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Après deux Biennales internationales de l’Éducation nouvelle, le collectif donne naissance à :
Convergence(s) pour l’Éducation nouvelle !
Rendez-vous en 2022, pour la prochaine Biennale !
« Soyez attentifs ! » Ce peut être tentant de lancer ce genre d’injonction aux élèves, mais ça n’est pas très efficace. L’attention implique plutôt un chemin, ou un ensemble d’outils que chaque élève doit se constituer. En ce sens, on peut l’enseigner. Et c’est l’objet de notre dossier que de fournir des pistes et des idées pour cela.
le 25 février 2021, par MélanieL’actualité du monde de l’éducation est régulièrement secouée par diverses polémiques. Cette semaine ne déroge pas à la règle puisque plusieurs sujets agitent les médias et les commentateurs. Dans cette revue, on parlera donc d’ « islamo-gauchisme », de l’évolution de l’épidémie et de ses variants, et, en fin, un peu de mixité sociale.
« Frédérique Vidal est-elle bien à sa place au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ? Ce n’est pas la première fois que la question se pose, tant l’ex-présidente d’université est coutumière des bourdes ou petites phrases explosives. Alors que l’université souffre de la pandémie, qui la force à organiser des cours à distance, que les étudiants peinent à trouver un sens à leurs études faute de contacts humains et d’horizon, que certains se retrouvent contraints d’avoir recours à l’aide alimentaire, la ministre préfère s’inquiéter de l’« islamo-gauchisme » qui, selon elle, "gangrène" les universités ». C’est en ces termes qu’ Alexandra Schwartzbrod revient sur les propos de Frédérique Vidal dans son article sur Liberation.fr. La journaliste enfonce le clou : « Ses propos sont si décalés par rapport aux drames quotidiens des étudiants qu’ils ne sont pas dignes de la fonction. La très policée Conférence des présidents d’université (CPU) l’a d’ailleurs appelée à "élever le débat". (...) le rôle d’une ministre de l’Enseignement supérieur est-il d’hystériser le débat et de s’ériger en police politique de la recherche et des débats universitaires ? Évidemment non. Il reste que les propos de Vidal, qui suivent de peu la prestation très sécuritaire et droitière de Gérald Darmanin face à Marine Le Pen, s’inscrivent dans un climat ».
Soazig Le Nevé pour Le Monde.fr revient sur l’enquête lancée par Frédérique Vidal sur « l’islamo-gauchisme » à l’université. La ministre de l’enseignement supérieur a en effet chargé le CNRS de mener une "étude scientifique" pour définir "ce qui relève de la recherche et du militantisme" ». La journaliste rappelle au passage, dans cet article réservé aux abonnés, que lorsque enflait « la polémique sur "les ravages" de "l’islamo-gauchisme" à l’université, en octobre 2020 », c’était le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui « était alors à la manœuvre ». Frédérique Vidal avait alors plutôt pris de la distance avec ces affirmations.
Dans un autre article, toujours sur le site du Monde, on peut lire : « Si dans un communiqué le CNRS s’est, lui, dit prêt à "participer à la production de l’étude souhaitée par la ministre", il a toutefois insisté sur le fait que le terme d’islamo-gauchisme "ne correspond à aucune réalité scientifique", regrettant une "polémique emblématique d’une instrumentalisation de la science". Le centre de recherche a par ailleurs tenu à "condamner avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques" ».
Sur le site du Figaro (partie réservée aux abonnés), on parle d’une « opération déminage » lancée pour tenter de freiner la flambée des réactions. « Par l’intermédiaire du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, Emmanuel Macron a souhaité rappeler son "attachement absolu à l’indépendance des enseignants-chercheurs". C’est une "garantie fondamentale de notre République" et "cette conception est partagée par l’ensemble des membres du gouvernement et continuera à être défendue", a insisté le porte-parole, mercredi, à l’issue du Conseil des ministres ».
