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« Dans une classe, le groupe n’est pas donné d’avance »

Le concept de groupe est un peu un impensé dans l’éducation. On parle de classe, d’établissement, de travail en groupe, mais on envisage rarement le groupe comme une unité sur laquelle il est possible d’agir et qui peut avoir un effet sur les individus qui le composent. Or, un groupe, un collectif, une équipe, est-ce la même chose ? À quelle échelle penser l’« effet groupe » ? Andreea Capitanescu Benetti et Jean-Charles Léon, les coordonnateurs de notre dossier « À quoi sert le groupe ? » nous le présentent en quelques questions.
De quels groupes est-il question dans ce dossier ?

Nous avons choisi de traiter le groupe au sens très large, celui de la classe, bien entendu, mais aussi de divers groupements, d’établissements, de regroupements de professionnels d’origines multiples…

Le groupe commence tôt, dans le rapport d’appartenance de chacun et chacune à différents groupes familiaux, amicaux. Ce rapport s’affine, se complexifie à l’épreuve de ses expériences et ne s’arrête jamais. Dès qu’on est un, on est une « bande de jeunes à soi tout seul », comme le dit la chanson de Renaud, par les expériences de vécu de groupes et de socialisation plurielles plus ou moins formelles. Nous nous construisons grâce à l’ensemble des accompagnants, parents, amis, personnes que l’on a rencontrées, qui nous ont aidés, accompagnés, aimés ou blessés, et qui sont toujours avec nous. Nous nous construisons également, enseignants ou élèves, avec les personnes que nous croisons dans nos milieux scolaires ou professionnels. Ces expériences du groupe commencent très tôt dans le rapport que l’on construit au monde.

Dans le dossier, les diverses contributions se réfèrent à un groupe d’élèves, ou d’adultes, ayant une constitution occasionnelle ou plus pérenne. Ces groupes sont nombreux dans l’enseignement, du groupe de travail à la classe, l’école, l’établissement et plus large encore. Il est précieux de prendre conscience qu’être en groupe a des implications sur les comportements et crée des interdépendances qu’il ne faut pas chercher à éviter ou masquer dans une fusion de tous dans un ensemble indifférencié. Le groupe est plus que l’ensemble de ses parties. Et c’est cette idée que nous avons voulu explorer.

Le groupe impose des opportunités qui aident, ou au contraire empêchent, chacun des membres à se développer, à évoluer, à grandir. Il peut y avoir différents rythmes et prises en considération du sujet, chacun avec ses spécificités, ses besoins. La socialisation-même de chacun dans un groupe fait partie d’un long chemin de construction de la personne et par là des compétences à vivre et à travailler dans un groupe.

Pourquoi est-ce si important de construire un groupe dans une classe ? Et comment s’y prendre ?

Il nous semble que le groupe est un angle mort dans l’enseignement. On parle didactique, pédagogie, groupe de travail dans la manière de le faire fonctionner, mais très rarement des effets du groupe lui-même, de la manière dont il se constitue, vit plus ou moins bien, évolue.

L’article de Jean-Charles dans ce dossier propose une méthodologie pour l’entrée au collège ou dans un nouvel établissement. Dans une classe, le groupe n’est pas donné d’avance. Il se forme le long des expériences. C’est un processus évolutif, dynamique, avec des hauts et des bas, des périodes heureuses et des crises qui sont peut-être nécessaires. Il ne s’agit pas de le naturaliser mais plutôt de le prendre comme un objet d’apprentissage, de le secondariser afin que chacun développe un rapport réflexif au groupe dans lequel il est inséré.

Les enfants sont rassemblés au sein d’une classe selon des choix institutionnels plus ou moins stratégiques. La métonymie de la classe, c’est-à-dire le contenant pour le tout, montre bien qu’il s’agit de former un ensemble contenu qui doit fonctionner dans un but précis, apprendre. Dans nos établissements, nous faisons groupe pour apprendre, c’est essentiel, et les différents sous-groupes, qui vont être ensuite organisés par les enseignants, relèvent de décisions pédagogiques et de situations d’apprentissage ; les élèves vivent différents sous-groupes de travail, ils ne sont pas assignés à un groupe unique, et tout cela doit s’articuler. Ils apprennent à faire avec des collectifs très différents.

Comment fonder ces groupes ?

