Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
Pensez à vous abonner sur notre librairie en ligne, c’est grâce à cela que nous tenons bon !

Livre du mois du n° 587 – Travailler la maitrise de la langue. Faire progresser les élèves dans toutes les disciplines

Juin 2023, le ministre de l’Éducation nationale annonce « un immense chantier […] pour que les élèves écrivent correctement ». On entend alors autour de soi : « C’est vrai, maintenant les jeunes n’ont plus de vocabulaire », « ils connaissent les règles d’orthographe mais ne les appliquent pas », etc.

Qu’en est-il vraiment ? Et si au lieu de céder à l’abattement ou de se réfugier derrière des solutions simplistes, nous nous attachions à travailler ensemble la maitrise de la langue, à renouveler son enseignement ?

C’est ce sujet épineux que les autrices abordent ici dans toute sa complexité.

Parce que cette question touche l’ensemble des disciplines, et pas seulement le cours de français, elles s’appuient sur des problèmes concrets de métier : le rapport à l’écrit (« ils n’écrivent pas ! »), la syntaxe (« ils écrivent comme ils parlent ! »), le vocabulaire (« ils manquent de vocabulaire et ne réutilisent pas le lexique de la discipline »), l’orthographe (« ils ne se relisent pas ! »). Les difficultés rencontrées par les professeurs deviennent autant de leviers pour faire progresser les élèves.

Quelle que soit la discipline enseignée, les autrices encouragent à s’appuyer sur les écrits de travail, intermédiaires, réflexifs, pour « déplier le chemin de l’erreur », penser la langue. Elles rappellent que la langue de l’école sert avant tout à penser. Les éclairages théoriques – distinction entre la maitrise de la langue et l’étude de la langue, la langue de l’école et les autres usages, la littératie – sont toujours illustrés par des pratiques de classe variées et des travaux d’élèves. Piochons-y autant d’idées que possible pour travailler, en cohérence, la construction de la phrase, le lexique, etc.

Le chapitre dédié à l’orthographe questionne nos représentations, souvent chargées d’affects. Selon les autrices, ce domaine doit être évalué uniquement lorsqu’il est enseigné, donc en cours de français. Il s’agit alors de valoriser les progrès et non de sanctionner les erreurs. Pour ce faire, la vigilance orthographique et l’identification des « zones à risque » sont centrales dans toutes les disciplines.

Karine Risselin, Émilie Bush et Anne Vibert abordent ensuite le cours de français. Comment créer le gout de l’étude de la langue ? Quels outils, quelles démarches utiliser ? Trois clés interdépendantes sont préconisées : les chantiers de grammaire, l’analyse de corpus, la progression spiralaire.

Enfin, cet ouvrage est un appel à la collaboration entre enseignants. Le travail sur la langue constitue un moyen efficace pour impulser une dynamique entre collègues. Réfléchissons ensemble à la langue prononcée mais également entendue dans nos classes : quelle est la qualité de l’étayage de notre équipe ? Comment accompagner la structuration du discours des élèves ? Ces questionnements, et bien d’autres, pourront être le ciment d’une formation entre pairs source d’enthousiasme et d’innovation.

On l’aura compris, ce livre tisse une réflexion dense et fertile, constituées de fils multiples ne demandant qu’à être tirés. Chaque lecteur pourra détricoter ces liens pour se les approprier et tresser, en équipe, un nouvel ouvrage.

Aurélie Guillaume et Louise Richard

Questions aux autrices

©DR.

Le programme présenté par Gabriel Attal le 20 juillet vise notamment à « remettre […] les savoirs fondamentaux au cœur de l’école ». Cette annonce fait-elle écho à votre ouvrage ?

La maitrise de la langue ne doit plus être envisagée comme allant de soi, mais être au centre des préoccupations de chacun. Les professeurs savent bien que ce couplet sur les « fondamentaux » n’a rien de nouveau : c’était déjà le mot d’ordre du ministère Blanquer, et c’est donc désormais un affichage obligé dont il serait trop long d’analyser ici les présupposés idéologiques. En outre, ce mot d’ordre est bien commode parce qu’il ne définit pas ce que sont ces savoirs dits fondamentaux, qui semblent évidents sans qu’on s’interroge sur ce qu’ils signifient vraiment.

