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La compétition n’est pas une fatalité !

« L’école doit préparer à la vie qui est dure et faite de compétition. Ne pas préparer les élèves à cette compétition, c’est les tromper, les illusionner ! »

Si pour ses promoteurs, la compétition est le meilleur moyen pour un individu de se construire et d’obtenir la place qu’il désire – et tant pis pour ceux qu’elle écrase -, la coopération le permet tout autant. Eux-mêmes d’ailleurs mettent en avant le « vivre ensemble » pour « civiliser » la jeunesse afin qu’elle respecte les valeurs républicaines. Mais comment « vivre ensemble » sans faire, travailler, organiser, réussir ensemble des actions importantes ? À travers ces réalisations, chaque individu pourra se construire, se réaliser, progresser, prendre sa place, voire se dépasser, poussé par une saine émulation et sans avoir à anéantir les autres.

« Si l’on s’en tient aux résultats les plus saillants de la littérature, très abondante dans ce domaine, il semble avéré que la coopération produit de meilleurs résultats sur les performances à une tâche que la compétition. […] Contrairement aux structures de classes scolaires dites compétitives, la caractéristique essentielle de l’apprentissage coopératif tient au fait que le succès d’un élève contribue au succès de l’ensemble du groupe. »

Jean-Marc Monteil, ancien professeur au CNAM et ancien recteur,« Comparaison sociale, coopération, compétition », dans La pédagogie, une encyclopédie pour aujourd’hui, ESF, 1993.

Mais soyons réalistes, ce ne sont pas les mêmes sociétés que visent les tenants de la compétition et de la coopération.

L’une est libérale et individualiste, comme la nôtre aujourd’hui, elle entretient l’élitisme, la méritocratie, les inégalités sociales. Elle a besoin de la compétition pour réserver à ses élites financières, économiques, scolaires ses richesses et ses pouvoirs et leur laisser le privilège de posséder les clés pour ouvrir les bonnes portes à leurs héritiers. Les derniers rapports (CNESCO et PISA) le confirment, l’École française privilégie les enfants de ses élites. Elle est efficace pour ses très bons élèves et inefficace pour ses élèves les plus faibles, et comme les élèves les plus performants sont issus des familles les plus favorisées, les inégalités sociales se transforment sans difficulté en inégalités scolaires… une histoire sans fin.

L’autre est humaniste et démocratique. On n’est plus dans la construction des élites, mais de celle de citoyens, citoyennes en capacité de participer aux enjeux de leur société et de voir en l’autre, l’humain.

Et vouloir faire de la coopération un principe de la vie sociale, c’est adhérer à une certaine conception de l’humain et de la société, à des valeurs, à un autre rapport entre les personnes et à un mouvement émancipateur d’idées.

En tant qu’enseignants, vouloir installer un espace coopératif relève d’une conception de l’éducation fondée sur l’apprentissage tâtonné de la liberté et de la responsabilité. La connaissance des droits et des obligations au sein d’un groupe – jeunes comme adultes – permettant la mise en œuvre des principes de fraternité, de solidarité, d’équité, tant pour la réalisation des projets communs que pour la réalisation des projets personnels.

Que des atouts pour chaque enfant et la société !

La coopération permet à chacun d’accroître ses connaissances et de développer ses compétences à travers les productions et créations personnelles (textes, articles, films, romans, spectacles, œuvres artistiques), dans toutes les situations pédagogiques qui permettent d’apprendre ensemble (recherches, tâtonnement, droit à l’erreur, travail d’équipe, en groupe, choix d’activités, d’objets d’apprentissage, élaboration et suivi des règles de vie, partage des responsabilités…), d’organiser le travail (construction de plannings, d’emplois du temps, élaboration de plans de travail, travaux personnels, ateliers), de communiquer (journaux, blogs, vidéos, expositions, conférences, réseaux sociaux) et de valoriser son travail pour progresser (évaluer, s’évaluer, s’entraîner, mutualiser).

Mais pour que la coopération s’épanouisse, il est nécessaire d’élaborer un milieu favorable qui s’appuie sur l’hétérogénéité comme moteur d’interactions (hétérogénéité de niveau, d’âge, de maturité, sociale, culturelle) avec au cœur un enseignant qui construit les situations pédagogiques, autorise le groupe et l’individu à s’exprimer, créer, tâtonner… Un enseignant aussi qui aménage l’espace pour que chacun puisse l’investir, se déplacer et échanger, qui organise le temps pour délimiter et rythmer les temps de travail (personnel, collectif) et qui met en place le Conseil, ce temps de participation démocratique de gestion de la classe, du cours, pour que chacun exerce sa citoyenneté en proposant, en décidant, en animant la réunion avec un fonctionnement évolutif en fonction des faits observés, des analyses menées par le groupe et ses propositions de changement.

La coopération, c’est ainsi la contribution de chacun au bien commun, la reconnaissance de l’autre, la compréhension des différences, des similitudes et de leur complémentarité afin de s’enrichir ou de se différencier, l’exercice de la démocratie et des responsabilités, l’élaboration de projets communs choisis collectivement avec réflexion et lucidité, la pratique régulière de l’entraide, la mise en place d’un climat de confiance qui assure la sécurité, la dignité, et développe l’estime de soi, le respect des droits. La coopération permettra à la fraternité, à la solidarité et à l’équité de s’étendre dans la classe, dans l’établissement et de former des citoyens engagés, aptes à s’exprimer, à agir avec les autres et à prendre des responsabilités au sein des espaces de vie, de travail, d’apprentissage, de loisirs.

Tout un programme ! Un véritable exercice de la citoyenneté qui ne peut se satisfaire de quelques heures de cours et de résumés à apprendre et qui doit pouvoir s’effectuer dès le plus jeune âge à l’école, dans tous les lieux éducatifs, et tout au long de la vie.

Et si la coopération s’exerçait déjà dans les lieux de formation initiale et continue des enseignants, des éducateurs, ne serait-ce pas un bon préalable ?

Catherine Chabrun
Rédactrice en chef du Nouvel Éducateur, revue de l’ICEM-Pédagogie Freinet


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