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Cet ouvrage rassemble plusieurs contributions sous forme de récits et d’expériences de pratiques d’enseignants en priorisant l’exigeante démocratisation des savoirs scolaires, de leurs apprentissages et de leur accessibilité aux enfants ou aux jeunes issus des milieux populaires. Les divers témoignages insistent avec force sur l’importance des savoirs, sur les risques de la différenciation, cette dernière comprise comme une (réduite à… ?) diminution des objectifs ou une adaptation de ces objectifs à un public plus défavorisé, qui n’aurait pas suffisamment les bases pour s’approprier des savoirs exigeants.
Ce livre collectif propose un engagement dans la démocratisation de l’école à partir de plusieurs disciplines scolaires, dans le cadre desquelles les enseignants du primaire, du secondaire et même dans le supérieur font œuvre d’enseignement, de stratégies multiples, en tant « qu’alliés plutôt que juges » pour que tous les élèves apprennent : apprendre à lire au Cours Préparatoire, l’abstraction du nombre au Cours Préparatoire, la langue écrite et la littérature au collège, les savoirs historiques, l’éducation physique et sportive, la pensée mathématique, l’apprentissage du langage scolaire, écrire pour philosopher, l’apprentissage de l’approche quantitative en sociologie, la formation des enseignants concernant la philosophie à l’école.
Quelle que soit la discipline scolaire, les enseignants ont comme but de « faire bouger le rapport à la langue » en mettant « l’accent sur la question cruciale du langage » (p. 22), et « l’exploration des univers lexicaux spécifiques » (p.23), en s’appropriant les langages spécifiques à chacune des disciplines scolaires, ainsi que développer les capacités métalangagières (p. 25).
Pour le Cours Préparatoire, Richard Krawiec (inspecteur) et Florian Nicolas (enseignant) témoignent de l’expérimentation de la méthode de lecture syllabique « Je lis, j’écris » (Les Lettres bleues) et du travail d’accompagnement élaboré par Janine Reichstadt, co-auteure de la méthode de lecture précitée dans le développement d’une communauté d’enseignants soucieux des pratiques et des outils mutualisés pour apprendre à lire, à écrire et à comprendre ainsi que pour évaluer les actions pédagogiques des enseignants ; et cela dans un contexte régional très marqué par l’illettrisme (Saint-Quentin).
Guillaume Tremblay témoigne d’une manière de faire pour affronter l’abstraction du nombre au CP. Suite à ses nombreuses expériences de classe, et observations des élèves, l’enseignant fait le constat que le détour par l’expérimentation ou l’habillage du matériel, les élèves les plus fragiles sont empêchés de comprendre, en cela les éloignant davantage de l’abstraction. « Si bien que lors des phases introductives, loin d’alléger la tâche cognitive de compréhension, le primat donné au matériel l’alourdit. Il ne permet d’éclairer le système de numération décimale, mais tend au contraire à en obscurcir la compréhension, en “invisibilisant” les enjeux notionnels, particulièrement pour les élèves les moins familiers des codes de la culture scolaire » (p.49-50). Guillaume Tremblay pratique principalement à partir de l’approche de Stella Baruk ( Comptes pour petits et grands, Magnard, 2003), qui met en avant les ressources langagières des élèves et leurs capacités à se représenter abstraitement les nombres : rendre la langue numérale transparente. L’expérimentation de cette école fait objet de multiples échanges avec Stella Baruk et peut se visionner sur le film tourné sur le site de Canopé (reseau-canope.fr/mathematiques-stella-baruk).
Véronique Marchais met au centre de son attention l’enseignement du vocabulaire et de l’écriture chez ses élèves du secondaire ; par des textes riches, des textes ambitieux qui résistent. L’enseignante met de la force sur la maitrise de la langue scolaire en rapport à la langue ordinaire. De même, elle évoque parfois l’impossibilité de vouloir faire tout ce qu’elle a l’ambition de mener de front : ne rien lâcher sur la grammaire, ne rien lâcher sur l’écriture, ne rien lâcher sur la lecture. « Il me faudrait aussi consacrer davantage de temps à l’orthographe, si discriminante socialement. Mais qui déshabiller à cette fin : le vocabulaire, si essentiel à la pensée, ou la rédaction ? C’est la quadrature du cercle. Nous pouvons imaginer les pédagogies les plus abouties, cela ne sert à rien si nous n’avons pas le temps de les mettre en œuvre. Or, ce temps, nous ne l’avons plus » (p. 85).