La question est complexe et dépend d’une somme de détails importante qu’il est difficile de synthétiser dans le cadre d’un court entretien. On pourrait dire tout de même qu’il faut faire attention, dans les premiers temps de la vie d’un groupe, aux effets de groupements antérieurs sur lesquels nous avons peu de prise : les classes précédentes, les clubs sportifs. Des groupes d’appartenance qu’il ne faut pas combattre, mais qui ne doivent pas devenir prééminents.

Il faut également donner un sens au groupe, celui de l’apprentissage, et tenir compte ensuite de la circulation des affects dans la classe. De même, il ne faut pas nier que l’enseignant fait partie du groupe, avec son statut particulier, certes, et que ce statut singulier l’oblige à un regard particulier, surplombant, analysant.

Est-ce qu’à l’école on travaille toujours en groupe ? Quelles sont les pratiques qui sont adaptées?

Même si le vocable du groupe se trouve dans le titre, le dossier n’a pas le but de « vendre du groupe » coute que coute, quelle que soit la situation d’apprentissage. Aujourd’hui, on sait que travailler en groupe s’impose fortement lorsque la tâche scolaire ressemble à une situation-problème qui ne pourrait être résolue en situation de travail individuel, autrement dit, lorsque les forces, les énergies et les compétences de tous contribuent à sa résolution.

Les groupes qui fonctionnent s’organisent, se donnent des institutions, des médiations et ne se résument pas à une fusion. Le groupe d’apprentissage a la nécessité impérieuse de devoir être sécurisant, nous disons « hors menace ». Il ne faut pas ignorer les rivalités dans un groupe… La sécurisation physique, mais aussi la circulation protégée de la parole est fondamentale et le jeune collègue doit d’abord se préoccuper de cela : comment donner la possibilité à chacun de s’exprimer sans courir le risque de la moquerie, des représailles. Il faut également que la présence de chacun dans le groupe ait un sens, que tous les membres se sentent investis d’une fonction et d’une responsabilité, vivent le groupe en appartenance.

Bien sûr, on se doit d’être vigilant aux dynamiques aujourd’hui un peu mieux connues ou décodées, plus ou moins démocratiques, autocratiques, adhocratiques, car le groupe peut être un instrument de développement de la personne ; il a aussi une part plus sombre, les phénomènes de bouc-émissaire et de harcèlement, d’exclusion. Il peut aussi être « une constellation »pour reprendre le vocabulaire de la psychothérapie institutionnelle , sans homogénéité apparente mais qui a pourtant du sens.

Les enseignants et les éducateurs, les adultes référents se doivent d’être garants d’un fonctionnement qui protège les élèves. De nombreux travaux en éducation nous montrent avec force que ces phénomènes délétères empêchent les élèves d’apprendre, jusqu’au décrochage. Le groupe peut être néfaste pour le développement des jeunes lorsqu’il n’est plus suffisamment ouvert à la singularité des personnes.

Qu’avez-vous particulièrement apprécié dans le travail sur ce dossier ?

Faire groupe ! Car le dossier est aussi international, nous donnant la confirmation de ce que disait feu Jacques Lévine, psychologue et psychanalyste et fondateur de l’Agsas (Association des groupes de soutien au soutien) : nous faisons partie d’un « petit tout », nous-même en tant que sujet, mais aussi d’un « moyen tout », les groupes d’appartenance, d’amitiés, de communauté de pensée, comme c’est le cas entre nous deux. Nous sommes tenants de pédagogies modernes, actives, inquiètes du sujet, et cela s’est retrouvé dans notre façon de travailler ensemble. Enfin, nous appartenons à un « grand tout », un monde vers lequel nos élèves se dirigent et dans lequel ils doivent, nous l’espérons, s’épanouir. Ce monde s’est retrouvé dans l’origine géographique de nombreux articles : France, mais aussi Suisse (Andreea est genevoise), Belgique, Canada, États-Unis. Cet internationalisme de la réflexion sur le groupe est réjouissante.

Toute personne est le groupe ou nait dans le groupe, par des socialisations plurielles. Redisons que l’on est le groupe à soi tout seul.

Nous avons des témoignages de ce que le groupe peut apporter, depuis l’école jusquà la formation. Nous devons en tant que formateurs, enseignants, éducateurs, continuer à nous former sur les fonctionnements du groupe, afin que le groupe soit bien vécu, afin que le groupe soit un groupe apportant et soutenant.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

Sur notre librairie :

 

N°584 – À quoi sert le groupe ?

Un groupe, un collectif, une équipe, est-ce la même chose ? À quelle échelle penser l’« effet groupe » ? « Faire groupe » avec une classe, une alchimie indispensable qui aide chacun à se construire.