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De la discussion philosophique en accompagnement personnalisé

Dans ce collège REP (réseau d’éducation prioritaire) riche en projets, une équipe utilise le dispositif de la discussion philosophique de manière transversale et cherche à en faire une composante de l’accompagnement personnalisé, qui permet un grand champ de possibles, pas toujours assez exploité.

Après avoir mis en œuvre un projet intitulé « Le monde, les autres et moi » dans le cadre d’une semaine interdisciplinaire en 2015, nous avions proposé à nos collègues une extension à l’accompagnement personnalisé (AP), manière de pérenniser le projet cette année. Nous avions de manière collégiale déterminé la compétence à développer spécifiquement dans cet AP, à savoir « la construction de l’esprit critique ». Cet AP de 6e intitulé « Soyons philosophes » est destiné à des élèves introvertis ou faisant face à des difficultés personnelles ou encore susceptibles d’être violents envers eux-mêmes ou les autres.

Revenons à notre expérience de l’année précédente. Nous sommes parties du constat d’une absence d’espace d’expression et d’écoute de la parole des enfants, non pas par manque de volonté des acteurs éducatifs, mais du fait des nombreuses contraintes liées au fonctionnement du collège. D’autre part, la pression scolaire engendre des situations de stress et d’angoisse chez de nombreux élèves.

Une formation établissement sur la maitrise de la langue a été un déclencheur pour la construction de notre projet, formation au cours de laquelle nous avons pu découvrir les travaux de Serge Boimare. Il a établi notamment le constat d’une relation de causalité entre l’échec scolaire et une difficulté à produire de l’image et à affronter la contrainte, notamment celle liée à l’apprentissage. « Les enfants empêchés de penser présentent tous un point commun : ils ne disposent pas d’un monde interne suffisamment fiable pour alimenter et relayer leurs capacités réflexives. » À travers les textes fondateurs, il propose de fournir « les représentations nécessaires au monde interne pour étayer la réflexion et permettre aux enfants de jouer ce rôle de relai entre le dedans et le dehors, un relai nécessaire à la pensée ». Le nourrissage par la culture peut donner forme aux angoisses et enrichir le monde interne.

UNE SÉANCE EN QUATRE TEMPS

Par ailleurs, de par nos parcours personnels, nous étions sensibilisées aux pratiques de méditation et de relaxation, à leurs bienfaits sur l’attention et à la possibilité qu’elles donnent d’accéder à un état de bienêtre de façon autonome1. Les deux démarches nous sont apparues complémentaires.

L’année dernière, dans le cadre du projet d’établissement, nous disposions de deux semaines blanches, semaines sans emploi du temps préétabli, qui nous ont permis, entre autres, de mettre en œuvre ce projet. Suivant les conseils de Serge Boimare, nous avons instauré quatre séances sur le créneau du matin.

Chaque séance se déroulait en quatre temps : le premier temps consistait en quelques minutes de relaxation pour favoriser chez les élèves un état d’écoute et de calme ; le deuxième temps proposait la lecture d’un texte qui donne des réponses ou pistes de réponses possibles à des questions primordiales. Le fil directeur des textes choisis (un conte amérindien, un conte africain, deux textes de la Bible, un conte soufi) était la fraternité ; le troisième temps était consacré à un échange sur ce qui venait d’être lu. Chacun pouvait confronter son point de vue à celui des autres, échanger autour de ce qui avait été entendu et compris, mais aussi autour des interrogations et des émotions mobilisées par le texte. Ce moment était avant toute chose un entrainement à s’appuyer sur le monde interne : interprétations et compréhensions ne sont pas toujours identiques, contresens et malentendus sont fréquents. L’échange avec l’autre permettait de travailler ces différences et d’en faire une construction commune. Nous avions choisi de ritualiser la prise de parole en utilisant le bâton de parole, objet symbolique qui matérialise le passage de la parole dans le groupe ; dans un quatrième temps, avait lieu la rédaction individuelle d’un texte pour reprendre une question ayant émergé du débat ou d’une production plastique individuelle, suivie plus tard d’une séance d’analyse collective de ces créations avec le professeur d’arts plastiques.

Tout cela permettait de renouer avec les quatre principes fondamentaux de la pédagogie : intéresser, nourrir, faire parler et relier les savoirs aux questions humaines fondamentales.

À la fin du projet, un temps de concertation avec l’ensemble des collègues ayant suivi la classe a été prévu, afin de permettre l’évaluation des compétences développées par les élèves. Nous avions coconstruit une grille pour ce faire.

