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L’évaluation pour la réussite plutôt que l’évaluationnite

L’évaluation est devenue la star des méthodes pour juger de la réussite, de l’efficacité ou des échecs des hommes, de leurs actions et de leurs projets. Au point qu’on parle désormais d’une « culture » de l’évaluation qui procède même à l’évaluation de sa propre « culture »…

En 2011, sur le site de la revue Sciences Humaines, on détectait la poussée de « la fièvre de l’évaluation » et sa « dérive gestionnaire » : « Il s’ensuit qu’évaluation rime autant avec rationalisation, attendue par les évaluateurs, qu’avec exaspération, vécue par les évalués ». Car « ce qui a de la valeur n’a pas toujours de prix, et ce qui a un prix n’a pas nécessairement de valeur. » (SH.com, 15/06/2011).

L’Éducation nationale n’a pas échappé à cette fièvre qu’on dénomme par dérision l’évaluationnite.

Quelques grandes étapes d’une prise en compte nationale et internationale de l’évaluation

En 1987, est créée au ministère de l’Éducation nationale la « Direction de l’évaluation et de la prospective » (DEP) qui prend le relais de la Direction de la statistique.

Malgré quelques vicissitudes sur son appellation et ses missions, elle s’attache à construire un système d’information fiable, avec des bases de données organisées qui mobilisent l’outil informatique et tiennent compte des travaux de recherche en éducation. Elle publie régulièrement des documents tels que Repères et références statistiques sur l’éducation, L’état de l’École, Géographie de l’École, etc.

Parallèlement sont élaborés des indicateurs de pilotage des établissements scolaires (IPES) en relation avec les travaux qui montrent l’importance de « l’effet établissement »

. En particulier, des indicateurs de résultats s’efforcent d’appréhender la réelle valeur ajoutée des collèges et lycées au-delà des résultats bruts aux examens, qui ne prenaient en compte ni le niveau des élèves recrutés ni leur origine sociale. Le palmarès des résultats au bac est bouleversé par les nouveaux calculs qui se réfèrent à l’origine sociale des élèves et aux politiques d’élimination ou de conservation des élèves pratiquées dans chaque lycée.

En 1989, sont mis en place des tests nationaux standardisés à trois moments du parcours scolaire : CE2 (3e année de l’enseignement élémentaire), classe de 6e (début du collège) et classe de seconde (début du lycée). Ces tests ont une finalité diagnostique et formative. Passés en début d’année scolaire, ils ont pour objectif de repérer les principales lacunes des élèves, en termes de connaissances et de méthodes, afin de mieux prendre en compte leur hétérogénéité et de remédier aux carences observées par des stratégies pédagogiques adaptées.

Mais ils n’ont aucun caractère contraignant et les enseignants sont libres de les utiliser ou non…

La plupart du temps, les résultats présentés dans des livrets assez bien faits se sont retrouvés au placard !

En 2000, un « Haut Conseil de l’évaluation de l’école » est créé. C’était un organisme indépendant du ministère et chargé de missions d’expertise, de synthèse et de proposition. Il n’avait pas pour mission de procéder lui-même à des évaluations, mais d’examiner l’évaluation du système éducatif. Ses missions ont été dévolues au « Haut Conseil de l’Éducation » (HCE) de 2005 à 2013 et sont depuis lors confiées au « Conseil national d’évaluation du système scolaire » (CNESCO).

2000 voit également le début du programme PISA, acronyme pour « Program for International Student Assessment » en anglais, et pour « Programme international pour le suivi des acquis des élèves » en français.

C’est un ensemble d’études menées par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique). Mis en place dans une perspective de concurrence économique, PISA vise à la mesure comparative des performances des systèmes éducatifs des pays membres et non-membres. Leur publication est triennale. La dernière fut publiée en 2013, la prochaine le sera en 2016.