Nicolas Kaczmarek, professeur d’histoire-géographie, est loin de se contenter de l’idée pédagogique selon laquelle les enseignements devraient se faire à partir des intérêts de l’élève envers la discipline scolaire ou des « sujets concrets qui touchent les élèves ou s’inspirent de leurs préoccupations » (p. 92) et refuse les pédagogies invisibles qui ne délivrent pas aux élèves les enjeux intellectuels. « L’enseignant doit faire le deuil de son désir que l’élève partage la même passion joyeuse que lui pour sa discipline. Mais cela ne veut pas dire qu’il faudrait renoncer à susciter l’intérêt pour le savoir, bien au contraire » (p.91). L’enseignant met l’enjeu majeur sur la problématisation incessante des savoirs, des enjeux avant tout intellectuels dénués de toute « ludification » ou « gamification », d’habillage didactique ou enrobage de divertissement (p. 94). « En clair, dire la vérité aux élèves en assumant et en explicitant la valeur normative de l’école : à l’école, on n’apprend pas la bonne façon d’écrire, on apprend la façon scolaire d’écrire ; à l’école, on n’apprend pas la bonne façon de raisonner, on apprend la façon scolaire ou disciplinaire (la façon historienne, géographique) de raisonner » (p. 95). L’école devrait permettre aux élèves de prendre conscience de leur rapport au langage et surtout du rapport scriptural à l’école, ce dernier contenant la face cachée de la langue scolaire. L’enseignant met en évidence l’importance de l’étayage pédagogique auprès des élèves afin qu’ils s’approprient les outils, les méthodes pour apprendre (comme par exemple, l’usage du brouillon).
Nina Charlier travaille à un rapport plus émancipé que les élèves devraient développer à l’éducation physique et sportive : à la fois déconstruire les conceptions des filles se considérant comme naturellement comme peu sportives, ou encore que les garçons se sentant plus légitimes à dire qu’ils n’aiment pas le sport ou qu’ils préfèrent des activités plus féminines.
Jean-Pierre Gerbal met les élèves en pensée mathématique, avec toute l’hétérogénéité d’une classe, en refusant de faire des groupes de niveau, en introduisant des principes de la classe inversée et de l’usage du numérique. Il favorise le travail par sous-groupes (en îlot), l’entraide, l’entrainement.
Dans la contribution d’Evelyne Lagaune Tabikh et Margaux Osenda, dans le domaine de l’enseignement des sciences économiques et sociales, les enseignantes mettent sous le projecteur, l’importance du langage propre à chaque discipline, la différence entre le langage scolaire et le langage courant : l’usage des concepts, contre le « populisme pédagogique » (p. 156) et cela pour diminuer autant que possible les malentendus d’apprentissage. Nous retenons chez les auteures : « Ainsi selon nous, croire qu’adopter, notamment en ZEP, un langage proche de celui des élèves permet, via l’instauration d’une atmosphère conviviale et informelle, de les enrôler dans les apprentissages en les incitant à participer davantage est un leurre qui peut in fine se traduire par un renoncement à l’exigence intellectuelle à l’égard de ceux qui sont les moins connivent avec l’école » (p.157).
Nicole Grataloup dans l’enseignement de la philosophie au lycée et dans la filière d’enseignement technologique, accorde une grande importance à l’écriture et au déplacement dans le rapport à la langue en donnant la boîte à outils pour écrire avec et à partir des autres textes, entrer en débat avec plusieurs auteurs. Des outils pour mieux comprendre la distance entre « la langue scolaire » et « la langue de la vie », dépasser l’incommensurabilité ou mieux comprendre « la commensurabilité, comprendre qu’il ne s’agit pas de deux langues, mais de deux usages cognitifs et sociaux de la même langue, pouvoir penser le passage de l’une à l’autre comme une conquête et non pas comme un reniement » (p.173).
Serge Cospérec nous rend attentif que les pratiques de philosophie à l’école primaire devraient déjà faire l’objet de la formation initiale voire continue des enseignants. Sinon ces pratiques à visée philosophiques risquent de se réduire trop souvent à des discussions, plus ou moins libres, ou cadrées, empreintes de relativisme, ressemblant plus à des débats du genre parfois délibératifs mais s’éloignant des compétences à développer en philosophie si les enseignants n’ont pas des connaissances nécessaires à proprement parler philosophiques.
Mais si tout ce qui est dit est intéressant, n’y a-t-il pas un parti pris d’opposition aux pédagogies actives et constructivistes, qui sont souvent réduites à des caricatures ? Comme si les tenants de ces pédagogies n’avaient pas pris depuis longtemps la mesure du risque de manque d’explicitation et pointé le risque toujours présent de « pédagogie élitaire ».