Il faut dire que les réactions sont multiples et s’enchainent depuis : « Jacques Maire, député de La République en marche, a jugé jeudi 18 février sur franceinfo le terme "d’islamo-gauchisme" employé par la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal de "profonde erreur", même si, selon lui, elle "pointe le doigt sur quelque chose de réel" ». De son côté, Eric Fassin interrogé par Franceinfo estime qu’« il s’agit d’une chasse aux sorcières ! Ce n’est pas un bilan des recherches, mais un tribunal de "l’islamo-gauchisme", comme l’annonce clairement Frédérique Vidal sur CNews. Or ce mot n’a rien de scientifique : c’est un slogan polémique venu de l’extrême droite. Certes, à l’Assemblée nationale, la ministre change de lexique et parle de "post-colonialisme", mais quand Jean-Pierre Elkabbach lui parlait sur CNews de "race, genre, classe", elle approuvait aussi. C’est tout et n’importe quoi ! ». Toujours sur Franceinfo, Jean Chambaz, le président de Sorbonne Université va plus loin : « il y une orientation de ce gouvernement qui va draguer des secteurs de l’opinion publique dans des endroits assez nauséabonds". Et d’ajouter que "connaissant Frédérique Vidal", il a d’abord cru "que c’était une phrase sortie de son contexte". L’islamo-gauchisme est un terme absolument peu précis, issu des milieux de la droite extrême, repris par certains députés LR qui voudraient interdire l’enseignement de certaines disciplines à l’université. On se croirait dans l’ancienne Union soviétique. Ça me fait davantage penser aux slogans du 20e siècle dénonçant le judéo-bolchévisme. On accole deux mots qui font peur pour ne pas définir la réalité d’un process ».
Cette polémique masque une réalité assez bien décrite par Alexandra Schwartzbrod pour libération.fr : « Alors que l’université souffre de la pandémie, qui la force à organiser des cours à distance, que les étudiants peinent à trouver un sens à leurs études faute de contacts humains et d’horizon, que certains se retrouvent contraints d’avoir recours à l’aide alimentaire, la ministre préfère s’inquiéter de l’islamo-gauchisme qui, selon elle, "gangrène" les universités ».
Pour aller plus loin, on pourra lire l’article de Stéphane Dufoix sur le site du Jdd, professeur de sociologie à l’Institut Universitaire de France, intitulé « Enquête sur l’"islamo-gauchisme" dans la recherche : l’impossible décolonisation de l’Université »
La polémique, quant à elle, risque de durer. En effet, Jean-Michel Blanquer « vole au secours de Frédérique Vidal, la ministre de l’Enseignement supérieur » (...) et a estimé, samedi 20 février, en parlant de l’islamo-gauchisme, qu’il s’agissait d’un « fait social indubitable ». Forte de ce soutien, la ministre de l’enseignement supérieur persiste et signe.
Malgré une courte accalmie, l’épidémie déjoue à nouveau les pronostics. La propagation des variants change la donne.
Le site de Ouest-France reprend les dernières données publiées : « 22 046 nouvelles contaminations au coronavirus ont été recensées ce dimanche par Santé publique France contre 22 371 la veille et 16 546 dimanche dernier. Le nombre des décès enregistrés en 24 heures dans les hôpitaux s’élève à 160, contre 183 samedi. Ce qui porte le nombre total de décès depuis le début de l’épidémie à 84 306 ». « Le taux moyen d’occupation des lits en réanimation (par rapport à la capacité en lits dans ces services avant la crise), s’élève ce dimanche soir à 67,2 %. C’est le taux moyen le plus élevé observé en France depuis le 3 décembre dernier. Après être descendu à 51 % début janvier, ce taux remonte doucement mais sûrement depuis ».
« Invité ce samedi du programme Apolline de Malherbe, le rendez-vous (BfmTv), Jean-Michel Blanquer a évoqué les enjeux des prochaines rentrées scolaires dans les semaines à venir, sous la menace de l’épidémie de Covid-19 et de ses différents variants. Lors de cet entretien, le ministre de l’Éducation nationale a affirmé que "d’après les études" qu’il a pu consulter, il "observe qu’à l’occasion des vacances, ils (les enfants, NDLR) ont tendance à se contaminer davantage que lors de la période scolaire ».