La volonté de faciliter le développement de l’évaluation formative

Mais ce n’est pas à un voyage dans cet immense domaine de l’évaluation du système éducatif, de sa « gouvernance » et de son pilotage auquel nous vous convions dans ce dossier…

Nous nous en tiendrons à fouiller dans la grande base de ressources des Cahiers pédagogiques pour revenir sur les articles les plus pertinents qui nous ont parlé de l’évaluation scolaire, de ce qui se fait et peut se faire en classe, dans l’école ou l’établissement, au quotidien, que l’on soit isolé ou que l’on ait la chance de travailler en équipe.

Car, bien sûr, à l’école, on corrige, on apprécie, on note et on évalue – nous verrons que ces deux termes ne sont pas toujours synonymes – les travaux, les acquis et les progrès des élèves tous les jours et à longueur d’année. Cette pratique se double de plus en plus de la volonté d’intégrer l’évaluation dans la démarche pédagogique, de renoncer au négatif du bilan pour faire de l’évaluation un élément moteur, comme l’a proposé André de Peretti depuis une quarantaine d’années.

Voilà pourquoi nous ne remonterons pas plus haut que les années soixante-dix qui virent le mot « évaluation » envahir le vocabulaire de l’école par le moyen de ce que l’on nomma alors l’évaluation formative et ses méthodes.

La question de la note

Or, tout au long des débats sur la démocratisation de l’école, on n’a jamais cessé en France de parler de la note. De la notation sur 10, sur 20, qui perdure depuis 1892 malgré toutes les critiques et les objections que les spécialistes en docimologie et les sociologues comme François Dubet, lui ont faites, malgré les propositions alternatives que les praticiens innovateurs ont ici et là éprouvées et présentées. De la moyenne et des classements qui restent une des bases incontournables de notre système dans lequel l’orientation et ses procédures d’appel font encore référence plus aux résultats passés qu’aux perspectives d’avenir.

Quand, en 2012, Vincent Peillon, propose une refondation de l’école, il est approuvé par François Hollande qui prône une « évaluation bienveillante ». Mais quand, en 2014, pour la première fois, une conférence nationale est réunie sur l’évaluation, quand le prix Nobel de physique, Étienne Klein, qui n’est pas un dangereux « pédagogiste », préside un jury qui propose un moratoire sur les notes chiffrées jusqu’à l’entrée en 6e, la ministre, ou plutôt son entourage, affirme que ce « n’est pas à l’ordre du jour »…

Cette question de la note n’est-elle pas l’arbre qui cache la forêt des nouvelles missions de l’école ?

La fausse entrée en scène des compétences

En effet, tout ce beau monde politique oublie (ou plutôt feint d’oublier) que, depuis 2006, un décret a instauré un « socle commun de connaissances et de compétences » pour les élèves, socle qui regroupe « tout ce qu’il est indispensable de maîtriser à l’issue de la scolarité obligatoire ».

Après quelques années de gestation difficile, a suivi la création d’un livret personnel de compétences (LPC) qui présente une exigence de réussite, de maîtrise minimale d’un certain nombre de savoirs et de savoir-faire, car il ne s’agit plus seulement de trier les meilleurs pour les amener dans les classes préparatoires aux grandes écoles.

Progressivement, l’ambition d’une suppression de la sortie du système sans diplôme qui concernait encore 17 % d’une classe d’âge en 2011 (soit 122 000 jeunes selon Pierre Merle) est venue se surajouter à « l’élitisme républicain » qui suppose et impose les notes, les moyennes et les classements.

Or, les compétences imposent de nouvelles formes d’évaluation car elles retrouvent les origines de toute évaluation qui se traduit par un jugement binaire : on est compétent ou on ne l’est pas. L’approche par compétences, la mise en place de la compétence chez la personne requièrent des pratiques renouvelées pour l’évaluation qui seront développées dans l’avant-dernière partie de ce dossier, la dernière étant consacrée à la formation que suppose un abandon, ou, à tout le moins, une refonte du système d’évaluation.