Andreea Capitanescu Benetti
le 11 janvier 2021La parution de cet ouvrage de Philippe Tremblay, aujourd’hui professeur en sciences de l’éducation à l’université de Laval au Québec, est la bienvenue au moment où le Ministère de l’Éducation nationale en partenariat avec le Secrétariat d’État auprès du Premier Ministre en charge des personnes handicapées publie les conclusions du premier Comité national de suivi de l’école inclusive. Le livre permet en effet d’interroger le modèle inclusif français qui fait la part belle aux dispositifs dits inclusifs – ULIS (Unité localisée pour l’inclusion scolaire) , UE (Unité d’enseignement), PIAL (Pôle inclusif d’accompagnement localisé) et aux AESH (Accompagnants d’élèves en situation de handicap). Avec l’éclairage de la recherche internationale, Philippe Tremblay examine les conditions propices à la mise en œuvre de l’école inclusive et ce qui lui fait obstacle dans dix brefs chapitres très stimulants respectivement intitulés : « La législation et les ressources » ; « Les valeurs et attitudes » ; « L’engagement collectif et le leadership » ; « Le groupement, la présence et la participation » ; « La qualité de l’enseignement » ; « La différenciation et l’accessibilité » ; « Le soutien à l’élève » ; « La collaboration entre professionnels » ; « Les relations avec les parents et la communauté » ; « Le développement professionnel ».
Aucune prescription dans cet ouvrage – comme l’énonce l’auteur qui rappelle qu’il ne suffit pas de se décréter inclusif pour l’être – mais des pistes à travers l’analyse de pratiques probantes et des questions à la fin de chaque chapitre pour guider la réflexion.
Dans le premier chapitre, Philippe Tremblay évoque pour la France – comme l’avait fait la Rapporteuse spéciale des Nations Unies – la nécessité de faire disparaître ou de transformer les structures médico-sociales qui prennent en charge les élèves sur le temps scolaire ainsi que de transférer certains budgets de la Solidarité et de la Santé vers l’Éducation nationale. Il s’agirait aussi de reconfigurer une certaine légitimité pédagogique dans le champ de l’inclusion en autorisant les enseignants à identifier les difficultés et des besoins scolaires sans nécessairement passer par un diagnostic médical. Une approche non catégorielle des handicaps qui doivent ne plus être envisagés comme troubles ou déficiences est aussi, selon l’auteur, une autre des conditions qui favorisent l’école inclusive.
Le chapitre 2, quant à lui, met en lumière la persistance d’attitudes négatives chez les enseignants à l’égard de l’école inclusive et tout particulièrement dans le secondaire où les pratiques se focalisent davantage sur la discipline que sur l’enfant. L’école inclusive repose pourtant sur l’acceptation que les élèves à besoins éducatifs particuliers relèvent de la responsabilité des équipes pédagogiques dans leur recherche d’un enseignement différencié et accessible. Le coenseignement est aussi, selon Philippe Tremblay, « un synonyme d’inclusion scolaire ou du moins de la meilleure manière de l’opérationnaliser. » Il permet « l’accès aux mêmes programmes et l’interaction avec les pairs. » Il « vise à maintenir tous les élèves au sein du même groupe par un travail de différenciation de l’enseignement. […] Il est étroitement lié à une conception d’un enseignement spécialisé non pas corrective mais plutôt qualitative ». A ce titre, « l’enseignant spécialisé doit être considéré comme un spécialiste de la différenciation pédagogique plutôt qu’un spécialiste des troubles et des déficiences ».
Les professeurs ressources semblent pourtant plutôt mobilisés en France dans cette dernière perspective. Les enseignants coordonateurs d’ULIS ou d’UE ne pourraient-ils pas être dès lors « ces spécialistes de la différenciation pédagogique » ? Le Comité de suivi national de l’école inclusive n’en fait pas mention. En tant que personnes ressources [1] pour leur école ou leur EPLE, ils sont pourtant des acteurs clés de l’éducation inclusive.
Evelyne Clavier
le 11 janvier 2021Cet opus clôt une trilogie qui fera date : S’engager pour accompagner. Valeurs des métiers de la formation (2018), Préserver un lien. Éthique des métiers de la relation (2019) et Tenir parole. Responsabilités des métiers de la transmission. Les chapitres, tous adressés à des professionnels de la transmission, écrits à des époques différentes, ont été réécrits pour faire livre.
Les titres de chapitres comportent un infinitif pour souligner qu’il s’agit à chaque fois d’un processus, d’une dynamique. « Demeurer fiables », permet de repérer tout ce qui menace la « solidité » d’une parole : mensonge, promesse non tenue ou protection qui se traduit souvent par une omission car ce que nous disons de ce que nous faisons peut chercher à dissimuler « nos fuites et nos protections » (p. 27). Le risque est grand de réduire la parole à une procédure, de la figer dans un langage algorithmique. « Protéger une intériorité » incite à respecter la parole privée des élèves. « Pratiquer au quotidien » souligne le danger d’une scolarisation de l’intime. L’école a intégré des savoirs qui touchent à l’intime de l’être humain. Il y faudrait pourtant « une autre posture face aux savoirs » (p. 59), quand ceux-ci touchent à la construction psychique. D’où l’impérieuse nécessité d’un lieu protecteur où chacun puisse « avancer ses mots, puisque personne ne les utilisera contre lui » (p. 66).