Sur le site de l’éducation nationale, le point du 19 février montre quand même, alors que deux zones sont en vacances, que le nombre de contaminations parmi les élèves et les personnels continue d’augmenter. Pour les élèves, on observe 5422 cas supplémentaires (cumul sur les 7 derniers jours) dont + 847 en 24h et pour les personnels, 647 cas supplémentaires cumulés dont +120 en 24h.
Après avoir durci le protocole pendant quelques jours, le ministère l’a assoupli le 12 février. On peut lire sur le site Vousnousils.fr que « le syndicat Snes-FSU a interrogé le ministère de l’Éducation nationale sur les bases scientifiques de l’allègement du protocole sanitaire ». « le Snes-FSU a affirmé, dans son compte-rendu, qu’aucun avis n’a été rendu par la Haute autorité à la Santé ou le conseil scientifique ».
Paul Gratian pour Ouest-France se fait l’écho de la difficulté que représente ces changement incessants du protocole pour les personnels des établissements scolaires : « On est complètement paumés sur le terrain. Ça m’est déjà arrivé d’avoir l’air plus au courant que le chef d’établissement », abonde Marion*, professeure de français dans un collège de Seine-et-Marne. Car les règles ne cessent de changer, et ce, parfois de manière très discrète. Alors que le protocole a à nouveau été allégé vendredi 12 février 2021, plusieurs responsables syndicaux expliquent avoir découvert ces nouvelles règles au hasard de leurs réseaux sociaux. "Si on n’écoute pas les médias ou si on n’actualise pas le site internet du ministère tous les jours, on n’est pas mis au courant des directives concernant les protocoles. Les directeurs ne savent plus quel protocole s’applique, c’est un vrai désordre ", regrette Guislaine David, porte-parole du syndicat d’enseignant SNUipp-FSU. "On a vraiment l’impression que le ministère change en catimini les règles du jeu, pointe cette responsable de ce syndicat des enseignants du premier degré français, jugeant cette évolution "assez incompréhensible et insensée". " Les autorités de santé ont pensé que c’était mieux de revenir au système précédent", s’est défendu Jean-Michel Blanquer sur BFM TV le lundi 15 février, sans pour autant préciser quelle autorité de santé il évoquait ».
Alors faut-il pour autant fermer les écoles ? La question reste posée. Nous sommes à peu près tous convaincus de l’importance de maintenir les élèves en présentiel. Encore faut-il s’en donner les moyens.
Le Think Tank Terra Nova publie une note pour une autre stratégie de lutte contre le covid à l’école. Un article de FranceInfo revient sur cette publication : « Pour Terra Nova, le constat est sans appel : "Les enfants sont des vecteurs de transmission de l’épidémie, et l’école est impliquée dans sa diffusion." Dans un rapport (PDF) publié mercredi 17 février, le groupe de réflexion alerte sur la propagation du virus en milieu scolaire et formule des conclusions qui pourraient donner des arguments aux syndicats d’enseignants, inquiets en raison d’un nouveau protocole sanitaire allégé à l’école ». « Le rapport ne préconise pas pour autant la fermeture des établissements scolaires, en raison des impacts négatifs d’une telle décision, à commencer par les pertes pour l’apprentissage des élèves ». « Le rapport préconise d’abord de "permettre aux enfants et adolescents de devenir acteurs de la lutte contre l’épidémie". Il invite à s’inspirer des multiples exemples de la lutte contre le tabac et l’alcool, de l’éducation à la sexualité, de la dépendance aux écrans ou encore de la prévention routière. Pour faire passer un "message d’engagement solidaire", le rapport suggère de faire appel à des influenceurs, des vidéos didactiques, des quiz, des BD, des jeux…Dans un deuxième temps, Terra Nova invite à mieux accompagner les enseignants, en première ligne pour faire respecter les gestes barrières en classe. Pour cela, Terra Nova propose de prévoir "un dispositif global de formation et de modules didactiques pour la classe concernant l’épidémie". Enfin, le rapport propose d’améliorer l’aération des salles, notamment avec le déploiement de capteurs de CO2 dans les classes ». Le rapport préconise aussi de développer une stratégie de dépistage de masse à l’école.
