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Partant du constat implicite que les enseignants ne s’occupent pas (ou si peu !) de l’orientation de leurs élèves, Danielle Ferré et Jean-Marie Quiesse les interpellent pour les convaincre que c’est « aussi » leur affaire. Un ton simple et direct, un vouvoiement respectueux et un discours marqué au sceau du bon sens permettent d’amorcer le dialogue. Si le professeur n’est pas seul, il n’en est pas moins directement concerné, surtout s’il est « principal ».
Certes, son acharnement à promouvoir sa discipline et son incompétence (par manque de formation) dans le domaine de l’information lui imposent de procéder à une révolution copernicienne. De manière très opportune, des séances clés et fiches en mains lui sont proposées, ce qui facilite sa tâche... mais aussi risque de lui donner un sentiment d’enfermement dans une routine pensée sans lui. Fondée sur Orientation-lycée des mêmes auteurs, la démarche pourrait sembler répétitive, en fait elle poursuit l’objectif d’impliquer les professeurs dans l’éducation à l’orientation. C’est d’ailleurs là que le bât blesse : quel intérêt ont-ils à s’impliquer dans un processus aussi incertain et intrusif ? Même en appelant à la rescousse la loi d’orientation et l’Europe en construction, il n’est pas sûr que les enseignants se vivent comme les promoteurs d’une « nouvelle conception de l’éducation qui vise à développer des compétences à l’orientation » (p. 81).
Pas de conclusions dans cet ouvrage original mais un kaléidoscope des systèmes européens d’éducation et de formation agrémenté de quelques « plus » qui donnent l’occasion au lecteur de se revoir à quinze ans et d’évoquer le parcours improbable qui l’a fait professeur, de découvrir la méthode Orientation-lycée (encore !), de s’approprier différents outils et de bénéficier d’un glossaire Educ’Nat pour s’orienter de A (ancien bac littéraire) à ZEP (en espérant que cela ne sera pas prémonitoire). Une bonne occasion de réviser ses classiques de l’orientation, voire de découvrir le rôle trop méconnu des professeurs dans ce perpétuel « à faire »...
Richard Étienne
Un passionnant dossier (qui vient de paraître) sur les rapports pas si simples que cela entre l’écriture et les sciences.
Les coordonnateurs du dossier Pierre Fillon et Anne Vérin, notent en introduction que cette question fait l’objet actuellement d’un grand intérêt. On pense de plus en plus que la maîtrise de l’écrit passe par des activités diversifiées dans toutes les disciplines et on insiste sur l’importance de cet écrit dans la construction du savoir scientifique. Mais rien n’est automatique. La plupart des contributions concernent l’école primaire : est-ce à dire que l’écriture en sciences est moins pratiquée dans le secondaire. Rares semblent être en collège ou lycée les enseignants qui en font un objet d’apprentissage, en faisant par exemple réécrire leurs textes par les élèves.
On trouvera dans ce numéro une revue des recherches sur la question et surtout nombre d’exemples pratiques développés longuement. Plusieurs contributions insistent sur la nécessité de différencier clairement la fonction que joue l’écrit dans le travail cognitif des élèves. Dans certains cas, il s’agit surtout d’un point d’appui à l’échange oral et à la formulation d’hypothèses. Dans d’autres, les élèves sont amenés à structurer leur pensée et à formaliser et stabiliser un savoir. Le rôle des reformulations est mis en évidence. On lira notamment l’exposé de différentes étapes de production de textes dans l’article de M. Jaubert et M. Rebière (« Pratiques de reformulation et construction de savoirs ») et le récit détaillé d’un travail sur les changements d’état de l’eau par P. Cros et S. Respaud, avec analyse de trois types d’écrit : le compte rendu individuel, réécrit collectivement, l’affiche explicative, le texte explicatif. Une contribution concerne malgré tout le lycée, avec étude de cas.
Un numéro riche, qui n’élude pas les questions vives de la recherche (en quoi vraiment écrire aide-t-il à comprendre, peut-on toujours poursuivre deux lièvres à la fois ?) et fournit des pistes de travail aux enseignants de sciences qui veulent aller plus loin dans leur pratique d’aide à l’écriture, et bien sûr aux professeurs des écoles désireux de mettre en pratique l’idée de faire travailler transversalement la langue.