« Accueillir silences et rumeurs » concerne l’établissement scolaire ; il « a une dimension affective qui, si nous la nions, resurgira en crise, passage à l’acte, dépression, somatisation » (p. 75-76). Une première façon de mal faire réside dans le silence, le « circulez, il n’y a rien à voir », ni à dire ! La pression monte jusqu’à l’explosion verbale ou à la propagation de la rumeur. Enfin, le jugement des professionnels est décliné en trois catégories : le juridique s’appuie sur des lois, ce n’est pas « avoir du jugement » ou de la jugeote. Dans nos métiers, sommés d’avoir à juger une personne et, à moment donné, certifier, attester, nous sommes parfois amenés à refuser cette responsabilité du jugement (« un mécanisme très puissant, inhibiteur de nos actes », p. 101) ou à prononcer des paroles définitives malgré tous nos efforts pour permettre à l’autre que nous accompagnons de se construire. Les groupes de parole permettent de se confronter à ce dilemme.
La deuxième partie consacrée aux conditions qui peuvent faire advenir le dialogue commence mal : comment avons-nous fait pour signifier aux personnes à qui nous entendons transmettre que c’est à elles de faire l’effort qu’elles ne parviennent pas à assumer ? « Rêver d’inclure » demande de collaborer, donc de construire une éthique de la parole. C’est affaire de « construction collective » (p. 120). Or, les politiques générales d’inclusion se diluent dans l’action quotidienne où il s’agit d’être « au plus proche de nos pratiques, pour ne pas leurrer ceux qui sont concernés » (p. 122). La collaboration entre professionnels leur impose de trouver les occasions pour « penser ensemble et inventer des dispositifs ayant des effets bénéfiques » (p. 139), donc de se parler.
« Obliger "l’efficace" » à tout prix est le meilleur moyen de ne pas l’obtenir car ces métiers de la transmission sont soumis à l’obligation de moyens. Comment faire concrètement ? « Si nous confondons une action pédagogique avec son dispositif, nous gommons toutes ces minirégulations où nous revenons sur ce qui a été fait, tentons de comprendre pourquoi ça résiste et devenons intelligents en accueillant cette résistance » (p. 153). S’ajuster au cheminement de chaque enfant tient compte de la peur d’apprendre aux causes complexes et de notre peur de ne pas savoir lui enseigner dans sa singularité. « Dialoguer au quotidien » entre un thérapeute et un enseignant n’est pas toujours facile. Et pourtant ! « À deux, il y a des choses que nous n’aurions pu élaborer tout seuls » (p. 177). Qu’il s’agisse d’un élève ou d’un enseignant en difficulté, le doute sur sa légitimité de celui qui doit agir constitue la meilleure chance d’obtenir un regard entre humains qui se font confiance.
Dans cette troisième partie, il est d’abord question de violence, sans reprise des discours convenus qui en font le mal absolu. Et son opposé, la tendresse suppose, surtout dans ses manifestations gestuelles, des limites quant au toucher du corps de l’autre, enfant, adolescent ou même adulte. Que disons-nous à celles et ceux qui ont choisi ces métiers « parce qu’ils aiment les enfants » ? « Répétons-le, le mal n’est pas la violence, le bien, la tendresse » (p. 205). Mireille Cifali s’efforce de faire comprendre que « la violence se fabrique, et nous y participons avec certaines logiques institutionnelles et personnelles » (p. 211-212). Autrement dit, il n’y a pas d’êtres violents, seulement des moments, des comportements passagers qui s’originent dans la surabondance actuelle de droits destructrice des accords momentanés du social. Une « clinique de la violence » (p. 227) pourrait réduire les faits de violence sans toutefois les faire disparaître.
« Saisir comment accompagner chacun dans sa confrontation à la loi et à la liberté » (p. 234) dévide le fil d’Ariane de la trilogie. Le travail du formateur, ceux du thérapeute et de l’enseignant convergent dans le comment faire autorité, autoriser sans humilier, préserver et/ou restaurer l’image de soi et de l’autre. La finalité visée par Mireille Cifali est rappelée : « Construire et transmettre un savoir autorisant une pensée de l’action » (p. 277). Cette pratique met au cœur des métiers concernés le faire (poïein en grec), la poésie. L’illustre parfaitement le jeu détecté entre métaphore et concept qui se complètent et finissent par alimenter une subjectivité « qui préserve le travail de création et de recréation de soi et du monde. Exigence d’une transmission ». (p. 296).
