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Drapeaux dans les classes: un amendement à la fois absurde et contre-productif

Madame la députée, monsieur le député,

L’Assemblée nationale vient d’adopter un amendement à la «loi sur l’école de la confiance» visant à imposer l’affichage dans chaque salle de classe du premier comme du second degré des drapeaux national et européen et de paroles de l’hymne national. Mais nous avons aussi compris qu’il y aurait très prochainement une seconde délibération.

Nous nous adressons à vous qui vous intéressez particulièrement aux questions scolaires et éducatives pour vous demander de tout faire pour que lors de cette seconde délibération, l’amendement soit rejeté. En effet, il nous parait à la fois absurde et contre-productif, et nous sommes convaincus que la plupart des enseignants et chefs d’établissement partagent cet avis.

Absurde ? Oui, car à l’heure où il s’agit de mieux gérer l’argent public, les frais d’installation de ces emblèmes dans chaque salle de classe seraient importants ; combien mieux serait utilisé cet argent public en faveur d’une véritable éducation civique ! Cela demande des moyens (pour la formation des enseignants, pour la documentation à disposition des enseignants, pour des projets et sorties pédagogiques) qu’il serait mieux de ne pas gaspiller dans des dépenses purement symboliques pour ne pas dire démagogiques.

Absurde, aussi, oui, car la mesure respecte très peu la « confiance » dans les équipes et l’autonomie des établissements, qui voudrait que l’on laisse l’initiative, sur la base des programmes et du socle commun, aux enseignants pour développer au mieux les valeurs de la République, auxquelles ils sont attachés.

Contre-productive ? Sans aucun doute, car cet affichage ne peut en rien favoriser l’émergence ou le renforcement d’une adhésion aux valeurs de la République qui ne soit pas nationaliste ou identitaire, et encore moins d’une adhésion au projet européen. Ceci passe, là encore, par une action au quotidien qui doit faire place au débat argumenté, à des cours vivants et participatifs, à des projets globaux et souvent interdisciplinaires (y compris autour de ces emblèmes, de leur histoire, de leur signification). Là encore, le coup de menton démagogique ne sert en rien la cause d’une France ouverte, non repliée sur elle-même, que vante par ailleurs le président de la République.

Il y a des lieux et des moments où une adhésion de cœur à la République doit être proposée (les monuments nationaux, les commémorations et célébrations, par exemple), mais l’école est le lieu et le moment où c‘est un attachement de raison à la République qui doit être développé.

S’il est des amendements à adopter, ce serait davantage ceux qui donneraient une indépendance à l’instance d’évaluation du système scolaire et des établissements prévue dans la Loi, à l’image de ce qu’est le Cnesco, ou éviteraient des charges supplémentaires aux communes concernant le financement des écoles maternelles privées.

Nous espérons vivement donc qu’il y aura un retour en arrière sur cet amendement qui a provoqué beaucoup d’émoi, comme l’a dit lui-même le président de la Commission éducation, et qui ne sert en rien la cause de la République par la caricature qu’elle exhibe, mais qui évoque davantage de tristes régimes très peu démocratiques.

Veuillez, Madame, Monsieur, agréer l’expression de nos sentiments les meilleurs et notre dévouement à la République fraternelle et sociale.

Le CRAP-Cahiers pédagogiques
13 février 2019