Durant la semaine écoulée, plusieurs médias ont évoqué la question de la mixité sociale à l’école et reviennent sur l’expérimentation de secteurs multi-collèges conduite à Paris depuis septembre 2017. L’Institut des politiques publiques publie une étude qui tire un bilan positif sur le sujet. Delphine Bancaud pour le site 20minutes.fr, rappelle que « ce dispositif consiste à définir des secteurs communs à plusieurs collèges géographiquement proches, de manière à rééquilibrer leur recrutement social ».
Amandine Hirou pour L’Express, indique que « la France est l’un des pays de l’OCDE où l’origine sociale des élèves détermine le plus fortement leurs performances scolaires à l’âge de 15 ans. Plusieurs autres études ont également mis en évidence le niveau très élevé de ségrégation sociale qui caractérise les établissements du second degré en France, en particulier au collège. À Paris, cette absence de mixité est encore plus flagrante qu’ailleurs. Ce qui s’explique, entre autres, par le découpage de la carte scolaire, la concentration d’une population socialement hétérogène sur des territoires restreints, l’abondance de l’offre pédagogique ou encore la place centrale de l’enseignement privé ».
Eva Mignot publie un article (réservé aux abonnés) sur le même sujet sur le site alternatives-economiques.fr et dresse un bilan globalement positif mais contrasté de l’expérimentation en compagnie de Julien Grenet, pilote du projet.
Mattea Battaglia pour Le Monde revient elle-aussi sur cette expérimentation. Elle rappelle les deux modalités choisies pour favoriser la mixité dans les collèges concernés : « les deux modalités testées sont la « montée alternée » – les collégiens sont répartis alternativement entre les deux établissements – et le « choix régulé », qui fait intervenir un algorithme d’affectation conçu par des chercheurs, lequel prend en compte les vœux des parents tout en équilibrant la composition des établissements ». Elle indique que le bilan est « encourageant » mais aussi que « le dispositif, reconduit à la rentrée, ne sera pourtant pas étendu ».
On pourrait s’interroger longuement sur toutes ces expérimentations menées et qui, malgré des évaluations plutôt positives ne sont pas reconduites. Je ne suis pas loin de penser comme l’ami Philippe Watrelot que nous assistons à une véritable « mise au pas » et qu’elle s’accélère même actuellement. Je vous recommande fortement la lecture de son billet de blog.
Pour conclure cette revue de presse, je me permets de vous ajouter ce petit lien vers le crowdfunding pour la refonte du site des cahiers péda.
Pascal Thomas
La revue de presse des Cahiers pédagogiques évolue ! Aujourd’hui, on trouve facilement des tas d’articles en ligne, qui circulent et s’échangent notamment sur les réseaux sociaux. Nous avons donc pensé que ce que nous pouvions vous apporter, c’était autre chose, soit le recul et le temps du commentaire, en proposant une revue de presse hebdomadaire, plus hiérarchisée, plus sélectionnée et largement commentée, toujours, bien sûr, sous l’angle des questions éducatives.
N° 563 : Actualité de la métacognition
septembre-octobre 2020
Dossier coordonné par Marc Romainville et Jacques Crinon
À quelles conditions la connaissance de sa propre pensée peut-elle aider à mieux apprendre ? Quelle place pour les émotions, la confiance en soi, les stéréotypes ? Le point sur les nouvelles approches métacognitives.
N° 562 :Profs, exécutants ou concepteurs
Dossier coordonné par SABINE COSTE ET NICOLE PRIOU
n° 562 juin 2020
Comment les enseignants, individuellement et collectivement, interprètent-ils des textes officiels apparemment intrusifs de manière à stimuler leur créativité ? Comment s’approprient-ils des situations matérielles, organisationnelles, sociales fortement contraignantes ?
Si l’école est peu présente en tant que telle dans cet ouvrage, l’éducation en revanche est pour l’auteur au premier rang de la lutte contre « la déraison ». L’auteur a d’ailleurs participé à nos dossiers sur l’éducation aux médias et sur la formation de l’esprit critique. Et puisque nous traitons ce mois-ci de l’attention, il nous parait pertinent de rendre compte de cet ouvrage où il en est beaucoup question.