Ce livre constitue une belle ressource contre ceux qui ambitionnent de gérer d’en haut une société de plus en plus proche de l’épuisement. L’accélération imposée par l’informatique et l’internet mal employés cède la place au temps long de la transmission et de l’éducation. Il y est question, sans volonté d’hégémonie psychologique ou psychanalytique, du travail de parole de professionnels pour lesquels toute tentative de simplification est vouée à l’échec.
Richard Etienne
le 11 janvier 2021Le collège lycée expérimental Freinet (CLEF) de La Ciotat est un des établissements publics expérimentaux de l’hexagone. C’est à cette expérience que ce livre s’intéresse, plus particulièrement son versant lycée. La structure expérimentale a vu le jour à la rentrée 2008, d’abord via une classe de 6e, de 5e, et de 2de, avant de s’étendre progressivement.
Dès l’avant propos du livre, Nicolas Go, chercheur en sciences de l’éducation qui accompagne l’écriture, pose la question de savoir ce qu’est une école du peuple. Il faut dire que le contexte du Lycée est bien différent de celui qui était celui d’Elise et Celestin Freinet. Si l’immense majorité d’une classe d’âge fréquente désormais le lycée, cette massification s’est faite par l’ouverture de différentes filières. Go précise ainsi qu’il ne peut s’agir simplement d’une école où tous peuvent aller mais d’une école où tous peuvent s’émanciper (p. 14).
C’est donc la mise en œuvre d’une pratique émancipatrice dont il est question au fil des 150 pages. L’équipe du Lycée Louis Lumière s’est tournée vers la pédagogie Freinet pour répondre à cette intention. Pour avoir une vue globale sur cette expérience de pédagogie différente, il faut ouvrir la lecture par le dernier chapitre qui offre une « description du dispositif ». Il expose (trop) brièvement l’organisation dans son ensemble, du service des enseignants, à la structure des différents temps d’apprentissages : cours disciplinaires, séances de Travail Individualisé par groupe de 15 encadré par un même enseignant sur l’année, ateliers d’approfondissement, réunion de coopérative.
Mais le livre assume surtout une porte d’entrée, celle de la Méthode naturelle. C’est elle qui est le fil rouge de la partie principale qui couvre les deux tiers de l’ouvrage. Quatre enseignants y décrivent leur déclinaison de cette Méthode dans le contexte du lycée. En littérature, en langue vivante (Anglais), en Sciences de la Vie et de la Terre et en philosophie, c’est à partir d’un style monographique que le lecteur s’immisce dans les classes. Ici, chaque détail est décrit, de la préparation de la salle au déroulement du cours en passant par l’arrivée des élèves. Des encadrés parsèment les monographies et permettent ainsi de prendre du recul, de justifier les pratiques et les menus détails. Un court prolongement théorique ponctue chaque chapitre comme un regard extérieur sur ce qui vient d’être conté.
C’est dans le chapitre 5 que le lien entre les pratiques de Méthode naturelle et émancipation prend corps. Nicolas Go, dans la lignée du mouvement Freinet, y défend une émancipation par le travail. L’expérience de la Ciotat s’inscrit comme une remise en cause de la forme scolaire… ce qui peut, d’ailleurs, au fil de l’ouvrage, questionner le lecteur vis à vis de la compatibilité avec les instructions et contraintes officielles, surtout dans un contexte de réforme du lycée qui a vu les groupes classes voler en éclat. Cette tension entre volonté de révolution, que Go présente comme faisant partie, par essence, de toute pédagogie (p. 121) et nécessité de préparer au baccalauréat transparaît de temps à autre. Mais ce serait bien de la forme scolaire que l’école publique devrait s’émanciper (p. 122), afin d’en « abolir les formes inégalitaires » et « inventer des pratiques éducatives incompatibles avec les rapports de domination » (p. 125). La proposition qui est faite ici est une « pratique souveraine du travail » dans une « socialisation coopérative » qui « détruit la logique de subordination hiérarchique ». Car la méthode naturelle décrite s’inscrit dans des échanges permanents créant ainsi un patrimoine de classe qui mène à la connaissance.
Le point de départ est « l’affirmation de l’égalité » (p. 126) permettant à tous les enfants du peuple « d’expérimenter et d’accéder à la joie de vivre » (p. 128) en se détachant de la tradition scolastique.
Le travail permet alors de rassembler en contexte scolaire grâce à une organisation coopérative (p. 131), offrant à chacun la possibilité de s’autoriser, de trouver la souveraineté de soi et sur l’organisation sociale.
Plus que des techniques, c’est bien « un mode de vie, par lequel s’expérimente le principe de souveraineté, ainsi que la puissance d’agir de chacun et n’importe qui » que nous présentent les auteurs de cet ouvrage. La pédagogie ainsi décrite ne cherche pas à courir après l’égalité, elle en fait son principe originel.