Jean-Michel Zakhartchouk
le 6 février 2003La force d’une conceptualisation impose de la revisiter, de l’actualiser, de la prolonger inlassablement. Parmi les anthropologues qui ont cette exigeante rigueur, David Le Breton, depuis plus de dix ans maintenant, nous invite, régulièrement, à parcourir les territoires d’errances si actuelles : les prises de risque, chaque fois singulières, comme autant de tentatives de réenchanter l’existence individuelle. « Mon travail de recherche - écrivait-il récemment - me donne parfois le sentiment d’une toile dont chaque ouvrage est un fil, une avancée sur une ligne de crête qui inscrit sa nécessité avant qu’un autre ne la pousse un peu plus loin encore ».
À ce titre, Conduites à risque, qu’il vient de publier aux Presses Universitaires de France, prolonge deux travaux antérieurs Passions du risque (Métailié, 1991) et Sociologie du risque (Que Sais-Je ?, 1995), sans s’y substituer. Dans le premier, il analysait de manières inaugurale et parallèle, les activités à risque (notamment les sports de l’extrême) et les conduites à risque (tout particulièrement des jeunes générations) au regard de liens sociaux distendus. Dans le second, il proposait déjà, mais succinctement comme l’exige la collection, une étude du statut du risque dans les sociétés contemporaines.
La somme qu’il nous propose aujourd’hui va au-delà de la synthèse. En effet, on perçoit tout au long des pages l’ampleur des matériaux recueillis, depuis et inlassablement, par l’auteur. Ceux-ci sont principalement de deux ordres : les nombreux travaux d’autres chercheurs qui, depuis 1991, prouvent la puissance heuristique des passions du risque, et les nombreuses enquêtes que mène l’auteur, avec ses étudiants entre autres, depuis près d’une décennie également. Voilà pourquoi ce livre est avant tout d’une brûlante actualité.
Les conduites à risque, qu’il analyse ici comme des jeux symboliques avec la mort pour parvenir paradoxalement à une intensité de vivre, sont pour nombre de jeunes qui les pratiquent des tentatives souvent désespérées de remise au monde, des quêtes effrénées d’un sens à donner à leur être au monde. À ce titre, ces conduites prennent parfois la forme de rites très personnels de passage. Mais l’intimité décrite méconnaît la nécessaire reconnaissance sociale et traduit encore un peu plus les malaises de certaines adolescences. Rien à voir avec l’insolence des shows médiatiques où excellent certains sportifs de l’extrême. La reconnaissance sociale y est, là, exacerbée. Toutefois les uns comme les autres convoquent des signifiants majeurs, comme la mort, pour donner à l’épreuve personnelle une plus-value de sens.
Le lecteur peu familiarisé à cette anthropologie du risque découvrira les notions fondamentales notamment la naissance, dans le contexte socioculturel si particulier des années soixante-dix, des formes nouvelles de risques extrêmes pour exister, des jeux de mort au jeu de vivre. Il verra se déployer les mythologies de l’extrême, l’ordalie et les rites oraculaires, les rites personnels de passage des jeunes, etc.
Ceux qui ont déjà frayé ces chemins, avec ou sans l’auteur, s’apercevront que David Le Breton dessine aujourd’hui une plus vaste anthropologie des limites, et que celle-ci lui permet d’analyser aussi l’évolution sociologique des sociétés contemporaines, ce qu’il avait d’ailleurs commencé à entrevoir dans L’adieu au corps (Métailié, 1999).
Les travailleurs sociaux apprécieront particulièrement les dimensions psychologiques (tels les holding et containing) prises en compte par l’auteur et son intérêt vif pour les activités à risque dans le travail éducatif et social.
Dans une écriture qui est comme un souffle, David Le Breton, très proche en cela d’un Georges Bataille, nous permet d’avancer encore un peu plus dans la compréhension de ces quêtes de sens par le recours à l’excès, que certains reconnaissent dans les multiples visages de la postmodernité.
