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Histoires de crapistes
Vous lisez les Cahiers pédagogiques, visitez notre site, participez à nos webinaires ou aux rencontres estivales du CRAP ? Ou alors, vous avez vaguement entendu parler de ce mouvement pédagogique ? Nous lançons une série de portraits de militants du CRAP-Cahiers pédagogiques pour raconter l’histoire et la vie d’un collectif pas comme les autres, à travers ceux et celles qui le font vivre.
Cette série commence alors que nous connaissons une crise financière profonde. En racontant notre histoire, nos histoires, pour dire qui nous sommes, nos différences, nos engagements, nous espérons vous donner envie de nous rejoindre et de lire nos publications.

 

Aujourd’hui retraitée, Michèle Amiel a été enseignante puis cheffe d’établissement. Présidente à deux reprises du CRAP-Cahiers pédagogiques, elle nous raconte son engagement au long cours, dans un mouvement qui a nourri ses pratiques professionnelles et réciproquement.

Sa découverte du CRAP est née d’une interrogation profonde sur son métier d’enseignante de français, un doute, même. Devant le regard vide de ses élèves alors qu’elle leur présente un extrait du Cid qui lui semble passionnant, elle sent que le chemin sera long si elle n’envisage pas d’enseigner différemment, afin de « réveiller une classe ». « Je faisais mon métier sans réflexion particulière. »

Elle tâtonne, cherche du côté de Freinet et s’inscrit à des Rencontres d’été du CRAP à la fin des années 70. Elle s’y sent bien, dans une atmosphère bouillonnante et amicale. « Les mouvements pédagogiques, ce n’était pas vraiment ma culture. Là, j’ai trouvé plein de réponses à mes questions. J’ai trouvé comment motiver, écouter, donner envie aux élèves d’avoir prise sur leur activité. J’ai construit ça petit à petit, en fréquentant le CRAP. »

Quand elle devient cheffe d’établissement, c’est encore là qu’elle apprend ce qu’on ne lui enseigne pas ailleurs, comme trouver la bonne place « ni trop loin, ni trop près, mais à côté ». Elle tient à concilier son engagement et son métier, puisant dans l’un une profonde humanité pour exercer l’autre, pour être en empathie, comprendre les difficultés et les plaisirs à enseigner, animer des séances où l’écoute est de mise. « Le CRAP m’a permis de creuser des choses avec des gens qui ont un esprit critique fort et de la bienveillance, autour du projet par exemple. »

Tester des idées

Elle apprécie la marge d’initiatives qui permet de tester des idées avant de les appliquer dans le cadre professionnel. « À une assemblée générale présidée par Jean-Pierre Astolfi, j’ai levé le doigt pour proposer un atelier pour les Rencontres sur le thème « Neuf mois pour écrire un roman ensemble ». Personne ne me connaissait, mais on m’a laissé l’organiser. »

Au fil des années, elle s’implique dans le mouvement, au comité de rédaction des Cahiers pédagogiques, au conseil d’administration de l’association, et devient présidente du CRAP en 1992. Son profil détonne : « Comment un chef peut-il représenter une association où les profs sont majoritaires ? » Elle propose de faire vivre les valeurs dans l’action, « de travailler et d’agir de manière démocratique ».
Elle sait que son positionnement suscite le débat, comme lorsqu’un de ses articles, « Comment un cheval m’a appris mon métier de cheffe d’établissement », est publié dans les Cahiers pédagogiques. « Il y a eu une levée de boucliers : “on n’est pas des bœufs”, d’un côté, une bonne réception du texte de l’autre. Ce sont toujours les deux positions autour du pouvoir et de l’autorité que l’on retrouve encore dans le CRAP. » Pendant son mandat de cinq ans, une grande décision est prise, celle d’acquérir des locaux pour le mouvement qui était jusque-là à l’étroit, hébergé par l’École des parents. Les débats font rage entre ceux qui voient là une initiative propre à faire mieux vivre l’association et ceux qui préfèrent que les économies soient conservées pour faire face à un éventuel coup dur.

Une double expérience

Elle s’appuie sur son expérience de cheffe d’établissement, de multiples fois confrontée à des situations diverses, de crise ou de développement de projet. Elle a commencé à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), débutante dans un établissement dont personne ne voulait. Cinq ans après, elle était chargée d’ouvrir un nouveau lycée, puis après un passage au ministère de l’Éducation nationale, de créer ex-nihilo un établissement. « C’était un projet pionnier, avec l’expérimentation d’un conseil pédagogique associant une équipe de profs. » Elle poursuit sa carrière dans une cité scolaire de Montreuil (Seine-Saint-Denis), où le climat social est tendu. Son dernier cadre de travail sera au contraire dans l’atmosphère plus douce d’un établissement de Suresnes (Hauts-de-Seine).

À chaque étape, le CRAP nourrit sa pratique professionnelle. « Quand tu es à fond dans ton métier, tu finis par être asséchée. Tu donnes, tu donnes et tu n’as plus rien à donner. » Elle fait même intervenir des crapistes auprès des équipes, ouvre son carnet d’adresses associatif, comme lorsque Bruno Robbes est invité dans son lycée sur le thème de l’autorité éducative.

