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Tout un village pour épanouir les enfants

Au séminaire, alors qu’il se destine à devenir prêtre, il bénéficie d’une bourse pour se former au métier de conseiller professionnel jeunesse. Il anime des activités périscolaires dans un établissement d’enseignement catholique de Douala, se passionne en même temps pour le théâtre, lie les deux. « Le concept est d’utiliser le théâtre comme un outil pédagogique pour enseigner et amener les enfants à s’épanouir. » Il devient professeur, enseigne les sciences et le français en collège.

Au Cameroun, enseigner plusieurs disciplines n’est pas rare. Les enseignants sont formés dans différents types d’écoles, selon qu’ils se destinent à l’école primaire, au collège technique ou à l’enseignement secondaire général. Dans le système scolaire, se côtoient établissements publics et catholiques. Jean-Marie Tamgue exerce dans le second d’abord à Douala puis rejoint l’Ouest, sa région d’origine où, en tant que vacataire, il enseigne en sciences et en informatique.

Outre l’animation théâtrale, il a comme corde à son arc l’éducation sportive. Les professeurs d’Éducation physique et sportive manquent en milieu rural, il retrouve un poste de titulaire avec cette discipline. « J’étais seul enseignant pour toutes les classes de la 6e à la terminale. Ce n’était pas facile de préparer les cours pour tous ces élèves, de trouver les moyens pour les animer et de rester en forme. » Et puis, il a encore en tête l’animation et l’encadrement jeunesse qui l’avait amené sur le chemin de l’éducation et donné la clé de son épanouissement professionnel. Alors, lorsqu’un ami l’informe de l’ouverture d’un poste de direction à la Maison de la jeunesse et de la culture de Ntsingbeu, dans la chefferie du village Nkongzem, groupement de Bafou, il fonce.

Apprentissages et cantine

La MJC a été créée par l’association camerounaise Tockem, dont un des objectifs est d’ « améliorer les conditions d’étude et d’apprentissage des enfants en situation scolaire ». L’école locale catholique Sainte-Raïssa est incluse dans le programme, avec une organisation où les apprentissages sont facilités par le soin porté à l’hygiène et à la diététique. Rien d’étonnant à cela, puisque le président de l’ONG, le Dr Pierre-Marie Metamgo, est médecin.

La journée se déroule selon un rythme bien établi où les cours sont entrecoupés d’activité d’éveil : chants, récits, histoires racontées par les enfants. La récréation de dix heures est une parenthèse où les enfants échangent entre eux et se partagent des beignets. Des rituels d’hygiène sont institués avec plusieurs lavages de mains quotidiens pour que les élèves les intègrent dans leurs habitudes.
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À midi, chaque classe, de vingt-six écoliers en moyenne, partage le repas à la cantine accompagnée de leur enseignante. « C’est un miracle, une cantine dans une école où chaque enfant prend un repas. On avait constaté que des élèves dormaient en classe car ils n’avaient pas assez mangé. La cantine a résolu le problème, les résultats scolaires sont meilleurs. Elle résout aussi un problème sanitaire avec des menus diététiques. » L’école est privée, la cantine est obligatoire, son coût raisonnable est inclus dans le prix de la scolarité.

Tockem intervient également pour qu’elle soit accessible à tous, y compris aux enfants orphelins ou ceux dont la famille est trop pauvre pour envoyer toute la fratrie en classe. Un partenariat avec l’ONG française Elans organise le parrainage de leur scolarité. Avec un don de vingt euros mensuels, les frais d’habillement, d’équipement, de sorties scolaires et même de santé sont couverts. Une partie du chiffre d’affaires du centre touristique solidaire est reversé pour le programme.

Cette année, cinquante-cinq élèves sur les 260 accueillis à l’école Sainte-Raïssa, sont parrainés. « C’est un parrainage scolaire, social, devenu communautaire, pour donner un souffle de vie à ces enfants qui avaient perdu espoir.  » Ceux que la pauvreté laisse à la maison sont recensés pour intégrer le programme.