Thierry Goguel d’Allondans
le 6 février 2003« Enseigner l’histoire autrement », pourquoi pas, même s’il n’est pas vrai que son enseignement secrète toujours « un ennui profond » ? Encore faut-il que cet enseignement reste de l’histoire. Ce livre pose deux questions. D’abord, peut-on proposer aux élèves de « devenir les héros des événements du passé » sans entrer dans une confusion sans fin entre histoire et roman historique ? On propose ainsi une douzaine de démarches, de jeux de rôle, de jeux de formation permettant « aux apprenants de devenir eux-mêmes des protagonistes d’événements historiques majeurs ». Mais peut-on faire en histoire un Jeu des sept sites comme il y a un Monopoly ou un Tiers-Mondopoly ? Si cela était possible, et surtout s’il s’agit de « la formation de l’esprit critique à partir des interprétations plurielles des sources historiques », but évidemment louable, à partir de quels documents ? quelques lignes tirées de l’Histoire générale des civilisations, publiée par les PUF dans les années 50, sont dans doute une information, elles ne sont pas un document sur lequel exercer son esprit critique à moins d’avoir, par ailleurs, une énorme information. Pas plus qu’une page sur Jeanne d’Arc de Michel Peyramaure, abondant et sympathique auteur de romans historiques ou biographies romancées toutes époques. De même, un article de la revue L’Histoire sur l’affaire Thalamas [1] renseigne plus l’ambiance des débats à l’époque du petit père Combes que sur la Pucelle. Des documents sont totalement fictifs, comme (p. 176) ce « dialogue à quatre voix entre un Jésuite, un esclavagiste repenti devenu Jésuite et deux Indiens Guaranis ». Enfin, un grand nombre de « documents » ne sont pas datés, ce qui est pourtant un élément essentiel pour les aborder de façon critique. Ou leurs références sont inutilisables : s’il s’agit par exemple de l’origine du monde, il vaut mieux renvoyer (pour ce qui n’est pas une « théorie ») aux chapitres 1 et 2 de la Genèse, en indiquant la traduction, que, comme page 198, à La Genèse, tiré de la Sainte Bible, Sociep. Ed. 1955 (p. 118-119). Bref on retrouve dans ce livre la même « légèreté épistémologique » que dans L’histoire, indiscipline nouvelle , que M. Huber avait publié en 1984 (cf Cahier 238, p.37).
Jacques George
le 6 février 2003Ce livre est évidemment à confronter avec le précédent, car on y lit justement que, dans les manuels, « huit fois sur douze, les documents sont assimilés à des vérités, dans la mesure où rien dans la consigne ne peut permettre à des élèves de ne pas prendre au pied de la lettre le contenu des témoignages qui leur sont livrés. (...) Il semble que ce soit le document qui doive légitimer un discours qui ne se sait pas, ou ne s’avoue pas être une interprétation historique ». À propos de la situation-problème, il se demande : « jusqu’où pouvons-nous réinvestir ce qui est valable dans l’enseignement de la technologie pour celui de l’histoire ? ». Ce livre appelle à une « mise à distance » de soi, essentielle si on veut comprendre l’autre, l’étude des invasions barbares étant un exemple du rôle central des représentations, tant des élèves que des enseignants, dans leur compréhension de l’histoire.
Jacques George
le 6 février 2003On doit peut-être aux normes de la collection les deux dernières pages du livre de JMZ. Qu’importe, car ce sont par ces pages qu’il faut commencer la lecture et sûrement pas pour s’en dispenser puisqu’on aurait lu l’essentiel.
Il est écrit « Si je devais changer l’école, dix pistes d’action, qui pourraient se traduire plus ou moins rapidement en mesures concrètes : Modifier les concours de recrutement des enseignants, en introduisant la dimension professionnelle.
Accroître la formation continue en la valorisant, y compris sur le plan de la carrière ; donner comme objectif premier à cette formation celui de permettre à chacun de réfléchir sur son métier et d’échanger avec les autres.
Renforcer l’éducation prioritaire, en donnant des moyens concentrés en rapport avec des projets et des objectifs précis.
Augmenter dans les collèges la part des « études » par rapport au cours, ce qui implique aussi de définir différemment le service des enseignants (introduction du tutorat, de l’aide, et de la nécessaire concertation).
Valoriser les dispositifs interdisciplinaires et leur donner une place importante dans l’évaluation des élèves.
Donner une marge d’autonomie plus grande aux établissements (gestion des moyens par exemple), mais avec en contrepartie un véritable pilotage et un contrôle a posteriori.
