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Motivés, motivés (3/4)

Faut-il noter les élèves ?

Episode 1 : Complimentez, il en restera toujours quelque chose

Episode 2 : Feedback et gommettes

L’idée de supprimer les notes, évaluation quantitative, a pour origine l’intuition que d’enlever des contraintes à l’élève est bénéfique à la motivation. Mais les recherches montrent que, selon le type d’évaluation, on peut s’attendre à différents résultats.

Photo : Philippe Ibars

Photo : Philippe Ibars

A quelle motivation se fier ?

Dans la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan, la motivation n’est pas unique et correspond à un continuum entre deux formes extrêmes : la motivation intrinsèque et l’amotivation ou démotivation. Entre les deux, existe la large gamme des motivations extrinsèques.
La motivation intrinsèque est l’intérêt que l’on porte à la tâche pour elle-même, c’est la curiosité, le plaisir de réaliser l’activité en soi. Cette motivation correspond à celle du jeu lorsque l’enfant y passe des heures.
La motivation extrinsèque correspond à la loi du renforcement. L’élève ou l’individu ne réalise une activité que pour obtenir une récompense ou pour éviter des sanctions.
L’amotivation (ou démotivation ou résignation) est le manque d’envie de faire quelque chose. Elle est parfois liée à un sentiment de contrainte entrainant une perte d’autonomie. Selon cette théorie, on peut s’attendre à ce que la suppression des notes enlève de la contrainte et améliore la motivation, intrinsèque ou extrinsèque. Mais cette prédiction est surtout valable pour l’évaluation de type contrôlante.
Dans une autre théorie très utilisée en éducation, la théorie de Bandura, les Sentiments d’efficacité personnelle (SEP) sont des croyances que nous développons relativement à notre capacité à réaliser une tâche spécifique. Le sentiment d’efficacité personnelle est renforcé par la réussite dans une activité. L’individu ou l’élève a donc besoin d’un feedback positif, d’un score, pour augmenter son sentiment d’efficacité. Si le feedback est négatif, sa motivation diminue. Dans cette théorie, la note informative est nécessaire au sentiment d’efficacité personnelle ; on devrait trouver que l’absence de notes est donc négative, au moins pour le SEP.

Compétition, rébellion et fuite

Avec Sonia Lorant de l’Espé de Strasbourg et Fabien Fenouillet de l’Université de Paris-Ouest, nous avons proposé un modèle synthétique de ces deux théories. Les motivations sont une résultante à la fois de la compétence perçue (équivalente au sentiment d’efficacité personnelle de Bandura) et de l’autonomie. Nous avons donc étendu les motivations de Deci et Ryan (motivations intrinsèque ou extrinsèque et amotivation) à d’autres motivations : la compétition, la rébellion et la fuite.
Dans l’esprit de compétition, les élèves se sentent très compétents mais ressentent une contrainte : la pression de réussir (Figure 1). Dans les résultats de nos recherches, les élèves rebelles se sentent plus compétents que les élèves amotivés (ou résignés) mais se sentent très contraints. Et enfin, le comportement de fuite apparaitrait chez les élèves qui peuvent réellement abandonner une activité, par exemple sportive ou musicale. Mais à l’école obligatoire, les élèves démotivés sont surtout rebelles ou amotivés.

Figure 1 : Les motivations (sous forme de pastilles) dépendraient à la fois du sentiment de compétence et du sentiment d’autonomie. (Lieury, Lorant & Fenouillet)

Figure 1 : Les motivations (sous forme de pastilles) dépendraient à la fois du sentiment de compétence et du sentiment d’autonomie. (Lieury, Lorant & Fenouillet)

Dans notre théorie, nous prévoyons également deux cas :
-si la note est « évaluative » (ou « normative »), c’est-à-dire faite dans un climat de contrainte ou de valeur « tu es bon », « tu es nul », la note va baisser l’autodétermination et les notes devraient avoir un effet négatif sur les motivations (comme dans la théorie de Deci et Ryan).
-si la note est « informative », on prévoit comme dans la théorie de Bandura, que la note est un score qui va permettre d’augmenter la compétence perçue (ou sentiment d’efficacité personnelles scolaire). L’existence des notes va donc être globalement favorable aux motivations positives.

Alain Lieury, professeur de Psychologie cognitive
Université européenne de Bretagne (Rennes 2)