Guillaume Caron
le 11 janvier 2021Dans ce début d’année 2021 déjà très chahuté, la rentrée de janvier n’a pas fait trop de vagues en dehors du cercle de la presse écrite. On peut pourtant y voir un système diamétralement opposé entre le supérieur qui veut revenir en présentiel et un secondaire qui aimerait bien des aménagements, voire une partie en distanciel. Une question se pose aussi sur la laïcité dans les écoles, en gros points d’interrogations.
Début janvier, rentrée des vacances de fin d’année sur fond aggravé de COVID...
Des interrogations sont apparues dans la presse suite à l’émergence des variants britanniques et sud-africains.
Ainsi, dans les Echos, Tifenn Clinkemaillié présentait le cas pratiquement unique de la France en Europe
« Les douze millions d’élèves Français sont retournés en classe ce lundi. Alors que l’impact des fêtes sur l’épidémie reste encore incertain, certains parents, syndicats et scientifiques s’inquiètent de cette réouverture. En Europe, la majorité des élèves sont encore à domicile. ». Plusieurs articles en début de semaine reprenaient les recommandations des épidémiologistes et le cas particulier de la France concernant ses écoles. Ils ne condamnaient cependant pas l’immobilisme du ministre...
Lucien Marboeuf fait une excellente analyse de cette situation sur son blog : Je me contente de citer un court extrait (mais je vous encourage à aller lire tout son billet, excellent comme toujours) : « Des journalistes qui ne savent pas, une opinion publique qui ne veut pas savoir (à moins que ce ne soit l’inverse) »
En attendant, dès cette semaine, un cas du variant britannique a été découvert à Bagneux raconte Le Parisien.
Le dessin de Fabien Crégut
Des demandes d’ajustements ont été faites dès la fin décembre, notamment par les parents d’élèves. Mais la réponse du gouvernement, et du ministre en particulier est toujours la même : il ne faut pas fermer les écoles.
On le lit encore dans Vousnousils ce mercredi : « Il ne faut pas d’emblée priver les enfants d’école alors que c’est quelque chose d’essentiel, simplement parce que l’on aurait des interrogations qui sont très discutables », a estimé Jean-Michel Blanquer. Syndicats, parents et scientifiques étaient en effet nombreux à s’inquiéter, la semaine dernière, de la réouverture des écoles après les fêtes de fin d’année, et à demander le décalage de la rentrée comme cela a été décidé ailleurs en Europe. ». Je reviendrai sur ce résumé de l’interview sur Europe1 tant c’est un résumé de la pensée blanquérienne sur cette question.
Il l’a d’ailleurs répété aujourd’hui sur RTL.
Peut-on revenir sur cette incapacité à penser autrement que binairement ? Certes, le ministre maintient le système hybride dans les lycées au-delà du 20 janvier (alors que de nombreux lycées sont repassés en 100% présentiel au moins pour les 1ères et terminales en raison de la réforme du lycée et du bac et des craintes concernant les épreuves de mars. Mais il ne semble pas capable, ou refuse d’évoquer d’autres possibilités pour continuer le prof-bashing (ce tas de fainéants qui ne veulent pas bosser).
Pourtant, très peu d’enseignants se résoudraient de bon gré à un nouveau confinement dur, mais, parlez avec eux du protocole renforcé et vous obtiendrez au mieux un hurlement de rire (oui, au mieux...). A ce sujet, la palme de la meilleure ouverture d’article concernant l’éducation revient à Thomas Poupeau dans cet article « Ils n’en attendaient « pas grand-chose »… et ils ont eu raison » (évoquant les syndicats).
Pourtant, cette possibilité des demi-groupes systématiques était évoquée très tôt par les enseignants, mais pas par le ministre.
Et ce, alors même que l’enseignement hybride augmente énormément la charge de travail des enseignants et qu’ils sont tous largement épuisés.
Il serait bon d’examiner, ce que refuse de fait le ministre mais je laisse la parole sur ce sujet à Philippe Watrelot qui a publié ce texte après ma propre rédaction et l’a bien mieux expliqué que je n’avais réussi à le faire.
Le principe du Yaka pour la reprise à l’université... ou même le principe du silence complet. Le Premier ministre n’en a pas dit un mot
Dans Libération, Cécile Bourgneuf rappelle que « La ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, avait prévu un retour à l’université pour les étudiants les plus fragiles dès ce lundi. Mais les établissements ont été prévenus trop tard pour s’organiser et prévoient, au mieux, du soutien scolaire. »
N’ayant pas envie de m’apesantir sur un sujet difficile, je vous recommande d’écouter cette émission de RTL, en particulier le passage très parlant de Caroline Muller (un résumé ici en moins de deux minutes. J’ai 96 étudiants cette année, je n’en ai jamais rencontré un seul réellement et cette situation est très pesante pour eux, pour moi aussi. Très déçue une étudiante me disait récemment "mais alors, madame, on ne vous verra jamais ?" car je n’ai cours avec eux que jusqu’en février... Enseigner ne peut se résumer à se parler derrière un écran, quel que soit le temps qualitatif qu’on accorde aux jeunes en-dehors des cours.