Pour le sociologue, en effet, notre attention d’êtres humains peut être dirigée de multiples façons et les conditions de la vie moderne, avec une extension du temps libre, la croissance des nouvelles technologies qui font circuler les informations à une vitesse grand V et un « marché cognitif » dérégulé, tout cela rend les cerveaux « disponibles pour tout », et d’abord pour le pire. Malgré nos déclarations, nous nous intéressons davantage au buzz, aux infidélités de François Hollande plutôt qu’à sa politique (page 256), aux sornettes sur les vaccins ou le complot mondial autour de la « fausse pandémie » pour dominer le monde davantage qu’aux informations nuancées données par des scientifiques, nous sommes attirés par le divertissement plus que par des œuvres exigeantes, même si nous déclarons le contraire. Pour reprendre les catégories de Daniel Kahneman, nous avons du mal à fonctionner en « système 2 » (pensée réflexive, qui prend son temps, ouverte à la complexité et au contre-intuitif) et choisissons le plus souvent le système 1, celui du « bon sens » souvent simpliste mais aussi des émotions, dont la fameuse « indignation » qui est devenue la reine des réseaux sociaux.
S’appuyant sur de nombreuses études, mais aussi des exemples très concrets, empruntés au monde médiatique ou à la culture populaire, Bronner décrit cette tendance à démentir continuellement la belle affirmation du scientifique Jean Perrin, prix Nobel « les hommes libérés par la science vivront joyeux et sains, développés jusqu’aux limites de ce que peut donner le cerveau ». Nul ton accusateur, d’ailleurs G. Bronner utilise le « nous », d’autant qu’il s’agit d’un constat de type anthropologique. Trop facile pour lui d’accuser des « maîtres du monde » ou des « puissants », GAFA ou autres, qui nous imposeraient leurs vues et créeraient des besoins, détournant les rêves de la « foule sentimentale » (page 239). « Supposer que ces désirs ont été créés ex nihilo par l’offre est à mon avis une erreur de raisonnement, qui mérite à ce titre d’être mise en examen ».
Le titre du livre est sans doute volontairement trompeur, puisqu’« apocalypse » aurait ici le sens biblique de « révélation » et non l’acception courante de catastrophe. Une manière d’attirer le lecteur, donc de « capter son attention » ? En fait, le grand intérêt de ce livre est d’exposer de façon très accessible de nombreux travaux de psychologie sociale ou cognitive (notons que Jean-Philippe Lachaux, référence de notre dossier « enseigner l’attention » est souvent cité) qui permettent une lecture du monde actuel et ses enjeux. Cependant, de nombreuses questions sont évoquées rapidement et mériteraient des débats, lesquels aujourd’hui sont plutôt rares quand les anathèmes et la division en camps (par exemple dans la discipline de la sociologie) s’y substituent . Une vision finalement plutôt pessimiste de l’être humain peut être remise en cause, notamment par les travaux qui insistent sur les tendances à la coopération, et les positions radicales de Gérard Bronner sur le principe de précaution par exemple peuvent sembler discutables, sans parler de la minimisation des questions sociales et finalement un scepticisme sur les possibilités de changer en profondeur l’ordre social.
Mais pour ce qui nous intéresse ici, à savoir le domaine éducatif, ce travail d’élucidation nous livre d’utiles pistes pour définir notre mission d’enseignants : faire émerger l’esprit scientifique, trouver les moyens de former des citoyens plus éclairés, à l’heure où, par exemple, trois quarts de français interrogés sur l’efficacité de l’hydro chloroquine …ne refusent pas de répondre à une telle question pour laquelle ils n’ont aucune compétence… Un ouvrage qui peut irriter par endroits, déprimer à d’autres, mais surtout stimuler, nous inviter aussi à penser contre soi-même et à mesurer l’immensité de notre tâche pour éviter un recul des Lumières et le triomphe des populismes en tous genres, dont le « populisme cognitif ». Et dans sa conclusion, Gérard Bronner après avoir récapitulé tous les dangers qui nous guettent, affirme cependant « les réponses existent potentiellement dans le trésor de notre temps de cerveau disponible »
Jean-Michel Zakhartchouk
le 19 février 2021L’auteur est à la fois IPR, enseignant-chercheur et poète, une singulière combinaison qui nous donne un ouvrage très personnel, fondé sur le vécu de ces différentes facettes, et qui prend au pied de la lettre le mot « élève » mais dans un sens original, où il est peu question d’ « élevage », mais d’« élévation » . Et pour Frédéric Miquel, il faut considérer toutes ces situations où finalement, ce sont les élèves qui « élèvent », à contre-courant de ceux qui veulent les réduire à un rôle passif et à absolutiser les écarts entre celui censé savoir et ceux censés être « ignorants ».
