Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !
,

Et lundi ? La minute de silence

L’assassinat de Samuel Paty a été l’occasion d’une déferlante de commentaires, de prescriptions, d’injonctions parfois contradictoires. Le Crap-Cahiers pédagogique a d’abord réagi en affichant son indignation et sa condamnation sans nuance. L’annonce d’une journée de commémoration lundi, a provoqué beaucoup de questions et de réflexions que nous partageons dans une série d’articles et de ressources dans les jours qui viennent. En commençant par l’immédiat : comment faire vivre la minute de silence ?

Le moment de la minute de silence est annoncé par certains médias comme potentiellement problématique : et si certains refusent ou perturbent ? C’est un moment troublant qui peut générer de l’émotion, et on voit souvent ces minutes normalement silencieuses être remplacées depuis quelques temps par des applaudissements faisant la part belle à l’action collective, à l’appartenance groupale sans passer par le moment du souvenir ému. Cette minute de silence doit être préparée, expliquée avec nos élèves.

Un rite laïque

La pratique d’une minute de silence est un rite laïque. En France, il a d’abord été utilisé depuis 1922 afin de rendre hommage aux morts de la Première Guerre Mondiale. Depuis, il est organisé à chaque fois qu’un recueillement collectif s’impose. Des évènements tragiques peuvent conduire des enseignants à faire vivre une minute de silence avec leurs élèves, en lien avec d’autres classes et d’autres établissements, qui s’associent à ce geste dans un même élan de pensée.

Toutefois, ce qui peut paraître évident pour des adultes ne l’est pas forcément pour des enfants ou des adolescents qui découvrent ce temps de silence spécifique. Par exemple, l’intention est différente des périodes de silence que l’on demande aux élèves de respecter pour qu’ils se concentrent sur une tâche scolaire. Si l’on souhaite qu’ils puissent aussi participer à la dynamique collective en mettant du sens dans ce moment, il est souvent nécessaire d’entourer la minute silence de quelques précautions.

Qu’est-ce qu’on fait avant la minute de silence ?

La période qui précède la minute de silence est porteuse de deux temporalités : avec les collègues enseignants et avec les élèves.

Avec les collègues enseignants, il s’agit de discuter ensemble dans le but d’avoir un discours commun et cohérent, à partir des avis de chacun et des éléments de cadrage donnés par le ministère ou les inspections. Le but de cette discussion est de rédiger un document partagé sur lequel se trouvent les repères que chacun peut ensuite utiliser en classe, adaptés en fonction de l’âge des enfants. C’est notamment essentiel dans les classes avec plusieurs professeurs, pour que les élèves perçoivent l’unité des positions autour de l’hommage rendu. C’est aussi l’occasion d’organiser des binômes d’adultes, afin que ceux qui se sentiraient vulnérables à ce moment puissent ne pas rester seuls.

Avec les élèves, il s’agit de les préparer à cette minute de silence, en leur apportant plusieurs types d’informations : les faits (ce qui s’est passé), les lois et les interdits franchis, les dommages causés et pourquoi les élèves sont associés à cet évènement, en même temps que de nombreux autres. Ces informations sont l’occasion de leur expliquer les raisons pour lesquelles les collectifs se retrouvent autour de ce même geste symbolique, quelles sont les significations que l’on donne aux minutes de silence et les raisons particulières à celle qui va être organisée. Ces informations laissent place aux questions des élèves, afin de chasser les éventuels malentendus ou incompréhensions. Ces questions peuvent concerner la forme de la minute de silence, tout comme les raisons qui la justifient.

Des images, photographies ou courtes vidéos peuvent accompagner ces échanges. Ces supports sont choisis pour ne pas être ni émotionnellement difficiles, ni problématiques du point de vue de polémiques qu’ils soulèveraient. C’est après le temps de minute de silence qu’un travail pédagogique peut être engagé.

Pourquoi « une minute de silence » ?

