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Un recyclage, au sens noble du terme

«Les EPI ? Mais on le faisait déjà !» S’il y a un argument des antiréformes que je veux bien entendre, c’est celui-là. Je l’ai donc pris au mot il y a quelques mois et ai recherché parmi mes archives une séquence d’apprentissage mêlant projet et interdisciplinarité que je pourrais reprendre pour en faire un EPI. Mon choix s’est porté sur un travail réalisé il y a trois ou quatre ans en classe de 4e avec ma collègue de français.

Il s’agissait pour les élèves de créer un personnage vivant sous la révolution (en s’inspirant du début du jeu du réseau Ludus et de J’ai vécu au XVIIIe siècle de Dominique Natanson) et d’imaginer des lettres que ce personnage aurait pu écrire pendant la période 1789-1815.

Il nous fallait transformer cette séquence pour en faire un véritable EPI.
Quand nous l’avions mise en place, il s’agissait d’un exercice d’application venant après l’étude de la Révolution et du genre épistolaire et de l’argumentation. Cette fois, notre volonté est de pratiquer une véritable pédagogie du projet et donc d’amener les apprentissages pendant la réalisation de la production. Les apports disciplinaires se font donc progressivement au cours du projet (sous forme de capsules vidéos, quiz, rédaction de courtes synthèses écrites, apports magistraux ponctuels, dossier de ressources) et répondent à un besoin des élèves pour le mener à bien. L’ancrage aux programmes est donc assuré.

Un point me parait alors essentiel : il s’agit de l’évaluation proposée aux élèves avec ce type de travaux. Bien souvent, on se contente d’évaluer la production finale. C’est bien évidemment légitime et nécessaire. Dans notre collège, nous sommes nombreux à évaluer par compétences sans notes. Cette pratique est ici un outil facilitateur. L’évaluation des lettres se fait donc en trois temps : autoévaluation, coévaluation et enfin évaluation par les deux professeurs.

Mais, si l’on veut faire d’un tel projet interdisciplinaire un moment fort d’apprentissage, il convient aussi de proposer aux élèves une évaluation de ce qu’ils ont appris et appris à savoir faire pendant cette séquence de travail. Aussi nous proposons, après un retour sur leurs travaux, une évaluation plus classique par discipline. C’est un moment essentiel à mes yeux qui permet aussi de faire comprendre aux élèves qu’ils ont acquis des connaissances et des capacités par ce biais. Et il est trop souvent oublié au profit d’une seule évaluation de la production.

Juste équilibre

Comme nous avions mis en ligne cet exemple, il a été largement diffusé et repris (jusque dans la dernière mouture des programmes de français) et donc commenté. Parmi les remarques négatives que vous avons reçues en retour, quelques professeurs de lettres nous ont fait remarquer que le français n’était qu’un outil au service de l’histoire dans cet EPI, alors que quelques professeurs d’histoire nous faisaient la remarque contraire. Nous avons donc conclu que nous avions bien trouvé un juste équilibre !

Les objectifs sont au final nombreux et ambitieux : en histoire, pratiquer différents langages (en faisant réaliser des productions écrites pour élaborer un récit, mais aussi décrire, expliquer et argumenter) tout en abordant la Révolution française et l’Empire ; en français, aborder plusieurs points du programme (individu et société : confrontations de valeurs ?), les récits, la fiction pour interroger le réel, et la correspondance. Communiquer par écrit et sur des supports variés (papier, numérique) un sentiment, un point de vue, un jugement en tenant compte du destinataire et en respectant les principales normes de la langue écrite et, enfin, en réponse à une consigne d’écriture, produire un écrit d’invention.

Les compétences du socle travaillées sont également nombreuses, réparties dans les domaines 1 (Les langages pour penser et communiquer), 3 (La formation de la personne et du citoyen) et 5 (Les représentations du monde et de l’activité humaine).
Difficile pour les détracteurs des EPI de nous accuser d’un enseignement au rabais !
Il nous fallait faire entrer ce projet dans l’un des thèmes officiels. « Information, communication, citoyenneté » semble bien lui correspondre. Enfin, il nous fallait trouver une organisation qui entre dans le cadre d’un EPI et soit la plus pertinente possible.
Un EPI d’une heure par semaine pendant un trimestre permettait de respecter le temps imparti aux points de programme abordés. Ni plus, ni moins. Nous avons bien évidemment choisi, comme le texte le permet, de mener ces heures dans la continuité en les groupant sur trois semaines. Dans le cadre de l’expérimentation, nous ne disposions pas d’heure marge, mais nous avons néanmoins testé (car nos emplois du temps le permettaient) de co-intervenir sur une partie de l’horaire, ce qui est rassurant quand on doit répondre à des questions ou apporter de l’aide qui ne correspondent pas à notre matière.

La démarche de projet a permis d’obtenir des écrits de tous les élèves. C’est une finalité à laquelle nous tenons beaucoup : faire écrire. Ils ont apporté un soin tout particulier à ces lettres, notamment à leur présentation. Le fait de proposer plusieurs productions de même type a également permis aux élèves de progresser d’un écrit à l’autre.

Contrairement à ce qu’on entend des détracteurs des EPI, nous n’avons pas eu l’impression de prendre sur nos heures disciplinaires, mais bien de traiter nos disciplines autrement, en proposant une voie différente. Diversifier, c’est bien là l’essentiel.

Laurent Fillion
Professeur d’histoire-géographie, collège de l’Europe à Ardres