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« Le prof n’est pas là uniquement pour transmettre des savoirs mais aussi pour partager des valeurs » 

L’idée de « Mon année au collège » est née en 2003. Fabien Crégut est immobilisé pendant quatre mois suite à une rupture du talon d’Achille. Il s’ennuie un peu, pense à ce qu’il pourrait amener de plus dans son enseignement à la rentrée. Il entend parler d’Ordina 13, l’initiative du conseil général des Bouches du Rhône qui met à disposition des élèves des ordinateurs et du temps de connexion à Internet. Il décide alors de créer un site regroupant les cours de 4e et de 3e complétés par des exercices. Les élèves accrochent, apprécient le site et la possibilité de le consulter le soir à la maison. La classe s’étend hors de ses murs en dehors des cours avec des communications par messagerie instantanée. Les photos et les animations sont particulièrement prisées. Cette première année est concluante et encourage Fabien Crégut à continuer.

D’année en année, les usages évoluent avec les progrès du numérique. Aujourd’hui ses élèves utilisent un microscope électronique, prennent des photos, des vidéos avec leur portable pendant les sorties sur le terrain et leurs travaux viennent enrichir les contenus du site.
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« Je ne pensais pas que cela durerait onze ans » s’étonne l’enseignant. Son site est consulté par de nombreux élèves et enseignants d’autres établissements, d’autres villes. Il reçoit près de quatre mille visites par jour. Un parent d’élèves l’a contacté pour lui proposer de l’aider à faire évoluer « Mon année au collège » vers une version web 2.0. La proposition tombe à pic puisque Fabien Crégut souhaite une plus forte interactivité et des fonctions en phase avec les usages d’aujourd’hui sur tablette ou avec un tableau interactif.

Par échanges de mails, il apprend à rénover son site qui devrait faire peau neuve dans peu de temps. Son initiative été primée lors du forum des enseignants innovants de Rennes en 2008 et par le trophée de l’innovation à Biarritz en 2012. Fabien Crégut a été invité à participer à des travaux autour du numérique par le Ministère de l’Éducation nationale. Des maisons d’édition l’ont sollicité pour contribuer à leurs manuels numériques. Et, reconnaissance ultime, il est depuis cet été récipiendaire des Palmes Académiques qui lui seront remises par le Ministre de l’Éducation nationale à l’occasion d’Éducatice.
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Le succès et la reconnaissance auraient de quoi faire tourner les plus solides des têtes. Mais Fabien Crégut garde les pieds sur terre. Élève, il s’est ennuyé à l’école trouvant peu de goût à apprendre par cœur des notions aussitôt oubliées lorsque le contrôle est passé. Pourtant il aimait apprendre et recherchait dans les livres des réponses à sa curiosité. « L’école, ça peut être autre chose » se disait-il. Alors, devenu enseignant, il cherche et applique des méthodes qui permettent aux collégiens de sa classe de s’impliquer, de trouver la motivation dans le goût d’apprendre.

Ce questionnement perpétuel le met à l’abri d’une autosatisfaction paralysante. « Qu’est-ce que je peux apporter à l’élève pour qu’il s’accapare d’une notion, pour qu’il fasse ce qu’il sait faire et développe ce qu’il ne sait pas encore ? ». Pour lui, l’école est une chance à donner à tous parce qu’elle permet d’acquérir une formation source d’épanouissement. Elle ne sert pas uniquement à dispenser des savoirs disciplinaires. « Je suis prof parce que je suis très attaché à la personne et au projet personnel de chacun » souligne t’-il.

Le doyen de la faculté lui a dit un jour « dans votre classe, vous aurez trois ou quatre élèves qui auront des difficultés à apprendre, trois ou quatre autres qui n’auront pas besoin de vous pour apprendre, si vous intéressez les autres, vous aurez réussi ». Fabien Crégut a pris le conseil à la lettre en le rendant plus ambitieux encore. Il vise à intéresser tous les élèves en les plaçant en situation d’acteurs. La grande majorité des contributions de son site vient d’eux, des éléments collectés en sortie pédagogique ou réalisés pour des expositions.
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Mettre en avant leur travail c’est aussi leur faire prendre conscience des compétences qu’ils acquièrent. Le site permet de travailler à la maison et de revoir ensuite les notions en classe de façon à vérifier ce qui a été compris et de réexpliquer les notions encore absconses. « On gagne du temps et cela permet de ne pas attendre la séquence suivante pour éclaircir et approfondir ce qui n’a pas été acquis. Je n’avais pas compris au départ mais maintenant, j’ai compris me disent alors les élèves». Et lorsque l’on suggère que ce sont les principes de la classe inversée, Fabien Crégut sourit. Il y a onze ans, on ne parlait pas de classe inversée mais la « Main à la Pâte » existait déjà.

Bien sûr, les 370 élèves qu’il a chaque année ne réussissent pas tous. Mais chacun apprend et progresse, s’empare de la démarche d’investigation, fait le lien entre ce qu’il apprend à l’école et des applications dans la vie de tous les jours. Les compétences numériques acquises sont réelles et servent dans d’autres cours, d’autres domaines. « J’essaie de leur faire comprendre que le prof n’est pas là uniquement pour transmettre des savoirs mais aussi pour partager des valeurs » rajoute Fabien. Cette notion de partage est inscrite sur son site : « le savoir ne vaut que s’il est partagé ». Rien d’étonnant alors à ce que des liens forts se créent entre l’enseignant et certains de ses élèves. Lorsqu’il a affiché sur son mur facebook qu’il avait obtenu les palmes académiques, il a recueilli les félicitations de nombreux anciens collégiens de sa classe. Parfois, il reçoit des photos de roches, de paysages envoyés par des élèves devenus grands. L’une d’elle lui a envoyé une image de pierre de Patagonie parce qu’elle lui avait rappelé un de ses cours. Et cette reconnaissance est sans doute celle qui tient le plus à cœur de l’enseignant.

Enseigner en collège, il l’a choisi parce qu’il apprécie cette tranche d’âge complexe, au sortir de l’enfance, à l’orée de l’adolescence. Entre la 6e et la 3e, les élèves construisent déjà leur vie d’adultes et leur donner le goût des sciences, de la démarche d’investigation est aussi un élément de leur construction.

Le jour de la remise des palmes académiques, nous pouvons parier que Fabien Crégut aura une pensée pour ses élèves, les actuels, les anciens et les futurs. Il aura sans doute aussi une émotion particulière, une dédicace songée pour sa grand-mère qui fut institutrice et pour qui cette reconnaissance officielle a été une joie immense. Et puis ensuite, il ira certainement dans les allées d’Éducatice glaner et partager les idées et les pratiques d’une éducation dédiée à la réussite de tous.
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