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Ça ne va pas de soi !

Un groupe, ça se construit dans le temps, ce qui n’est pas toujours évident pour un enseignant débutant.

Nous intervenons comme formatrices d’enseignants primaires en nous intéressant particulièrement à l’analyse du fonctionnement des groupes, à leurs dynamiques, aux enjeux de pouvoir et d’inter-reconnaissance de leurs différents membres. Pour ce faire, nous utilisons les outils de la clinique, c’est-à-dire de l’observation, par une approche compréhensive.

Nous utilisons des récits d’étudiants stagiaires en formation initiale pour leur faire prendre conscience de l’importance du groupe et de la position de chacun en tant que sujet dans ce groupe.

Ces analyses permettent aussi de traiter des questions vives de nos étudiants telles que : comment créer un « bon » groupe classe, faire travailler ensemble des élèves qui ne s’entendent pas, respecter les individualités de chacun tout en créant un esprit de classe collectif, questions présentes tout au long de leur formation.

Qu’est-ce qu’un groupe ?

« Un groupe est une entité composée de plusieurs petites entités, homogène ou non. »

Nous nous sommes intéressées aux conceptions des étudiants de première année dans la formation à l’enseignement, aux définitions du groupe, du groupe classe, leurs expériences de groupe ainsi qu’à leurs représentations étroitement liées à leur vécu le long de la formation. Ces étudiants ont tous connu et expérimenté des vécus de groupe que cela soit la classe, dans une pratique sportive, une pratique religieuse, associative, etc. Le vécu est bien là, mais pas du tout conscientisé, pas compris comme faisant partie de la socialisation vive et continue du sujet.

« Un groupe classe est formé d’élèves qui ne se sont pas choisis, mais qui doivent pouvoir collaborer, travailler ensemble, mettre leurs idées en commun. » (étudiante de première année)

Les échanges avec les étudiants de la première année font émerger des tensions liées à leurs représentations du groupe classe. Deux tendances se dégagent. La première regroupe les étudiants qui pensent qu’il faut une bonne cohésion initiale du groupe – donc du « déjà là » – pour créer un bon groupe de classe. La deuxième prend le groupe comme il arrive, avec ses caractéristiques. Les étudiants mettent en œuvre une série d’actions et de décisions pour lui donner forme et fonctionnement efficace.

On voit également se dégager plusieurs manières de considérer le groupe classe. Certains étudiants le définissent comme un regroupement d’individus qui sont là pour apprendre. Toutefois, un regroupement d’élèves ne constitue pas encore un groupe. D’autres étudiants amènent une idée de dynamique du groupe avec des formulations telles que : le groupe bouge, change, se développe, il peut avoir une vie parfois « en dents de scie ». Ils mettent en avant des conflits, des affinités, des cercles d’amitiés. Ces étudiants ont une sensibilité forte envers ce qui leur semble plus positif : la cohésion, la coopération, en mettant en avant des valeurs telles que la recherche de respect partagé. Ils sont également sensibles aux émotions des élèves ainsi qu’à celles des adultes. Un accent particulier est mis sur les ressentis d’empathie.

Cohérence

Dans les représentations initiales récoltées, nous observons que les étudiants sont très attachés à l’idée de cohésion du groupe. S’agit-il d’un idéal qu’ils recherchent dans les observations qu’ils font du fonctionnement des équipes pédagogiques et des élèves aux prises avec le travail scolaire ?

Les prises de notes d’observation des terrains éducatifs font souvent ressortir des éléments tels que : « Les enseignants s’entendent bien. J’ai de la chance d’être dans un stage dans lequel les enseignants travaillent ensemble. Dans la classe, tout va bien. L’enseignante n’a pas besoin de faire de la discipline, car elle a une bonne dynamique de groupe. Il règne une bonne ambiance dans la classe. »

Lorsque ce n’est pas le cas, la réalité scolaire est vécue comme une anomalie, voire un défaut de fonctionnement. Ce sont ces situations décrites comme « problématiques » qui nous servent de supports d’analyse dans la formation. Nous tentons de faire émerger ce que l’enseignant met en œuvre comme conditions de groupe et de mettre en lumière l’étayage de groupe. Notre travail consiste à les amener à repérer ce qui dans les classes fait groupe : les rites de passage dits ou non-dits, le formel, l’informel ; le besoin du sentiment d’appartenance ; l’acceptation, le rejet, etc. Quels sont les évènements qui fondent le groupe ? Nous tentons de mettre en lumière que de nombreux liens se tissent également dans l’informel qu’il s’agit de ne pas sous-estimer.

Au fond du questionnement pour les stagiaires, ce n’est pas tant de prendre le groupe comme déjà là, mais plutôt comme un construit qui se présente à eux comme le résultat d’une série d’interventions et de décisions de la part de l’enseignant. Le groupe n’est pas constitué une fois pour toutes et il est loin d’être homogène. Il s’agit donc de dépasser l’idée forte de la recherche de cohésion coute que coute, mais de s’intéresser à ce qui fait le groupe, et comprendre davantage quels sont les rôles de chacun, les jeux d’influence des leadeurs formels ou informels. Comprendre le cheminement du groupe comme construction successive avec des décisions portées par les professionnels.

Penser le groupe

Ce point de vue pousse inévitablement à travailler plutôt sur le collectif et déplacer le regard des étudiants qui, au prime abord était plutôt focalisé sur les individus, afin de s’orienter vers le groupe en tant qu’objet opérationnel à penser. Ce va-et-vient entre les individus, les sujets du groupe et le groupe déplace l’intérêt de l’analyse et permet de dépasser l’attente d’un idéal selon lequel tout le monde devrait s’entendre avant de travailler, avant d’apprendre. Présentée comme une condition obligatoire, cette idéologie paralyse l’action pédagogique et le travail des élèves. Il nous semble tenir ici un objet de formation essentiel.

Actuellement, nous observons que le discours et la recherche sur le bien-être de l’élève ont tendance à se focaliser uniquement sur les individus (suivi de l’élève, diagnostic parfois au risque de la médicalisation) et, de ce fait, le groupe semble mis de côté. Les étudiants observent également que beaucoup d’enseignants mettent de l’énergie dans ces suivis des élèves, et qu’in fine, il reste peu de temps pour « soigner » plutôt le fonctionnement du groupe. Nous nous interrogeons donc sur l’individualisation à l’extrême des interventions des enseignants et nous questionnons aussi la stigmatisation qu’elle peut engendrer à son insu.

L’enjeu de formation peut dès lors se formuler ainsi : comment prendre en compte les besoins individuels sans stigmatiser et tout en construisant le groupe ? Comment faire pour que chaque enfant puisse devenir un réel sujet dans un groupe ? Les outils de la pédagogie institutionnelle nous semblent donner des pistes intéressantes en se préoccupant à la fois de chacun des membres du groupe et de la « santé » et de la vie du groupe.

Cynthia D’Addona, Andreea Capitanescu Benetti
Formatrices d’enseignants à l’université de Genève

Bibliographie

Canton de Neuchâtel, Département de l’éducation et de la famille et canton de Genève, Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse, Mieux vivre ensemble à l’école. Climat scolaire et prévention de la violence, édition actualisée, 2019.
https://www.climatscolaire.ch/wp-content/uploads/Brochure-mieux-vivre-ensemble-complete.pdf


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