Du français, des mathématiques et du théâtre

Lorsque Jean-Marie Tamgue arrive à la direction de la MJC, il perçoit rapidement le niveau faible de la plupart des enfants en calcul et en écriture. « La langue française est pratiquée mais à la maison les enfants sont souvent avec leur grand-mère qui parle la langue locale. Alors, c’est difficile à l’école de passer au français.  » En lien avec l’équipe enseignante, il conçoit un programme de soutien. Après les cours, sont organisés des ateliers d’animation pour l’écriture et la culture. Ils sont payants pour les familles qui en ont les moyens, gratuits pour les autres, dans une forme de solidarité. Rapidement les progrès sont flagrants et le programme est ouvert aux autres écoles voisines, du primaire comme du secondaire.

Les ateliers d’aide aux devoirs sont organisés deux fois par semaine par niveau avec des groupes de cinq à six élèves. Pendant les vacances, ils accueillent jusqu’à 15 enfants. « On travaille par palier, avec pour chacun une même thématique, étudiée individuellement. Ensuite, il y a une mise en commun sous forme de jeu. Cela permet aux enfants de se corriger entre eux.  »

Il glisse une dose de théâtre, pour lui « un outil indispensable » pour la pédagogie. Sans doute songe-t-il aux spectacles d’humour qu’il a montés et joués lorsqu’il souligne : « sans théâtre dans la vie, cela ne marche pas. Dans le quotidien, il y a toujours un peu de théâtre qui fait que l’on est détendu.  » Avec cette approche, il vit son métier d’enseignant puis d’éducateur comme celui d’un guide, d’un observateur. « Les enfants peuvent jouer les leçons, les simuler, cela aide les autres à assimiler.  »

Essaimage et sensibilisation

La MJC essaime sur l’ensemble de la commune de Nkongzem. Une caravane civique et éducative sillonne le territoire pour des appuis dans les établissements, l’organisation d’ateliers culturels, sur les droits des enfants et de l’Homme ou encore sur la langue locale. « Les écoles n’en ont pas forcément les moyens. L’association vient en appui d’une institution étatique. » Les locaux de la MJC et sa bibliothèque bien fournie, accueillent des classes et des enseignants. La structure assure des formations en informatique. Elle sensibilise aussi les autorités locales pour que les écoles soient dotées d’ordinateur à l’heure où l’enseignement de l’informatique devient obligatoire.
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« Notre rôle est aussi de sensibiliser les différents acteurs sur le fait que l’innovation en éducation ne repose pas sur une personne mais est faite par un groupe. » Les portes de la MJC sont ouvertes le week-end pour les élèves comme pour les enseignants. Nombre d’actions sont bénévoles. Un service civique volontaire français vient porter main forte pour le projet de parrainage scolaire. La Covid-19 retarde l’arrivée du jeune volontaire en janvier cette année.

Tout cet ensemble d’acteurs, de projets, reliés les uns aux autres par l’impératif éducatif dessine un cercle de solidarité dont les résultats sont certes scolaires mais pas uniquement. Les élèves de Sainte-Raïssa sont bien préparés pour l’entrée dans le secondaire où les effectifs pléthoriques (entre 70 et 120 élèves par classe) impliquent bonnes bases, autonomie et coopération pour réussir. Leurs résultats sont bons au collège, quel que soit leur milieu social d’origine. Ils ont appris à prendre soin des autres, à partager. Ils ont été eux-mêmes parrains d’un autre élève à qui ils ont remis leurs livres lorsqu’ils ont pris leur place dans la classe. La dynamique est aussi économique. Dans une localité où le chômage des jeunes avoisine les 30 %, la MJC et le centre touristique créent des emplois. L’effet de la solidarité opère pour une éducation source d’épanouissement individuel et collectif.

Monique Royer


Pour en savoir plus :
Le site de Tockem
Le site d’Elans