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Maternelles sous contrôle, les dangers d’une évaluation précoce

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Écrit par deux soeurs connaissant bien l’école maternelle (l’une est institutrice et l’autre psychologue s’occupant d’enfants en échec scolaire), ce livre est un violent réquisitoire contre le livret scolaire institué par la loi de juillet 1989. Je crois que si ce livre entrevoit quelques bonnes questions il les formule mal, y répond encore moins bien et son argumentation est pour le moins discutable.

Ainsi le livret, qualifié de cheval de Troie, serait une transformation pédagogique rétrograde : avant l’école maternelle était un lieu où l’enfant pouvait apprendre, avant d’aller au CP, qu’il était un être respectable et que les connaissances étaient des outils pour être libre. Le livret va à l’encontre de ce respect pour l’enfant, il l’inscrit dans un marathon inutile, scandaleux, ridicule. Et l’on nous parle souvent de primarisation de la maternelle, de recul de la spécificité de l’enseignement auprès des plus jeunes, comme si l’ensemble des aspects jugés négatifs de 1’évaluation pouvait se justifier auprès d’enfants plus âgés, élèves de l’école élémentaire ou du collège. L’évaluation est considérée comme une sélection qui est contestée parce que précoce et créatrice d’échec dès la maternelle, faut-il entendre qu’elle peut être acceptée plus tard ? Et lorsqu’il est affirmé que l’évaluation prend du temps au détriment de l’apprentissage, que le livret ordonne les apprentissages, les hiérarchise du simple au complexe, ces difficultés sont peu approfondies et jamais situées dans un contexte plus large que la maternelle. De même, lorsque les auteurs remarquent qu’une observation, qui n’est que l’expression de la pensée d’un enseignant à un moment donné, devient une vérité officialisée par le livret, une caractéristique indiscutable, immuable de l’enfant, cela ne semble grave que parce que l’enfant est jeune. Dire qu’un enfant n’a pas de persévérance dans le travail est scandaleux parce qu’il a trois ans, ce ne le serait plus après ?

Avant, la maternelle était un espace privilégié (à l’abri de ces abus) qu’il convient de défendre comme tel, mais faut-il véritablement protéger une spécificité qui me semble contestable, n’avons-nous pas plutôt à conduire une réflexion générale sur la place de l’élève, de ses apprentissages et de leur évaluation (ce qui est inacceptable en maternelle l’est aussi ailleurs). Plus largement il me semble que c’est bien l’évaluation sous toutes ses formes qui est ici rejetée. L’évaluation est décrite comme une trahison – parce qu’elle se ferait à l’insu de l’enfant, ce serait trahir la relation avec lui, cf. l’évaluation du langage : il nous parle avec confiance et nous en profitons pour évaluer ce qu’il nous dit.

De plus le livret encouragerait une pédagogie de la trace qui, à l’encontre d’une pédagogie dynamique, imposerait à l’enfant de très nombreux travaux sur fiches : quatre-vingt-dix pages d’un classeur en un trimestre dont onze pages de ronds et autant de traits, nous dit-on. Or cette inflation de fiches ne me semble pas liée à l’apparition du livret, c’est une modalité de travail rassurante, très souvent et depuis fort longtemps utilisée dans nombre de classes de la maternelle au CM2. Si le livret est l’incarnation d’une idéologie de l’efficacité, du travail utile et rationnel ou le symptôme de la maladie de l’angoisse, ces idéologies et maladies existent en dehors de ce livret et ce sont elles qu’il me semble plus utile de dénoncer et de combattre.

Dans ce livre, la lutte contre le livret s’oriente aussi contre ceux qui l’utilisent : le livret ne serait rempli que pour avoir la paix par rapport à la hiérarchie. Et surtout, ceux qui obéissent à la loi de 1989 sont gravement en tort : « Si l’enseignant s’emploie à appliquer les directives ministérielles dans un trop grand souci de conformité, il n’est plus détenteur de la loi dans sa classe, il est un sujet obéissant », nous dit-on page 58, affirmation qui me semble abusive.

Françoise Carraud


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