Nous disposions également d’une grille d’évaluation par classe, quotidienne, afin d’assurer le suivi des élèves et ainsi s’appuyer sur des critères d’évaluation concrets lors de la concertation de fin de projet. Nous avions décidé d’utiliser une évaluation par ceintures, avec comme compétences travaillées la « construction de l’esprit critique », « le développement de la curiosité et de la créativité » ainsi que « prendre en considération la règles et les autres ». Chaque compétence a été déclinée en plusieurs capacités. À titre d’exemple, pour la compétence « construction de l’esprit critique », nous avons évalué à la fois la capacité « modifier son point de vue grâce à la discussion » et « être d’accord avec soi et pas le plus fort ou le copain ou le dernier qui a parlé ».

Grâce à une nouvelle configuration de l’espace et au rituel de la prise de parole, l’élève, tourné vers ses pairs, verbalise sa pensée avec une plus grande liberté que dans une situation de classe traditionnelle. L’adulte inscrit dans le cercle est garant du rituel de prise de parole et peut relancer la discussion en s’appuyant sur un propos des élèves. Notamment lorsqu’un élève révèle une compréhension intime et spontanée d’une question existentielle ou lorsqu’il se pose une question qui permet d’aborder d’autres champs philosophiques.

DES EFFETS BÉNÉFIQUES

Nous avons pu constater que des élèves discrets ou démotivés en classe se sont révélés en s’engageant fortement dans le projet. Celui-ci a également eu un effet positif sur la cohésion de groupe : à travers cette démarche, les élèves ont développé une meilleure connaissance d’eux-mêmes et des autres, dont découle une plus grande facilité à affirmer sa singularité au sein du groupe ou à se retrouver autour d’une pensée commune.

Ces moments de partage ont permis à certains élèves de se livrer sur des ressentis ou expériences difficiles, ce qui nous a amenées à préciser leur accompagnement. Les productions artistiques ont été très riches, à la fois plastiquement et sémantiquement. De plus, les élèves ont fait part de leur envie de développer les pratiques de relaxation en classe (par exemple avant une évaluation, pour porter l’attention sur soi et mieux gérer son stress).

Compte tenu des effets de notre projet, nous avons proposé aux professeurs principaux des classes de 6e d’organiser de manière régulière ce type d’atelier sur les heures de vie de classe, afin de verbaliser les éventuels conflits internes et externes qui peuvent faire obstacle à la cohésion du groupe. Nous avons fait le choix d’inscrire cette démarche dans le cadre du parcours santé et citoyen de nos élèves.

Nous avons également sensibilisé les collègues volontaires aux pratiques de relaxation et de méditation, afin de leur donner des pistes de transfert de ces pratiques en classe, pour favoriser l’attention des élèves et donc la réussite de leurs apprentissages. De plus, nous avons mis en place un club de relaxation sur la pause déjeuner, afin de permettre à tous les élèves de l’établissement de disposer d’un espace de calme et de détente et de les sensibiliser à l’écoute de leur corps et de leurs émotions.

Compte tenu des choix qui ont été faits dans notre établissement, l’AP est organisé en effectif réduit. Trois créneaux par semaine ont été alignés pour permettre de décloisonner les classes et les niveaux. Les élèves changent de groupe d’AP toutes les six ou douze semaines. Il y a donc en équipe un travail de diagnostic des difficultés de nos élèves, afin d’orienter chaque enfant dans le groupe d’AP correspondant à ses besoins.

L’accompagnement personnalisé est dans ce contexte un bon moyen d’utiliser les points forts d’un tel projet : le travail en petit groupe et le fait de croiser les niveaux permettent de libérer la parole de l’élève et d’instaurer une meilleure écoute entre les élèves et d’influencer ainsi la manière dont ils cohabitent dans l’espace du collège.

Elsa Bidron, Louise Gerber, Mélanie Jonquière, Sabrina Le Locat et Virginie Pérou
Enseignantes au collège Albert-Camus d’Argenteuil

Paroles

Un bon professeur

Extrait d’une discussion autour du texte Diogène, l’Homme-chien, Yann Marchand,éd. Les Petits Platons

Professeur : « Qu’est-ce qu’un bon professeur ?

Layane : — Être un bon professeur, c’est apprendre à des élèves des choses vraies.

Sarah : — C’est être à l’écoute des élèves qui ont des questions et rester plus longtemps avec celui qui a des difficultés.

Khalil : — C’est les plus anciens qui savent le plus de choses, ceux qui ont le plus d’expérience : les vieux, les personnes âgées.

Layane : — Il faut aller à l’école pour être un bon professeur.

Sarah : — C’est pas parce que l’on est âgé que l’on sait plus de choses. »

Notes
  1. Voir par exemple l’article de Jeanne Siaud-Fachin, « Méditation, enfance et apprentissages font-ils bon ménage ? », Cahiers pédagogiques n° 527, février 2016.