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Citoyens du numérique

Philippe Denis et Valérie Desaint soulignent cet aspect : ils sont bénévoles et le vivent comme un véritable engagement. Dans l’association, ils sont une dizaine ainsi, aidés de temps à autre par des volontaires pour des animations ou l’organisation d’un forum annuel. Un stagiaire les épaule, « indemnisé », tiennent-ils à préciser, rajoutant qu’ils veillent à ce que le stage ouvre sur un avenir professionnel. Ils communiquent peu mais le bouche à oreille amène vers eux des demandes d’intervention. Car le numérique questionne et bouscule, prend les adultes au dépourvu.

La vulgarisation des usages et la compréhension des usages, l’objectif de Camp’TIC pourrait se définir ainsi. Pour les enfants, les adolescents, il est celui « de passer des usages intuitifs à des usages réfléchis ». Valérie Desaint raconte les interventions dans les collèges sous forme de conférences interactives. Elles sont chaque fois différentes, se renouvellent sans cesse, même si les commandes qui les ont suscitées se ressemblent un peu. « Il y a une adaptation constante aux groupes. Nous avons une présentation, nous utilisons un scénario de départ mais en fait il n’y a rien de fixe. Nous apportons des réponses aux questions avec nos témoignages et des vidéos courtes, nous partageons nos idées sur les meilleurs usages possibles, nous cherchons à ce qu’une prise de conscience s’exprime. Mais on ne dit jamais : “il ne faut pas faire cela ”. » Eux-mêmes explorent continuellement les outils numériques, les réseaux sociaux, pour dialoguer entre usagers avec leurs auditoires. Ils invitent des témoins, sollicitent leur stagiaire pour que les échanges soient aussi intergénérationnels, avec chaque fois, selon l’interlocuteur, des apports différents.

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En milieu scolaire, le numérique ouvre de vastes champs de questions. L’arrivée des smartphones a éludé toute tentative de contrôle total. L’éducation aux usages est donc l’ultime ressort pour ne pas constater a posteriori des déviances. L’identité numérique, le cyberharcèlement, ce qui peut et ne peut se faire, les conséquences de tout acte présumé virtuel, les risques… la prise de conscience passe par l’expression. « Quand on les laisse parler, plein de choses sont dites ». En retour, les intervenants s’enrichissent également. « C’est un moment de formation car avec les ados, on apprend tout le temps. »

Pornographie et atelier philosophique

Le digital met en lumière les sujets qui taraudent les adolescents, les révèle au grand jour, quand la dérive peut perturber la vie en classe voire en dehors des murs scolaires. Camp’TIC a été contacté pour intervenir auprès de quatrièmes sur le thème des images choquantes et de la pornographie. Face à la délicatesse de la thématique, toute approche frontale est bannie. Les bénévoles ont cherché la façon la mieux adaptée pour favoriser l’expression et la prise de conscience, dépasser la pudeur ou la peur des moqueries. Valérie Desaint a proposé l’organisation d’ateliers philosophiques. Après une licence en sciences humaines et sociales, elle a suivi, à l’Université de Laval au Québec, un certificat d’animation d’ateliers philosophiques. La formule lui a semblé adaptée avec quatre ateliers proposés par classe et régis par des règles de fonctionnement spécifiques : parler lorsque l’on a le bâton de parole, ne pas se moquer, ne pas couper la parole, ne pas juger l’autre ni ses propos, argumenter si l’on n’est pas d’accord. L’intervenant y est davantage « médiateur » et n’influence pas le développement des idées.

Philippe Denis précise « Ce n’est pas évident mais on va tenter, trouver la bonne manière de faire. On terminera l’atelier par une synthèse, une reformulation pour ramener à la sexualité réelle […] Ce n’est pas anodin que l’on fasse ce sujet, il est en lien avec le thème de notre prochain forum “Amour et numérique” », souligne-t-il. Les forums sont à la genèse de Camp’TIC.

Les apports du numérique pour les personnes en situation de handicap

A l’origine, à l’automne 2012, l’association regroupait cinq personnes dont les initiatives voisines sur le numérique réclamaient de s’unir pour pérenniser des actions ne recevant plus le soutien d’institutions. L’identité numérique, la confiance numérique, le numérique et l’éducation tout au long de la vie avaient déjà été traités avant sa création. Le thème « handicaps et numérique » a été la pierre fondatrice de Camp’TIC. Et là non plus ce n’est pas un hasard. La proximité du centre de rééducation et de réadaptation de Kerpape laisse à voir tout ce que le numérique peut apporter comme améliorations dans la vie quotidienne des personnes en situation de handicap. « Il y a de nombreuses évolutions rapides dans ce domaine. Il y a des créations d’emploi, beaucoup de créativité, d’imagination. Les médias parlent souvent des réseaux sociaux, du numérique sur leur versant négatif, de façon anxiogène. Là c’est très positif car cela aide les individus. Et puis, nous sommes tous égaux avec le numérique. »

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Philippe Denis parle du thème avec passion. « Le handicap est un sujet tabou, qui touche tout le monde mais qui fait peur. » En 2015, le forum revenait sur le sujet. Durant trois jours, présentations de projets et conférences ont été organisées en compagnie d’une école d’ingénieurs, de la Fédération Handisport, du centre Kerpape et de l’association Défis. Les deux intervenants se souviennent du témoignage joyeux d’une dame de soixante-dix ans, dont le fils autiste avait enfin une vie autonome dans un appartement « à lui », grâce à des applications qui rythmaient son quotidien dans des rituels rassurants. Le sujet est riche, loin d’être épuisé et l’idée d’une biennale poursuit son chemin…

Adultes dépassés

Les actions de Camp’TIC touchent aussi les parents, les adultes, ceux qui se sentent parfois dépassés par les découvertes intuitives et rapides des enfants, par un rapport au monde, aux autres qui leur semble étranger. « Au niveau pédagogique, certains parents restent accrochés à l’ancienne éducation pyramidale. Or, les enfants vont très vite. Ils ont l’habitude de participer tout le temps, de co-construire, de “mettre en commentaire ”… » souligne Valérie Desaint. Expliquer aux parents les usages du numérique c’est un moyen sûr pour eux de comprendre l’univers, le mode de fonctionnement de leurs adolescents, et d’en tenir éventuellement compte dans leur éducation. « On parle parfois de revendications mais les enfants ne revendiquent pas, ils souhaitent juste s’exprimer, être écoutés, que leur parole soit prise en compte. » Et puis, rajoute-t-elle, « les parents glissent aussi vers cette forme de vie participative ».

Des ateliers sont aussi animés sous forme de controverses, de cafés débats. Les questions abordées sont multiples commençant par « le numérique, c’est bien, oui mais… » sur le thème de l’écologie, de la musique, du harcèlement, de la recherche d’emploi ou des migrants connectés, le sujet de thèse de Philippe Denis. Les initiatives naissent aussi de conjugaison d’énergies, d’engagements avec des porteurs de projets, d’associations de quartier. Elles se prolongent dans les médiathèques et tous les lieux où les personnes intéressées peuvent se familiariser aux usages du numérique. Et c’est sans doute dans ces liens qui se tissent, dans un apprentissage sans cesse renouvelé, dans la co-construction pour contribuer et ne plus subir les transformations amenées par le numérique, que Camp’TIC trouve la ressource, la motivation et l’énergie de son engagement citoyen.

Monique Royer


Le site de Camp’Tic
Exemple de présentation : carte mentale préparée pour un collège