Tous les articles sont à l’avenant, dans La Croix c’est Manuel Tunon de Lara, président de la CPU qui parle de perspectives mauvaises car « seuls peuvent être accueillis pour l’instant, par groupe de dix, des étudiants de première année guettés par le décrochage. La reprise des cours attendra, déplore-t-il, pour l’immense majorité des étudiants, même si beaucoup « vont mal » psychiquement. »
Dans Le Monde, Soazig Le Nevé a recontré François Germinet, président de Cergy-Paris Université (et ex-président du CPU), qui a le même discours.
Laïcité : un enseignant pris à partie dans un collège de Lyon, ses collègues en grève
“Un professeur d’histoire-géographie du collège des Battières, à Lyon 5e, a été pris à partie par un parent après un cours traitant de la laïcité. Il doit aujourd’hui quitter son établissement. Ses collègues ont débrayé ce lundi 4 janvier. Ils dénoncent le fait que le rectorat n’ait pas réglé le problème.”
Éducation Un collège lyonnais en grève pour défendre la laïcité par Olivier Chartrain.
“Le 9 novembre 2020, un professeur d’histoire-géographie du collège des Battières, à Lyon (Rhône), est pris à partie par un parent d’élève qui remet en cause le contenu d’un cours sur la laïcité. Reçus au collège, les parents refusent de s’excuser. L’enseignant porte plainte pour diffamation, le 13 novembre, et reçoit la protection juridique” Cet article est réservé aux abonnés
Lyon. Le professeur pris à partie par un parent d’élève après un cours sur la laïcité veut changer de métier
“Un professeur d’histoire-géographie avait été pris à partie devant un collège de Lyon (Rhône) en novembre dernier après un cours sur la laïcité. Une plainte pour diffamation avait été déposée (classée sans suite) et parent d’élève avait été auditionné par la police. Les collègues de l’enseignant s’étaient mis en grève lundi 4 et mardi 5 janvier, réclamant une action du rectorat. Le professeur a de son côté décidé de changer de métier, selon les médias lyonnais.”
Suite à une enquête sur la laïcité à l’école : « La pression sur les enseignants, au nom de revendications religieuses, semble s’étendre, confirme Iannis Roder, directeur de l’Observatoire de l’éducation à la Fondation Jean-Jaurès qui a commandé l’enquête. Il appelle les personnels de direction à soutenir les enseignants. »
Le même sondage affirme que 49%des enseignants se seraient déjà autocensurés sur ce sujet.
Le dossier de CharlieHebdo, Yannick Haenel raconte : « J’ai été professeur pendant plus de quinze ans. Ça a commencé au début des années 1990. J’étais fou de littérature, mon enthousiasme débordait, j’avais la vocation. À 21 ans, j’ai passé le Capes et l’agrégation de lettres modernes ; j’ai eu les deux. Je me suis retrouvé, un mois et demi plus tard, sans préparation, face à une classe d’un lycée d’Orvault, dans la banlieue nantaise. Les élèves avaient 17 ans, quatre ans à peine nous séparaient, mon enthousiasme était contagieux. Puis, après cette année de stage, j’ai été muté en banlieue parisienne où j’ai enseigné dans des collèges, en ZEP (zone d’éducation prioritaire), à Villiers-le-Bel, Argenteuil, Louvres et dans bien d’autres villes encore du Val-d’Oise, ainsi qu’à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. »
Ce dossier mentionne aussi la nécessité d’aider les enseignants à maitriser des méthodes pour aider les enfants à distinguer croire et savoir. Il évite aussi l’écueil de reprendre un certain nombre de questions hors sujet du sondage IFOP, notamment il ne reprend pas celle sur les absences d’enfants à l’école pour cause de fêtes religieuses, absences parfaitement légitimes (relire la loi de 1905 semble nécessaire).
Dans Regard, l’enquête est relativisée par la sociologue Françoise Lantheaume
à voir ici en vidéo qui rappelle que cette enquête avec un petit échantillon est contredite par la plupart des enquêtes quantitatives et qualitatives sur ce sujet. A croire que tous les territoires de la République ne sont pas tant perdus...