Une minute de silence est un symbole non-violent qui relie des êtres humains autour d’un même hommage au moment où ils font silence. En ce sens, elle montre que des personnes se réunissent pour partager un moment et une attention conjointe. Elle correspond à un choix que l’on fait pour commémorer un événement douloureux, qui nous tient à cœur et qui nous touche tous. C’est un temps de recueillement, de pensée, de respect envers la ou les victimes. C’est aussi une période d’intériorité où chacun peut être en dialogue avec lui-même, à partir de l’élan collectif suscité pour être certain qu’il n’est pas seul dans cette tristesse.

Le silence sert à montrer notre respect aux victimes, pour s’arrêter un instant dans la précipitation de nos vies et prendre le temps d’être avec soi, réfléchir, penser au calme. Il est l’occasion de se concentrer sur les victimes, leurs familles et leurs proches. Il aide aussi à penser aux raisons qui ont conduit à ce drame, à ce qui justifie de la colère et est vécu comme de l’injustice ou de la barbarie.

Dans des groupes restreints, comme une classe, on peut organiser un temps de partages de ressentis après cette minute de silence, si on le souhaite. Il est important que ce moment ne génère pas de discussions.

À quoi on pense, qu’est-ce qu’on regarde et comment on se comporte pendant une minute de silence ?

L’attitude que l’on attend à ce moment-là, c’est le silence et le calme. On peut baisser la tête pour regarder au sol, on peut regarder au loin en fixant un point pour ne pas se laisser distraire, on peut aussi regarder un arbre (dans la cour ou par la fenêtre) parce que l’arbre symbolise dans toutes les civilisations le lien entre la terre et le ciel, on pense à quelque chose d’apaisant et de calme. Si la position debout n’est pas une consigne commune, on peut décider de rester assis, sans bouger.

On reste calme et tranquille, on ne fait rien de spécial, si ce n’est de penser à ce que l’on veut si on ne veut pas penser à la mort. Ce qui est demandé est de ne déranger personne pendant ce court temps. Il vaut mieux ne pas regarder ses copains et ses copines, pour ne prendre le risque de parasiter leur concentration, ce qui pourrait leur donner envie de rire ou de pleurer. Peu importe ce que les autres font, l’important est ce qui se passe en soi, avec d’autres.

C’est un moment solennel et c’est un moment personnel. Personne ne paraît « bête » à rester là et ne rien faire d’autre. On dit qu’on reste dignes. On se regarde à l’intérieur.
Pendant la minute de silence, on peut penser aux victimes, à sa famille et ses amis. On peut penser à l’école et à la sécurité qu’elle garantit.

Avec certains élèves, notamment les plus jeunes, l’enseignant peut allumer une petite bougie pour penser aux raisons qui motivent cette minute.

Et si on n’a pas envie d’y participer ?

Une minute de silence est un temps commun et collectif. Il ne s’agit pas d’avoir envie ou de faire le choix d’y participer. Cela concerne tout le monde. Comme dans d’autres occasions de la vie, la règle s’impose. Un élève qui ne garderait pas le silence est rappelé à l’ordre.

Certains peuvent ne pas se sentir concernés. C’est pour cela qu’une minute de silence est précédée d’explications pour que chacun reçoive les mêmes informations. Mais il s’agit de respecter tous ceux pour qui ce moment est important, sans les déranger ni montrer son désintérêt.

Une minute de silence est un moment fédérateur. On est tous au même moment en train de penser à la même situation et à partager de mêmes valeurs. On se montre soudés contre ce qui fait souffrir et unis pour construire des solutions à ces problèmes. On a besoin du groupe pour bien vivre avec soi. Les minutes de silence commémoratives sont l’occasion de se le rappeler. On sait aussi que cette union va bien au-delà de notre classe, de notre école, qu’ailleurs beaucoup de gens qu’on ne connait pas font la même chose au même moment et que c’est juste parce que nous sommes tous vivants et que nous ne pouvons être vivant qu’en respectant et protégeant la vie de tous.

Ce texte a été réalisé à l’occasion de l’hommage rendu dans les écoles à Samuel Paty. Son contenu est issu d’un questionnaire (n = 72) rempli par des enseignantes et les enseignants de l’association du CRAP-Cahiers Pédagogiques, exerçant de la maternelle à l’enseignement supérieur.


À lire également sur notre site:
Et lundi ?
Et lundi ? Un temps pour tout
Et lundi ? Des ressources pour construire le dialogue