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C’est la faute à l’orthographe
Dès le début de l’école obligatoire, des ministres de l’Instruction publique, comme Jules Ferry en 1880 ou Georges Leygues en 1900, ont cherché à limiter les crispations autour de l’orthographe, proposant de la rendre moins opaque et ainsi d’en faciliter l’acquisition. Dès 1900 (voir les arrêtés de 1900, 1901, 1976, puis les rectifications de 1990), on a cherché à simplifier l’orthographe lexicale et grammaticale, ainsi que le fameux accord du participe passé qui crée tant de difficultés. Pour autant, l’école continue de produire des élèves stressés et en difficulté face à l’orthographe mais aussi des adultes complexés qui n’en maitrisent pas les normes.
Avant de questionner ce qu’il faudrait faire pour mieux l’enseigner, la note du CSEN nous présente une rapide histoire de l’orthographe française et quelques données quantitatives sur l’orthographe française actuelle.
Celle-ci est effectivement le fruit d’une longue évolution, mais aussi, et c’est ce qui nous frappe ici, le fruit d’un processus de discrimination sociale. La langue écrite a d’abord été une transcription de l’oralité. Elle s’est ensuite progressivement figée, à partir du XIIe siècle, tandis que la langue orale continuait d’évoluer dans ses sonorités et prononciations. Au XVe siècle, notre langue subit une « relatinisation » tant dans le lexique que la graphie : l’orthographe devient alors « savante » et s’enfle de y et de consonnes étymologiques. Mais c’est au XVIIe siècle que se posa la question de la norme : quelle orthographe pour le dictionnaire ?
L’Académie, après moult discussions, choisit d’ignorer l’orthographe dite hollandaise, à la graphie simple et régulière, employée par les imprimeurs, accessible à tous ceux et celles qui n’avaient pas étudié le latin. Elle préféra l’orthographe « savante » des gens de lettres, latinisante et étymologique.
Certes, l’Académie française procéda ensuite à de nombreuses corrections, modifications, rectifications jusqu’à la réforme de 1990. Toutefois les auteurs de cette note relatent que l’orthographe modifiée, supposée être enseignée depuis 1990, est peu présente dans les manuels du secondaire (contrairement à ceux du primaire), dans les médias, chez les auteurs et les éditeurs, et qu’elle est majoritairement méconnue du grand public. Pour autant, il est rappelé que l’opacité de l’orthographe – c’est-à-dire la faible transparence des correspondances entre graphèmes et phonèmes – complique l’apprentissage de la lecture et qu’il est plus facile, en français, d’apprendre à lire qu’à écrire.
La note présente alors quelques données quantitatives issues de recherches, notamment la fréquence des mots avec terminaison muette. À savoir que, sur une base de 15 000 mots courants présents dans les manuels du primaire, 70 % se terminent par une lettre muette : s, e, t, x, d, etc. Si certaines de ces lettres peuvent s’expliquer comme marques du genre (e au féminin) ou du nombre (s au pluriel), ou comme marques morphologiques (candidat/candidate), d’autres reste obscure (escargot, temps). Les auteurs rappellent aussi quelques incohérences comme le x (marque du pluriel) issu d’une erreur de transcription des scribes du Moyen Âge, qui perdure pourtant dans l’orthographe actuelle (noyaux, feux, poux).
Les exemples d’irrégularités et incohérences présentés servent ici à illustrer et comprendre pourquoi les enfants, et nombre d’adultes, font des erreurs d’orthographe. Ils servent aussi à rappeler combien l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est complexe. Et de rappeler qu’il faut environ cinq ans pour que les élèves francophones soient en mesure d’orthographier correctement les mots selon la norme.
La note du CSEN rappelle également combien l’accord du participe passé reste une difficulté majeure pour tous les élèves, et pour les adultes testés dans les recherches présentées. En fin de 3e, seuls 17 % des élèves arrivent à accorder correctement le participe passé avec l’objet auquel il se rapporte. Ce n’est guère mieux chez les adultes, même ceux ayant un niveau d’études supérieures. D’ailleurs l’absence d’accord semble ne plus être perçu chez les adultes comme une erreur et est devenu une « servitude grammaticale moribonde »1.
Or, c’est l’automatisation de la reconnaissance des mots écrits qui permet la compréhension de l’écrit. Les dyslexiques, qui présentent des difficultés de reconnaissance précise ou rapide des mots écrits et de faibles capacités orthographiques, sont donc pénalisés par l’opacité de l’orthographe française. Au détour de ce paragraphe, on ne peut que regretter que les auteurs n’aient pas davantage explicité combien l’accès aux savoirs de tous les élèves est un enjeu majeur d’égalité des chances et de cohésion nationale.
Ceci étant, les auteurs ont ensuite cherché à présenter des recommandations et proposé des pistes pour améliorer l’enseignement de l’orthographe du français.
Ils indiquent notamment que les bases de données des chercheurs quant à la fréquence et la régularité des mots devraient davantage être utilisées pour aider à mettre en place les progressions pédagogiques des enseignants.
Ils relatent que, d’après certaines études, l’acquisition des marques du nombre chez les élèves du CP au CE2 sont plus rapides quand les règles sont introduites explicitement et entrainées par des exercices réguliers. C’est pourquoi ils proposent que la morphologie du français soit « l’objet d’un enseignement précoce et explicite focalisé sur les différences entre l’oral et l’écrit ».
Toutefois, il n’est pas précisé à quel niveau de classe ce « précoce » se rapporte ni avec quelle progressivité cet enseignement, du primaire au secondaire, devrait se faire, ni même quelle didactique améliore, renforce, accompagne au mieux cet apprentissage. Sans doute un travail futur à venir, puisqu’ils préconisent la poursuite des recherches dans ce domaine et rappellent également en filigrane qu’enseigner nécessite de former les enseignants de tous niveaux et toute discipline, du primaire au lycée, aux attendus des arrêtés et réformes orthographiques en vigueur, ajoutant au passage qu’il faudrait inciter les éditeurs à utiliser l’orthographe rectifiée.
En conclusion, le rapport du CSEN rappelle que « la langue évolue » et que, pour favoriser l’apprentissage et améliorer les performances des élèves, il serait bon de réunir une nouvelle commission en matière d’orthographe ‒ la dernière date d’il y a trente-quatre ans. Il nous reste donc à attendre de nouvelles règles orthographiques cohérentes et régulières, de la formation professionnelle pour enrichir les connaissances sur la langue et les pratiques didactiques. Et le tout pour une école (et une langue écrite) plus inclusive et moins discriminante ?
Principale adjointe et ancienne professeure des écoles
La note de synthèse du CSEN est à télécharger ici.
Une interview de Liliane Sprenger-Charolles paraitra dans notre n°596 de novembre 2024.
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