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L’effet de loupe

« Est-ce nous qui menons le destin, ou bien est-ce le destin qui nous mène ? Combien de projets sagement concertés ont manqué, et combien manqueront ! Combien de projets insensés ont réussi, et combien réussiront ! » (Diderot, Jacques le fataliste et son maitre, 1796)

Lors de la fermeture brutale des écoles au printemps 2020, chacun a été sidéré et pris de court. Plusieurs des témoignages rassemblés dans ce dossier le racontent et beaucoup de lecteurs y trouveront l’écho de leur propre état d’esprit à l’époque. Peu à peu, un enseignement à distance a été mis en place. Des trésors d’imagination ont été déployés pour que l’école « continue », dans sa dimension d’apprentissage comme dans sa dimension socialisatrice. De cet enseignement de temps de crise, certains gardent le gout amer d’obstacles difficiles à franchir et d’élèves qui décrochent. D’autres ont tâtonné et trouvé des solutions. Le rapport de l’Inspection générale souligne que le système scolaire a fait preuve de résilience : il a fait face à la crise « avec des ressources insoupçonnées, notamment humaines » et un grand engagement des acteurs.

Sans sous-estimer les obstacles rencontrés, ce dossier veut insister sur les leçons à tirer de la période et sur les moyens de surmonter ceux-ci. Sur les moyens techniques, certes. On n’envisage plus aujourd’hui d’enseignement à distance sans des équipements (que tous n’ont pas) et sans maitrise du numérique. Mais surtout sur les moyens pédagogiques, les mises en œuvre particulières des situations d’apprentissage imposées par la distance. Les articles du dossier présentent ainsi des solutions pour mieux se préparer à de nouvelles crises sanitaires et à l’éventualité de fermetures totales ou partielles. Mais ce sont en même temps des réflexions qui rejaillissent sur la manière de faire la classe en temps normal.

En effet, il en ressort l’impression, pour tous les niveaux de la scolarité, que le confinement a produit un effet loupe sur beaucoup des questions qui se posent tous les jours. Par exemple, le passage à l’enseignement à distance a souvent porté une lumière crue sur les dysfonctionnements que provoque le manque de coordination entre les adultes de l’établissement.

Il a aussi renouvelé des questions pédagogiques fondamentales. À quels moments d’une situation d’apprentissage les élèves ont-ils besoin de réfléchir et de chercher par eux-mêmes, à quels moments ont-ils besoin de l’étayage de l’enseignant, de ses explications, de l’apport de savoirs ? Quelles tâches sont à faire hors de la classe, lesquelles sous la conduite directe de l’enseignant ? Comment personnaliser les apprentissages et conduire les élèves à porter un regard rétrospectif sur leur travail pour repérer où ils en sont dans l’atteinte des objectifs ? Plusieurs articles du dossier montrent que certains choix opérés en amont, en réponse à ces questions, ont permis de s’adapter rapidement au distanciel : classe inversée, plans de travail, pédagogie du projet, etc.

Une autre question lancinante qui se pose aux enseignants et à l’institution scolaire est celle de la relation aux parents, qui se vit souvent sur le mode de la disqualification mutuelle. L’élève, lui-même considéré dans ses manques plus que dans ses possibilités, est écartelé dans des conflits de loyauté et en subit les conséquences, y compris dans sa capacité à progresser. Paradoxalement on a vu, à la faveur de la mise en place de l’enseignement à distance, des relations nouvelles se nouer et les regards se modifier.

Au bout de tout ça, c’est la réussite des élèves qui est en jeu. Les études sur l’efficacité des enseignants ont mis en évidence l’importance de la durée consacrée aux apprentissages. Ne plus aller à l’école peut se révéler catastrophique, et tout particulièrement pour certains élèves, si ce passage à la distance se traduit par un abandon de leur rôle par les enseignants au profit de parents qui n’ont ni le temps ni les connaissances nécessaires. Dans les milieux socialement défavorisés, l’école, lorsqu’elle prend la mesure de l’enjeu, peut être le lieu où déjouer les fatalités sociales et les enfermements culturels. Décrocher aboutit à une irrémédiable perte de chance. Persévérer et devenir autonome sont des compétences encore plus indispensables pour réussir à distance, et c’est à l’enseignant d’aider les élèves à les acquérir.

Mettre en place un travail à la maison effectif, guidé par l’enseignant, articuler travail personnel et travail en groupe classe est essentiel pour faire réussir le plus grand nombre d’élèves, que ce soit entièrement à distance en temps de crise ou dans l’articulation présence-distance en temps normal.

À l’heure où nous bouclons ce numéro et écrivons ces mots, un an après, le couperet de la fermeture des écoles vient de tomber à nouveau. Sommes-nous prêts ? Il est manifeste en tout cas que nous sommes beaucoup moins dépourvus qu’il y a un an. L’ambition de ce dossier, on le voit, est de mieux se préparer à enseigner à distance quand c’est nécessaire, mais aussi de profiter de l’effet de loupe du confinement pour réfléchir à l’amélioration de l’école.

Jacques Crinon
Professeur à l’université Paris-Est Créteil
Caroline d’Atabekian
Professeure de français, collège Jean-Perrin, Paris XXe


Sur la librairie:


HSN 57 – Enseigner à distance, sommes-nous prêts ?

Au printemps 2020, l’enseignement à distance s’est mis en place brutalement, et tout le monde n’était pas prêt. Quels enseignements tirer de cette expérience, prolongée tout au long de l’année scolaire suivante selon des modalités variées ? Faire ce bilan est important, un peu parce que l’on ne peut être certain d’être à l’abri de nouveaux épisodes de ce genre, surtout parce que les difficultés rencontrées disent beaucoup des questions qui se posent au quotidien dans le système éducatif.