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Cette année-là, on n’a pas tellement rigolé

2019-2020. Cette année-là, on n’a pas tellement rigolé. Et madame N., notre professeure de français non plus, mais ce n’était pas trop sa faute.

On était en 1re, et elle nous a dit qu’elle avait dû choisir obligatoirement entre trois romans, La Princesse de Clèves, Le Rouge et le Noir et Les Mémoires d’Hadrien. Quelqu’un a demandé « pourquoi pas autre chose ? », mais on a senti qu’elle n’était vraiment pas à l’aise pour répondre. Elle disait que c’était de « belles » œuvres qu’elle aimait, et on voyait qu’elle y croyait, mais de là à savoir comment… Comment quoi ? Eh bien, comment ne pas s’endormir dessus, comment en parler entre nous, comment mettre de la vie dans ces histoires, et, euh… peut-être d’abord les comprendre.

Il y avait aussi Les Fleurs du mal, Le Mariage de Figaro. D’abord, on avait eu du mal à acheter les éditions « spéciale bac » parce que, comme le programme était le même partout en France, les éditeurs s’étaient vite trouvés en rupture de stock. Mais la moitié des élèves avaient le livre, c’était déjà ça. Alors on avançait : avec quatre heures par semaine et en gros vingt textes à présenter à l’examen, il fallait se dépêcher.

À la réunion de début d’année avec les parents, c’était la panique générale et la ruée vers les cours de soutien. Même les miens s’y mettaient, pas très glorieux : « On va déjà se renseigner sur le prix des cours. » En apprenant ça, madame N. avait été presque en colère, mais on sentait que c’était pareil dans les autres classes.

On entendait les professeurs de français discuter sans arrêt et se demander : « Comment tu comprends ça, toi, pour l’examen ? » Heureusement, un jour, ils avaient eu une réunion avec leur inspecteur. Pas trop tôt ! Depuis le temps qu’on posait des questions à madame N. et qu’on comprenait qu’elle-même ne savait pas ! Par exemple, la grammaire : « Combien de temps ? Comment ? » Elle hésitait.

La réponse, elle nous l’a apportée au cours suivant : en grammaire, ce serait soit une heure par semaine, soit un quart d’heure à chaque heure de cours, soit deux fois une demi-heure deux fois par semaine. Elle a essayé le quart d’heure rituel à propos du complément d’objet direct, tiens, une vieille connaissance. On voulait bien lui faire plaisir, mais on n’avait jamais fini, il y avait tellement de questions, surtout parce que chaque fois, on disait : « Est-ce qu’ils peuvent nous demander ça à l’examen ? Si on dit ça, est-ce que ça va ? » Et on voyait que la pauvre, elle avait l’œil sur la montre.

Bref, toute l’année, on a ingurgité des choses pour le bac. On n’a fait que ça, et la professeure se fatiguait à nous aider au maximum, à nous faire écrire des fiches de révision, tout en avançant à marche forcée. Un jour, elle a lâché : « Pour la première fois, je me dis que je n’aimerais pas être un élève de mes propres cours. » On a été tellement surpris qu’on a éclaté de rire. C’était au moins ça.

N.B : Bien sûr, ce texte est une pure fiction, toute ressemblance avec des faits réels est impensable dans notre système éducatif entièrement pensé et organisé dans l’intérêt des élèves.

Florence Castincaud