Pour avoir eu la chance de travailler un temps avec l’auteur dans l’élaboration des programmes de Français du cycle 4, je sais combien il est attaché à la culture, à une pédagogie de projet permettant de développer la créativité mais aussi l’appropriation de toutes ces œuvres trop souvent enseignées de manière sèche et peu attractive, que ce soit au nom d’une tradition qui perdure ou d’une didactique ne tenant pas compte de la réalité vivante de la classe.
Le livre retrace un parcours entre séances de classe, témoignages d’élèves et échos d’inspections qui dans une première partie met en avant ce qui est appelé ici « effet-élève » ou comment « leurs avis changent la vie du professeur » et dans une seconde partie propose quelques pistes pour une « revivification de l’école », dans le cadre d’une « société fraternisée par sa jeunesse. »
Dans toute la première partie, sans véritable parcours structuré, ce qui peut dérouter, on voyage avec l’auteur et on partage ses rencontres. Ainsi, avec ces élèves dont le talent ne demande qu’à éclore et que l’invitation à l’écriture par exemple peut révéler dès lors qu’on sort du trop convenu. Mais aussi ceux qui ont mille compétences peu à l’œuvre dans le domaine scolaire et qui étonnent ou détonent avec l’image stéréotypée qu’on pourrait avoir d’eux. Ce qui montre la voie à « des pratiques qui méritent de quitter leur statut de cerise sur le gâteau ou d’évaluation de fin de séquence pour occuper la totalité des cours d’un chapitre, abordant toutes les compétences autour d’un projet original et engageant. » (Page 75) F. Miquel nous incite ainsi à ne pas dissocier activités dites créatives et d’autres plus « sérieuses », mais à intégrer dans un tout les différentes composantes de l’acte d’enseigner.
A aucun moment, l’apport du professeur-accompagnant, médiateur, n’est nié, mais il est enrichi par la diversité des réactions de ses élèves, le stimulant continuellement s’il accepte cette conception d’un métier jamais réglé une fois pour toutes. Savoir montrer qu’on ne sait pas tout et qu’on va chercher avec les élèves, accepter les suggestions, les critiques (il ne s’agit pas d’être « noté » par ses élèves, mais d’accepter leur regard, voir p.91)). On pourrait objecter que ce n’est pas toujours aussi fécond que les exemples qu’il donne, lesquels sont plutôt encourageants, quand par exemple les élèves réclament plus de cours traditionnels, plus de « leçons » ou de dictées…
Mais l’auteur n’hésite pas à évoquer ses propres échecs, l’impossible dialogue avec le déjà prédicateur islamique refusant de lire un roman comportant des scènes à caractère sexuel ou avec cette jeune fille qui ne s’intéressait qu’au « kite-surf » (p.110-111), mais ces échecs ramènent à la modestie et peuvent être des « tremplins » pour mieux prendre en compte les représentations des élèves (jusqu’à un certain point, sans doute !)
