volonté d’enseigner de manière intégrée les trois dimensions du système lexical : la forme des mots (par exemple, dérivation, composition), le sens des mots (par exemple, synonymie, polysémie), la cooccurrence entre les mots (par exemple, torréfier / café ou griller / pain).

Le dispositif prend en compte particulièrement cette troisième dimension, pour permettre aux élèves de mieux comprendre le fonctionnement du système et posséder une stratégie supplémentaire d’interprétation et de réemploi lexical. On propose en effet une discussion lexicale qui prend la forme d’échanges oraux entre pairs. Les élèves ont à interpréter une phrase-problème dans laquelle apparaissent les mots dans un sens peu connu. Par exemple, lors d’une discussion relative à la phrase « Marie hante régulièrement ces lieux qu’elle aime tant », les élèves relèvent que « hanter » porte l’idée de fréquence et précisent « ça veut dire qu’elle y va toujours ».

En amont de la séance, l’enseignant doit sélectionner des unités lexicales ou un domaine à étudier, et en comprendre le fonctionnement afin de préparer l’étayage des apprentissages. La séance se déroule ensuite en trois grandes étapes.

Partager le sens des mots

Dans un premier temps, il s’agit de faire émerger les représentations des élèves en leur permettant d’échanger sur le sens premier qu’ils peuvent donner à tel ou tel mot. Ensuite, l’enseignant propose au tableau des phrases-problèmes à partir desquelles il va falloir réfléchir. Il précise alors la tâche discursive à accomplir : que chacun explique son interprétation en pensant au sens, au contexte et à la morphologie, et la confronte à celle des autres. Sont alors organisés entre élèves des échanges, étayés par l’enseignant, sur les arguments lexicaux avancés par les uns et les autres.

À cette étape, les enseignants procèdent à une médiation orale importante : ils guident les échanges au vu des trois dimensions du système lexical. Ainsi, ils procèdent à des reformulations ou posent des questions portant sur le sens, comme « Elle les fréquente souvent ? », sur la forme, ou sur les mots-amis comme « Qu’est-ce qui vous a aidés à trouver le sens dans la phrase ? ».

Enfin, la troisième phase consiste en la synthèse des discussions lexicales. Lors de cette synthèse, l’enseignant cherche à faire verbaliser les différents arguments lexicaux pour aboutir, in fine, à la mise au jour d’une nouvelle stratégie de désambigüisation : l’utilisation des mots-amis que sont les verbes ou les noms et adjectifs que l’on peut rencontrer souvent avec les mots qu’on ne comprenait pas très bien ou que l’on n’arrivait pas à réutiliser.

S’écouter et argumenter

La discussion lexicale1 relève d’un enseignement coopératif mais l’organisation en tant que telle n’est pas suffisante pour que les apprentissages aient lieu. Les élèves doivent avoir conscience qu’ils se situent dans une communauté discursive disciplinaire scolaire2 et qu’ils doivent alors s’engager dans une discussion sur les mots. Ils ont ainsi à gérer leurs interactions, à s’écouter et argumenter en retour en respectant les critères du dire, agir, penser dans la discipline au sein d’un groupe d’élèves en contexte scolaire.

Cela n’est possible qu’à partir d’une préparation et d’une interaction rigoureuses de la part de leur enseignant. La médiation de l’enseignant est déterminante et ardue : tout en ayant à l’esprit son objectif de catégorisation des mots-amis afin de fournir à ses élèves une nouvelle stratégie d’inférence lexicale, il lui faut aussi organiser sa classe de sorte que ses élèves puissent discuter, éventuellement en sous-groupes. Il lui faut également structurer les apprentissages de manière progressive pour que ses élèves puissent mobiliser des arguments lexicaux, issus par exemple dans un premier temps de leurs représentations. Il doit aussi interagir pour maintenir l’orientation de la tâche discursive.

C’est ici un des grands défis de ce type de séance. Cela demande à l’enseignant d’avoir une bonne connaissance du fonctionnement du système lexical, pour pouvoir procéder à un étayage efficace lors de la discussion lexicale. Cela lui demande aussi de se trouver dans une configuration pédagogique qui permette les échanges entre les élèves, ce qui, par exemple, n’est possible qu’en réseau pour certaines classes uniques, ou qui peut être difficile à mettre en œuvre dans certaines classes à fort effectif.

Pour autant, aux dires des collègues qui mettent en œuvre le dispositif des mots-amis et la discussion lexicale, « les élèves y trouvent du plaisir » et, du point de vue des apprentissages, le dispositif rend « les expressions au sens figuré accessibles dès la grande section à des enfants dont le français est la langue seconde ».

Anne Sardier
Maitresse de conférences en sciences du langage, université Clermont Auvergne

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Notes
  1. Anne Sardier, « Enseignement-apprentissage du lexique : discussion lexicale et réemploi en CM2 (9-10 ans) », Cahiers de lexicologie n° 122, 2023, p. 239-265.
  2. Martine Jaubert, Maryse Rebière, Julie Pujo, « Communautés discursives disciplinaires scolaires et formats d’interactions », Colloque international Spécificités et diversité des interactions didactiques : disciplines, finalités, contextes”, université de Lyon – ICAR – CNRS – INRP, 24-26 juin 2010.