Dans la vie d’un établissement comme dans celle du CRAP, le conseil d’administration est central, mais pas de la même façon. « Dans un CA d’établissement, les paroles sont très convenues, les teneurs des positions des différents acteurs sont connues au préalable. Au CRAP, tu ne sais pas vraiment ce qu’il va se passer. Ça décontenance parfois. » Dans le second contexte, la préparation est primordiale pour permettre au collectif de faire corps avec des débats nourris de documents envoyés au préalable pour permettre à chacun de venir en ayant les mêmes informations, sur lesquelles il a pu réfléchir, construire un avis.

Décrypter la crise

Quinze ans plus tard, elle est sollicitée pour devenir à nouveau présidente de l’association, dans une situation de crise financière et morale. Elle accepte, est élue, et avec le bureau resserré composé avec Michel Jaffrot et Peggy Colcanap, elle s’attelle à « redonner de l’élan au collectif ». Il faut dans un premier temps décrypter la crise, analyser les erreurs, être présents auprès des salariés, mobiliser le collectif. Le travail est intense, mais le pari est réussi.

Un an après, un nouveau bureau est élu, elle part heureuse de l’énergie collective déployée pour sortir de l’ornière. « J’étais juste une présidente de crise. J’ai travaillé là comme j’ai travaillé dans un établissement scolaire. Cette notion de crise, ce n’est pas qu’un concept pour moi, j’en ai tellement vécu, suscité, subi ! Je sais aujourd’hui que c’est la crise qui va faire bouger pour sortir du marasme. » Elle a veillé à ce que personne ne perde la face, que les positions s’expriment en évitant de grosses explosions.

Elle a quitté les commandes de l’association mais reste encore active au sein du comité de rédaction des Cahiers pédagogiques. « C’est autre chose, c’est politique, mais pas de la même manière que le travail en CA. On est plus dans la réflexion, l’analyse, le travail sur le texte. » Elle apprécie beaucoup ce travail, la recherche du mot précis, lorsqu’à chaque numéro elle supervise la rubrique Billet du mois ou lorsqu’elle coordonne un dossier. « Travailler avec les auteurs, c’est passionnant. On amène des gens qui n’ont pas confiance à écrire. On les aide à réécrire et, à la fin, on voit leur satisfaction. » L’exercice réclame de l’exigence pour aboutir à un dossier de qualité tout en veillant « à ne pas blesser l’auteur, à faire avec lui ».

Riches débats

Le retour du comité de rédaction à chaque étape de construction du dossier est un moment qu’elle attend, qu’elle prépare, sûre d’elle, de ses propositions, dit-elle sur le ton de la dérision, tout en étant cependant chaque fois surprise des questionnements, des points d’amélioration à apporter. « Les débats sont riches. Tout le monde a quelque chose à dire et c’est souvent pertinent. » Au Comité de rédaction et dans l’association tout entière, elle se régale d’être au sein d’un collectif où les âges, les fonctions dans le système éducatif, les points de vue, sont divers. « C’est une richesse de travailler avec des gens qui ne pensent pas comme moi, dans le respect de la parole différente. »

Changements de pratiques sur la lecture de presse, baisse des abonnements, le CRAP-Cahiers pédagogiques est à nouveau dans la tourmente. « Aujourd’hui la crise n’est pas finie, mais on va y arriver », constate-t-elle en regardant le foisonnement des publications. « C’est extraordinaire ce qu’il se passe dans les Cahiers et au CRAP. Revue de presse, nouvelles formules d’abonnements, texte choisi par les adhérents, webinaires, Biennale, podcasts, Rencontres… C’est une offre d’activités et de produits extraordinaire ! »

Elle s’interroge sur la manière de faire connaître cette offre, de diversifier les activités de l’association pour toucher plus de monde au-delà de la revue, et en particulier les jeunes enseignants. Elle travaille au développement et à la valorisation des formations, suggère des idées et les porte, comme toujours. Alors, lorsqu’elle dit se préoccuper de tirer sa révérence pour laisser la place à d’autres, encore dans le monde professionnel, doit-on la prendre au sérieux ?

Monique Royer

Sur notre librairie :

Deux dossiers coordonnés par Michèle Amiel.

N°557 – L’autorité éducative
Coordonné par Michèle Amiel et Bruno Robbes
Dans une société dominée par l’individualisme et l’immédiateté, dans une école affectée par la contestation des savoirs, l’exercice de l’autorité est mis à l’épreuve. Comment tenir le cadre nécessaire à des apprentissages exigeants et instaurer une relation d’autorité qui émancipe ?

 

 

 

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N° 539 – Pouvoir d’agir et autonomie, de l’école au lycée

Coordonné par Michèle Amiel et Gwénael Le Guevel

Prendre des initiatives, engager un processus de décision, animer une équipe, mettre en place une innovation, etc. Est-ce le domaine réservé du directeur d’école, de l’IEN, du chef d’établissement ? Au bout du compte, l’augmentation du pouvoir dans un établissement autonome, c’est celle du chef ou celle des personnels ?