Il est important d’ailleurs de prendre en considération l’ensemble des propos de l’auteur. Car dans la seconde partie, il répond d’avance aux objections qu’on pourrait lui faire, au reproche d’angélisme. Dans un chapitre intitulé « Au-delà des idéologies », il montre bien comment le rôle du professeur est essentiel, notamment pour ce qui concerne le « nourrissage culturel » et exprime sa méfiance devant certaines dérives de la « centration sur l’élève ». « L’influence de l’adulte ne pervertit pas l’enfant, pas plus que l’initiative de l’élève ne dégrade l’enseignement » et il ne faut surtout pas priver l’élève de « l’apport pluriséculaire dont il a besoin pour se cultiver et croître ». (p.138). Par ailleurs, ne sont pas niées ou ignorées les difficultés d’enseigner avec des élèves ayant peu d’appétence et adoptant parfois la posture du persécuteur du professeur. Mais F. Miquel propose en fin d’ouvrage quelques pistes pour avancer, pour construire la confiance qui ne peut se réduire à cette notion dont nous abreuvent les discours officiels. Pourquoi dans la formation des enseignants n’insiste-t-on pas davantage sur ce que les élèves peuvent apporter au professeur, sur ce que l’on peut construire dans une relation « partenariale » (même s’il est en partie inégalitaire) au lieu d’insister sur le « rapport de forces » (« tenir une classe ») ?
On lira aussi avec beaucoup d’intérêt le dernier chapitre consacré à « élever et (se) libérer des adultes en temps de pandémie », moment de vérité pour beaucoup d’éducateurs, où « plus que la continuité pédagogique, [il était question] de reconsidérer de fond en comble les bases et les objectifs qui jusqu’alors soutenaient l’édifice éducatif et le système scolaire. »
On ne s’appesantira pas sur « l’envoi » final qui montre les limites de toute « conclusion » (ne faut-il pas se débarrasser de cette obligation de « conclure », sous la forme de souhaits et d’ouverture). Retenons plutôt le message central humaniste et engagé qui nous livre des aperçus d’une vie professionnelle intense et qui se prolonge dans l’action du responsable dans l’Académie de Montpellier d’un dispositif qui se nomme tout naturellement « Ces élèves (qui) nous élèvent. »
Jean-michel Zakhartchouk
le 19 février 2021Cet ouvrage collectif regroupe huit chapitres qui dessinent les principes, les processus et les enjeux de la planification de l’enseignement pour le secondaire, cette dernière indispensable à un enseignement plus équitable pour tous les élèves.
Dans le premier chapitre, Léna Bergeron et Geneviève Bergeron (Université du Québec à Trois-Rivières) mettent en évidence l’importance d’avoir un fil conducteur comme « le fil d’Ariane » dans la planification à long terme, et ne plus être constamment cantonné en tant qu’enseignant dans la planification « au jour le jour ». Ce qui est essentiel mais à la fois très difficile pour l’enseignant, comme professionnel, c’est de savoir identifier précisément ses intentions d’apprentissage vis-à-vis de l’élève. Pour l’enseignant, il s’agit d’agencer un « alignement curriculaire », « une planification à rebours » et prioriser les notions fondamentales. Cela s’accompagne de la planification des séquences pédagogiques, d’en avoir une vue d’ensemble, de prévision des tâches ou des productions des élèves et aussi des rétroactions ou des feedbacks formatifs à donner aux élèves en cours d’apprentissage et non pas à la fin du processus. L’article regroupe les questions de planification que les enseignants devraient se poser au niveau de sa conception, sa mise en œuvre et sa régulation.
Geneviève Messier (Université du Québec à Montréal) présente , elle, le processus de planification jamais statique, comme un processus de résolution de problèmes professionnels, auxquels l’enseignant doit trouver des solutions. Ce processus est constitué de cinq phases dans la démarche didactique : le diagnostic, l’objectif, la stratégie, l’action et l’évaluation dans une visée d’apprentissage pour les élèves.
Ensuite, Sandra Chiasson-Desjardins et Lise-Anne St-Vincent (Université du Québec à Trois-Rivières) montrent les caractéristiques de l’approche pédagogique de l’Universal Design for learning (UDL) ou l’apprentissage universel qui a ses racines dans les pratiques des architectes qui anticipent, qui sont proactifs et misent sur l’universalité des structures pour tous. Ces adaptations, en pédagogie, dans la planification des enseignements seraient donc appliquées à tous et non pas seulement aux élèves qui en ont besoin. Donc cela consiste à offrir plusieurs moyens de représentations, des supports multiples, plusieurs moyens d’action et d’expression, de communication, dans une démarche flexible, offrir plusieurs moyens d’engagement des élèves. Pour cela, l’enseignant doit avoir mené une analyse approfondie de l’état actuel de la classe dans toutes ses singularités.
