- Dessin de Martin Vidberg
C’est une idée répandue : supprimer les notes aboutirait à tromper les élèves. Parmi d’autres, l’ancien ministre de l’Éducation nationale, Luc Ferry, défend cette position. Il existe au moins cinq bonnes raisons pour considérer que ce n’est pas supprimer les notes qui aboutit à tromper les élèves mais, bien au contraire, garder celles-ci.
Première raison
D’abord, les notes mesurent de façon très imprécise les compétences des élèves. Pour la majorité des élèves notés entre 7 et 13, la différence réelle de compétences est imprécise et variable selon le correcteur. Toutes les études de multiples corrections (plusieurs correcteurs corrigent les mêmes copies), avec ou sans barème, aboutissent à ce résultat indiscutable [1]. Il est donc illusoire de considérer que la note constitue un « thermomètre » qu’il faudrait à tout prix préserver. L’imprécision de la notation a de multiples origines longuement étudiées, notamment l’ordre de correction des copies. Après une bonne copie, le correcteur note plus sévèrement la suivante. Après une mauvaise copie, l’effet inverse est constaté.
« Contrairement aux idées reçues, [la note] entretient la médiocrité : un mauvais devoir est « payé » d’une mauvaise note et tout le monde est quitte ! Quand il faudrait, au contraire, accompagner l’exigence et favoriser le dépassement. » Philippe Meirieu, sur le site Pan à la note !, 2008.
Deuxième raison
Les recherches sur la notation ont montré l’existence de biais sociaux de notation. Il s’agit d’erreurs systématiques de notation des professeurs liées, lorsqu’elles sont connues, aux informations extrascolaires relatives aux élèves. Les professeurs sont influencés, inconsciemment, par le sexe de l’élève, un redoublement éventuel, son âge, son origine sociale, son niveau scolaire, les notes déjà mises à l’élève, le niveau de la classe, de l’établissement... Depuis un demi siècle, toutes les études, tant psychologiques que sociologiques, ont confirmé l’existence de ces biais sociaux de notation autant au collège qu’au lycée.
Troisième raison
Dans certains discours, la notation serait indispensable à la motivation. Cette idée est diffusée surtout par les anciens bons élèves ! Les plus de 100 000 élèves sortis sans diplôme du système éducatif n’ont pas du tout été motivés par la suite continue de mauvaises notes recueillies au cours de leur brève scolarité. La bonne note encourage et motive ; la mauvaise décourage. Sur ce sujet, les recherches convergent : les mauvaises notes créent une image scolaire de soi négative, favorisent une résignation acquise, un sentiment d’incompétence, et constituent un handicap dans le processus d’apprentissage. Pour les meilleurs élèves, les effets globaux de la note ne sont pas forcément positifs : la compétition scolaire favorise l’individualisme égoïste et des comportements antisociaux [2]. Être parmi les premiers devient parfois l’objectif prioritaire.
Quatrième raison
Certains affirment que les élèves veulent savoir où ils se situent par rapport aux autres. Cette demande est surtout présente chez les meilleurs élèves. Les autres élèves, ceux qui sont en difficulté, ne manifestent pas une telle demande. Ils ont bien davantage la crainte, voire la honte, des dernières places. Cette obsession du classement exerce des effets négatifs. En France, l’amour de l’école est faible et l’anxiété scolaire élevée. Elle concerne les élèves en difficulté mais aussi les meilleurs élèves, trop souvent prisonniers, tout comme leurs parents, par une sorte d’obsession des notes. Pour augmenter ou seulement assurer leurs résultats, même les bons élèves sont parfois amenés à tricher [3]. Un système d’évaluation, source de tricherie en raison de la peur de l’échec et/ou de la vénération des premières places, pose problème pour l’école et aussi pour la société : tricher devient un comportement normal.
Cinquième raison
Enfin, un discours affirme que la notation permet d’apprendre. De fait, les professeurs sont souvent confrontés à cette question des élèves : « ce travail sera-t-il noté ? » et, en l’absence de note, le travail fourni est souvent réduit. Déduire de cette situation scolaire que la note est nécessaire aux apprentissages revient à confondre la cause et la conséquence. La note indique à l’élève ce qui est essentiel et ce qui est accessoire, mais les élèves travaillent seulement pour obtenir une bonne note ou éviter une mauvaise. Après le contrôle, qu’il soit réussi ou raté, le travail d’oubli fait rapidement son œuvre. Focalisés sur les notes, les élèves s’intéressent moins à la connaissance ; pire, ils s’en détournent. Inversement, dans les systèmes éducatifs où les notes sont rares, les élèves apprennent davantage pour d’autres motifs : intérêt, curiosité, passion.
Par ailleurs, l’essentiel de nos connaissances et compétences - faire du vélo, nager, parler, être attentif à autrui, etc. - n’ont pas été apprises à l’école, avec des notes, mais de façon diffuse, lors de la socialisation familiale, au contact des amis, des pairs... Les réels moteurs de l’apprentissage sont l’intérêt, un projet professionnel, les conseils des autres... non les notes.
Révolution scolaire
Que conclure sur les notes ? Elles exercent des effets négatifs, notamment sur les élèves moyens et en difficulté. Ces raisons sont suffisamment bien établies par les recherches pour promouvoir d’autres formes d’évaluation des élèves, principalement une évaluation par compétences. Celle-ci est plus précise pour les élèves, favorise les progrès scolaires et nécessite de construire d’une nouvelle façon les séquences d’apprentissage compte tenu d’une définition plus rigoureuse des connaissances et compétences à maitriser.
C’est une forme de révolution scolaire. C’est la raison pour laquelle elle suscite tant d’oppositions résolues par les partisans de l’immobilisme tournés vers le passé. Ils seraient surpris d’apprendre que la note n’a pas toujours existé dans l’école française. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les notes étaient absentes du quotidien de la classe aussi bien dans les écoles, collèges et lycées ! Dans une partie du système scolaire prédominait même une forme rudimentaire d’évaluation par compétences [4].
Pierre Merle
Professeur de sociologie, ESPE de Bretagne
A lire également :
« L’évaluation en classe », dossier Hors-série numérique n°39 des Cahiers pédagogiques (archives)
« L’erreur pour apprendre », n°494 des Cahiers pédagogiques
L’évaluation des élèves, n°438 des Cahiers pédagogiques
Cette évaluation impossible et pourtant nécessaire, dossier sur le site de Jacques Nimier