Renforcer le pouvoir du Conseil national des programmes qui doit continuer à adapter ceux-ci aux exigences de notre temps.
Soutenir les initiatives innovantes, même si celles-ci doivent aussi être pilotées et évaluées (mais pas trop vite).
Développer dans l’école les formes démocratiques, pour mieux permettre un respect des règles par tous.
Revoir les hiérarchies entre disciplines ; donner un rôle bien plus important à la technique.
À peine une page pour donner des idées simples, précises et concrètes comme l’on dit, à un député ou à un ministre ! enfin, là n’est pas le propos.
Le livre est composé de trois parties : « Mon itinéraire personnel », « J’enseigne : est-ce qu’ils apprennent ? », « Propositions pour une école plus efficace ». Pour les lecteurs habitués au travail et aux idées de Jean-Michel Zakhartchouk, ils retrouveront dans les deux dernières parties un condensé de sa triple expérience : enseignant de français dans un collège ZEP depuis des années (il rapporte nombre de façons de faire avec ses classes et ses élèves), formateur en IUFM, infatigable militant de l ‘école nouvelle avec et autour des Cahiers pédagogiques. Mais c’est dans la première partie que l’on voit se construire et évoluer une personnalité intellectuelle et citoyenne capable de se souvenir de son ennui à l’école et de ses progressives découvertes.
« Les enseignants les plus consciencieux et dynamiques sont d’ailleurs souvent les plus modestes : j’essaie d’être l’un et l’autre » (pages 109 et 110). Le Monde de l’éducation, qui lui a consacré une double page dans sa livraison de novembre avait déjà remarqué la force d’une conviction, le souci d’une exigence et une modestie exceptionnelle, comme en témoignent les choix de vie (refus de passer le concours d’agrégation, souhait de rester travailler en ZEP). Le magazine l’a appelé « la vigie », et lui-même a écrit un précédent ouvrage Enseignant, un passeur culturel (ESF éditeur). Deux mots ou expressions peu communs dans le monde de l’école. Deux mots pour lui, pour rendre compte de son travail, de ses réflexions et de son action.
Jacky Beillerot
PS. Le précédent ouvrage de JMZ n’a pas été édité à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), mais à l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) (page 3). Décidément le « zéro défaut » n’existe pas !
le 6 février 2003Parmi les désormais classiques essais de rentrée sur l’école, le livre d’Elisabeth Altschull retient tout d’abord l’attention par le fait qu’il se présente d’emblée comme une réflexion appuyée sur des expériences et des exemples concrets, cas trop rare dans les ouvrages de la mouvance « anti-pédago », qui cultivent avec une application soutenue la déconnexion d’avec les réalités de terrain.
Le principal intérêt de L’école des ego réside en effet dans l’expérience de l’auteur, qui a fui l’école américaine dans sa jeunesse pour faire ses études secondaires et supérieures en France. Mais au-delà de l’actualisation de l’avertissement déjà lancé par Hannah Arendt dans les années 50, avertissement qui mettait le doigt sur les dérives possibles d’une école qui se soucierait exagérément de la mise en activité des élèves au détriment de leurs acquisitions effectives, le combat mené par ce livre vise le « pédagogisme » et manie les simplifications avec zèle. La pauvreté de l’analyse de ce « pédagogisme » (bien mal défini) voisine avec des déformations affligeantes (« Mettre l’élève au centre du système éducatif » devient « mettre l’enfant au centre », le chapitre sur la promotion sociale par l’école confond ouvriers et immigrés...) et des interprétations qui révèlent surtout l’indigence de l’information de l’auteur. Compte tenu de la réceptivité d’une opinion, elle aussi mal informée, aux pamphlets de ce genre, la caution apportée par un éditeur sérieux à de telles contrevérités est particulièrement irresponsable.
On reconnaîtra au moins au livre d’Elisabeth Altschull le mérite d’affirmer sans se cacher que le combat contre les pédagogies actives conduit nécessairement à prôner la sélection précoce et à postuler l’essentielle incapacité des deux tiers d’une classe d’âge à suivre des études longues (p. 143). Gageons que tous ses alliés ne la suivront pas sur ce point. Si ce désaccord pouvait les amener à faire enfin des propositions concrètes pour « sauver l’école », cet ouvrage n’aurait pas servi à rien.
Suzanne Bauer
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