Nancy Granger (Université de Sherbrooke) montre comment il faut mieux intégrer les stratégies pédagogiques en littératie, en tenant compte du niveau de compétence, pour améliorer la planification de l’enseignement. Il s’agit aussi de mieux fournir des outils pour la compréhension de la lecture autant que la construction de sens, multiplier et varier les situations pour s’exercer. Et tout cela en anticipant les difficultés et en créant des outils en avance pour que les élèves s’approprient mieux les tâches.
Par la suite, Philippe Tremblay (Université de Laval) décrit les diverses configurations du coenseignement et leur but (1. Un enseigne, un observe ; 2. Enseignement de soutien ; 3. Enseignement parallèle ; 4. Enseignement en ateliers ; 5. Enseignement alternatif ; 6. Enseignement partagé) qu’il soit intensif, stratégique ou encore dispersé. L’auteur expose à la fois ses conditions et ses risques, et les articule avec la coplanification didactique, pédagogique, orthopédagogique et structurelle. Cette dernière, bien que souhaitée, rencontre des tensions inhérents à sa mise en œuvre dans les établissements scolaires.
Marie Toullec-Théry (Université de Nantes et Espé) avec la collaboration de Corinne Marlot (HEP-Vaud en Suisse), esquissent les conséquences dans les pratiques de coenseignement en rapport avec la planification dans le dispositif « Plus de maitres que de classes ». On esquisse deux hypothèses centrales : que la variable « compatibilité » entre enseignants influence considérablement et positivement le coenseignement, et que l’implication partagée des enseignants à la planification rend la pratique plus efficace. Cela met en place un milieu d’étude pertinent pour les apprentissages. On rappelle encore que le manque du temps de coplanification ainsi que la difficulté à repérer les obstacles des élèves face aux apprentissages et à les communiquer au sein des professionnels en charge restent des freins à dépasser.
Liliane Portelance et Lise D’Amours (Université du Québec à Trois-Rivières et Commission scolaire des Chênes, Drummondville) mettent en lumière l’importance d’un échange réflexif entre le maitre de stage et l’étudiant-stagiaire à propos de la planification. Cette dernière est considérée comme un processus complexe traversé par des dilemmes mais aussi par de multiples prises de décisions, en amont du travail dans la classe, mais également aux prises avec les réalités et dynamiques scolaires au sein des enseignements et de la gestion de classe. C’est l’écart entre les intentions inscrites dans les planifications et ce qu’il s’est effectivement réalisé, voire transformé, qui est un objet de partage professionnel entre un enseignant expérimenté et un enseignant en devenir. Les auteures nous proposent un aide-mémoire de questionnements sur la planification, qui pourrait être un outil très porteur d’échange et d’étayage professionnel.
Dans le dernier chapitre, Nicole Monney, Catherine Duquette, Souleymane Barry et Christine Couture (Université du Québec à Chicoutimi) rendent compte de la construction d’une grille de planification, qui est l’outil de référence dans le cadre de la formation en enseignement en alternance (en stage et sur les bancs de l’université) à l’Université du Québec à Chicoutimi. Cet instrument qui a fait objet de multiples négociations entre de nombreux collègues enseignants de diverses disciplines, intègre plusieurs cadres de référence : les didactiques, la gestion de classe et l’évaluation. Cette grille-même rend compte avec justesse de la complexité de la profession qui exige de l’enseignant d’agir sur tous les plans – connaitre le programme et ses contenus, mobiliser les gestes professionnels et didactiques, et autant que pédagogiques dans la gestion de classe, et suivre la progression des apprentissages des élèves.
Nous invitons vivement le lecteur à découvrir la richesse et la complémentarité de chacune des contributions desquelles nous avons gardé ici quelques modestes traces. Et nous tenons à mentionner que bien que les diverses analyses aient porté sur l’enseignement secondaire, nous voyons toute leur pertinence pour la pratique de la planification opérée par les enseignants du primaire.
Andreea Capitanescu Benetti
le 19 février 2021
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