Notre ouvrage porte au premier chef sur le développement des compétences d’écriture des élèves, mais ne les pense par en termes de « savoirs fondamentaux » parce que cette expression est soit trompeuse – laissant croire à des savoirs de base simples, soit non définie – laissant chacun y mettre ce qu’il estime être fondamental.

Nous avons repris l’expression maitrise de la langue parce que c’est celle qui est en usage dans notre institution, mais nous nous reconnaissons davantage dans la notion de littératie qui renvoie justement aux compétences liées à l’écrit dont tout élève a besoin à la fois pour poursuivre ses études et jouer un rôle actif dans la société. S’il y a quelque chose qui est fondamental aujourd’hui, ce sont bien ces compétences.

L’enseignement et l’évaluation de la maitrise de la langue suscitent nombre de questionnements, voire de désaccords. Comment expliquez-vous qu’elle soit l’objet de tant de controverses ?

Les francophones ont un attachement social, politique et culturel à leur langue. La notion de maitrise de la langue est le plus souvent mal comprise, ou de manière réductrice, comme renvoyant essentiellement à la connaissance des règles de grammaire et d’orthographe. Ce qui est en jeu, en réalité, c’est la maitrise des différents usages du langage, en particulier à l’écrit et dans les différentes disciplines qui demandent, chacune, de recourir à des formes de discours spécifiques.

Et si on s’intéresse en particulier à la compétence linguistique, il faut préciser ce dont on parle : non pas une vision étroitement normée de la langue qui sanctionne toute erreur, sans hiérarchie ni prise en considération du temps des apprentissages, mais, au contraire, une prise en compte de la langue en tant que système, avec ses zones de difficulté et les étapes par lesquelles passent les élèves pour acquérir progressivement la compréhension de ce système.

En somme, une des raisons pour lesquelles la maitrise de la langue suscite questionnements et désaccords, c’est qu’on ne s’est pas mis d’accord au préalable sur ce dont on parle. L’autre raison est le rapport de chacun à la langue. Chez certains, c’est un sentiment d’insécurité linguistique qui domine, faute d’avoir reçu une formation appropriée quand d’autres, à l’inverse, ont des certitudes, qu’ils tiennent souvent de leur maitrise orthographique. Une approche excessivement normative de la langue est alors mise en avant. Il s’agit donc à la fois de redonner confiance aux uns et d’amener les autres à réinterroger leurs savoirs.

Vous faites une large place au collège. Ce niveau présente-t-il des spécificités ?

L’ouvrage se fonde sur des pratiques des cycles 3 et 4 tout en montrant que ce qui est proposé peut être largement adapté au cycle 2 comme au lycée.

La spécificité au collège est d’abord de confier l’enseignement des différentes disciplines à des professeurs spécialisés. Alors que le professeur des écoles est polyvalent et peut prolonger les apprentissages concernant la lecture, l’écriture et la langue dans ses différents enseignements, il peut être tentant au collège de renvoyer au seul professeur de français la responsabilité de ces apprentissages. Le problème est le même au lycée et sans doute encore plus marqué. De plus, les programmes de chaque discipline sont généralement chargés et ambitieux. Et les enseignants ont tendance à penser que les élèves doivent avoir appris au collège à maitriser suffisamment la langue pour satisfaire à leurs exigences.

Pour autant, il ne s’agit pas de dire que les enseignants des différentes disciplines ne sont pas préoccupés par la maitrise de la langue. Mais ils ne savent pas comment s’en saisir, faute d’une formation appropriée. C’est pourquoi l’ouvrage entend leur permettre à la fois de mieux situer les enjeux et d’en avoir une approche pragmatique.

Propos recueillis par Aurélie Guillaume et Louise Richard

Sur notre librairie