Morceaux choisis : « ça n’a pas beaucoup de sens de demander aux enseignants s’ils ont quelque chose à signaler sur l’ensemble de leur carrière. Ce qui serait étonnant c’est qu’il n’ait rien à signaler - d’autant qu’on ne sait pas ce qu’il y a derrière ce que les enseignants signalent. » ; « Il faudrait déjà savoir quels sont les enseignants qui se sont autocensurés. Ce sont souvent les plus jeunes enseignants. Ça converge avec un résultat d’une enquête qualitative - sur les religions en milieu scolaire - que nous menons depuis cinq ans. », ce qui est évoqué aussi dans le dossier (que je recommande vraiment) de Charlie mentionnant les réactions inquiétantes d’étudiants se destinant au professorat qui ne comprennent pas que l’on puisse critiquer la religion.
« Ce sondage s’intéresse aux ressentis, aux représentations, notre enquête s’intéresse aux situations réelles. »
Sur ce sujet, plusieurs articles à signaler et lire :
Dans Le Monde, Mattea Battaglia réfléchir aux« cours de récréation, la question des religions à hauteur d’enfant. Le sujet, au cœur des débats publics avec le projet de loi « confortant les principes républicains », s’impose aussi dans les conversations d’enfants et d’adolescents. En quels termes ? Et pour dire quoi ? » « Et moi, si je crois en rien, est-ce que je ne suis rien ? » Quand Alain Talleu, enseignant à Bailleul (Nord), a entendu cette question parmi ses élèves de CM1-CM2, il a mis un point d’honneur à s’en saisir. « Tu ne crois pas en l’existence du Dieu des chrétiens, ni dans le Dieu des musulmans ou des juifs, mais tu n’es pas rien pour autant : simplement, tu n’es pas un croyant. »Laurent Klein, l’un des enseignants de cet article signe le même jour une tribune réclamant un enseignement du fait religieux à l’école.
Claude Lelièvre s’interroge sur la loi séparatismes, pardon "principes républicains" et la défense des enseignements laïques. « Pour ce qui concerne les questions scolaires, le projet de loi contre « le séparatisme », rebaptisé projet de loi « confortant les principes républicains », est nettement dominé par les préoccupations d’ordre sécuritaire. » Une belle mise en perspective, avec de nombreux rappels.
Emilie Kochert, qui vous souhaite une bonne année, malgré l’impression d’un remake apocalyptique de 2020, allez, février sera meilleur...
La revue de presse des Cahiers pédagogiques évolue ! Aujourd’hui, on trouve facilement des tas d’articles en ligne, qui circulent et s’échangent notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons donc pensé que ce que nous pouvions vous apporter, c’était autre chose, soit le recul et le temps du commentaire, en proposant une revue de presse hebdomadaire, plus hiérarchisée, plus sélectionnée et largement commentée, toujours, bien sûr, sous l’angle des questions éducatives.
Suggestions thématiques :
N° 513 - Quelle éducation laïque à la morale ?
Dossier coordonné par Elisabeth Bussienne et Michel Tozzi
mai 2014
Que s’agit-il d’enseigner, pour ce qui ne peut se réduire à une discipline scolaire ? Dans quel objectif, entre pacification des relations et formation du jugement moral ? Qui pour le faire, dans quel cadre ? Bien des questions, et ce dossier ose dès maintenant des réponses, dans la conviction que nous touchons là à un rôle fondamental de l’école.
Hors-série numérique Rencontrer le fait religieux à l’école
Dossier coordonné par Elisabeth Bussienne
2017
Qu’est-ce que rencontrer le fait religieux à l’école ? Comment amener les élèves à réfléchir à une question aussi sensible, et pour cela à dépasser leurs expériences subjectives ? Un HSN qui mêlera articles tirés des archives des Cahiers pédagogiques et d’autres entièrement nouveaux.
N° 530 - Former les futurs citoyens
Dossier coordonné par Laurent Fillion et Pascal Thomas
juin 2016
Mise en place du nouveau socle commun, de l’enseignement moral et civique : l’éducation à la citoyenneté, thème souvent abordé par les Cahiers pédagogiques, revient au cœur des préoccupations. De quelle éducation à la citoyenneté parle-t-on ? Comment ne plus la confondre avec une éducation au civisme et à la civilité ?
Lire c’est comprendre, postule notre dossier. Le déchiffrage, quelle qu’en soit la rapidité, ne saurait suffire, il faut que ce que l’on lit ait un sens. La bonne nouvelle, c’est que comprendre peut s’apprendre. C’est l’objet de notre dossier de le montrer, comme l’expliquent ici ses coordonnateurs.
le 8 janvier 2021, par Cécile BlanchardL’Observatoire national de la laïcité vient de publier son septième rapport annuel, après des annonces sur sa non reconduction au printemps prochain. Un texte qui rappelle ce qu’est la laïcité et ce qu’elle n’est pas au regard du droit, une précision bien nécessaire dans une période de tensions et de crispations autour des religions et de l’islam en particulier.
le 6 janvier 2021
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