Déjà compliquée par une plus grande place réservée aux parents, de plus en plus repérés comme des « consommateurs d’école » selon l’expression de Robert Ballion, la pratique des enseignants est souvent contrainte de s’en tenir à une demi-mesure issue de trois siècles de notation. On observe en effet une tendance au regroupement des notes et des moyennes entre 8 et 12, selon le principe bien connu de la courbe de Gauss. Le paradoxe, c’est qu’elle est née au 18e siècle, de la recherche d’une « loi du hasard » !

Changer l’évaluation et évaluer le changement

C’est bien dans les établissements et les classes que se prennent les décisions, que se pratiquent d’autres formes d’évaluation, comme dans les « classes sans notes » qui marquent le début de la deuxième décennie du siècle. Mais seule une politique éducative nationale peut induire des changements évaluatifs chez l’ensemble des professeurs. La notation chiffrée est obligatoire dans les classes d’orientation (3e et 2nde), est-il impossible pour autant d’interdire dans les livrets et dans tous les examens de faire des moyennes, de mettre des coefficients et de faire des pondérations entre disciplines qui encouragent des comportements cyniques des élèves et perpétuent la hiérarchie des disciplines ? La nature des épreuves du brevet des collèges et du bac est-elle intangible ?

Selon le principe que l’aval modèle l’amont, les profs adapteront, comme ils l’ont toujours fait, leurs modes d’évaluation aux buts à atteindre aux examens. Inutile de vouloir les contraindre, de les caporaliser ou de porter atteinte à l’indispensable liberté pédagogique et à la non moins souhaitable autonomie des établissements.

Il devrait suffire de changer l’évaluation pour que l’on puisse ensuite évaluer positivement ce changement…

Finir… et commencer par la formation des profs

On pressent que si « enseigner est un métier qui s’apprend », évaluer est un geste professionnel qui devrait figurer en bonne place dans la formation des professeurs.

Or, elle en reste le parent pauvre, y compris la docimologie, cette science de la notation ! Mais elle n’est pas la seule et le sociologue Pierre Merle, auteur de plusieurs livres sur le sujet, regrette le peu d’information dispensée aux néo-enseignants sur ce dossier majeur d’un point de vue éducatif. Les nouvelles écoles de formation en train de se mettre en place en France – les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) – font la même impasse sur le sujet que les instituts de formation d’antan ! C’est pourtant le seul moyen d’agir sur les pratiques. Surtout quand la formation continue existe à peine.

Comme rien ne se fait nulle part, il ne restait que l’entrée politique ! La mise en veilleuse de la principale recommandation du jury évoqué ci-dessus ne présage rien de bon, même si une nouvelle réforme du collège est prévue pour la rentrée 2016. Ne suffirait-il pas de former les formateurs des enseignants puis les enseignants eux-mêmes à une pratique de l’évaluation qui ne se confonde pas avec les – indispensables – contrôles terminaux ?

Seule la réussite fait réussir

Pour en finir, nous voudrions diffuser le plus largement possible le principe suivant : seule la réussite fait réussir !

La seule évaluation qui vaille, c’est donc celle qui encourage pas à pas l’élève à réussir, à garder l’estime de soi et à conserver en lui le goût d’apprendre parce qu’on lui aura permis d’acquérir les moyens de réussir très tôt, dès ses premiers apprentissages, et qu’on aura respecté ses rythmes d’acquisition et ses capacités toujours en devenir.

C’est pourtant simple à comprendre et à vérifier : personne ne peut apprendre sous la menace de l’échec et par contrainte, car toute éducation qui s’apparente au dressage produit des dégâts irréparables.

Mais l’école française continue à produire des dizaines de milliers d’élèves mis au rebut et qui disparaissent de ses effectifs. Ils « décrochent ». L’école n’est pas faite pour eux parce qu’ils n’ont pas trouvé dans leur histoire scolaire celui ou celle qui aura pratiqué avec eux l’évaluation-réussite dont nous livrons quelques clés dans ce dossier…

Richard Étienne
Professeur d’université émérite en sciences de l’éducation
Rédacteur des Cahiers pédagogiques
Raoul Pantanella
Professeur honoraire de lettres
Rédacteur des Cahiers pédagogiques