Les Cahiers pédagogiques sont une revue associative qui vit de ses abonnements et ventes au numéro.
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Toute une vie de pédagogue

Prenons de la hauteur à la rencontre d’Elizabeth Thuriet. Enseignante d’EPS à la retraite depuis plus de vingt ans, elle nous raconte une page d’histoire de l’enseignement de sa discipline mais aussi du CRAP-Cahiers pédagogiques.

Sa découverte de la revue date de 1964, lorsqu’elle était en formation à l’Enseps (École normale supérieure d’éducation physique et sportive). Les enseignants d’EPS étaient alors, et jusqu’en 1981, rattachés au ministère des Sports et suivaient un cursus dans les structures dépendant de cette administration. « La documentaliste nous a fait venir par groupes pour nous présenter les revues et nous encourager à nous abonner, ce que nous pouvions faire, car nous étions payées. »

Elle choisit de regarder une revue pluridisciplinaire plutôt que celle dédiée à l’EPS, et découvre ainsi les Cahiers pédagogiques auxquels elle s’abonne. « Je me suis abonnée un peu par bravade. J’ai lu consciencieusement tous les numéros et au bout d’un an et demi, je me suis demandé qui faisait cette revue. J’ai lu un topo sur les CRAP et j’ai envoyé mon adhésion ».

Son Capep en poche, elle est nommée à Cherbourg, aux antipodes de Briançon, la ville où elle habite. Elle enseignera ensuite à Pamiers, puis à Bourgoin-Jallieu près de Lyon. Là, elle reçoit une lettre de bienvenue de la part de la présidente du CRAP de la région lyonnaise avec une invitation à participer à des ateliers. « C’est là que j’ai commencé à faire la connaissance des gens des CRAP, à Lyon, la ville où a commencé l’aventure de l’association ».

Réunions et rencontres

Férue d’alpinisme, elle avait peu de temps pour participer aux réunions à Paris et aux rencontres estivales. Et, dès la première assemblée générale où elle peut aller, elle s’implique, devient rapidement membre du conseil d’administration et y restera jusqu’à la retraite. Elle se souvient des locaux exigus de l’impasse du Bon-Secours. « La secrétaire essayait d’émerger au milieu des papiers et faire de la place pour son ordinateur. » Elle intègre le comité de rédaction après avoir coordonné un dossier sur le thème de l’imagination, le premier d’une longue série. « J’étais dans une période très CRAP, où je participais à tout, les AG, les CA, le comité de rédaction. »

Elle sourit en évoquant les rencontres très spartiates où elle allait les premières années, munie de sa tente pour ne pas dormir dans un dortoir bruyant. « Il y avait beaucoup de débats. Je me souviens en particulier de Jean-Pierre Astolfi qui m’a éblouie par sa logique et sa précision. J’aimais bien cette ambiance, c’était un bon démarrage après un été très dense pour se remettre dans la perspective de la rentrée. » D’année, en année, elle anime un à deux ateliers. « J’ai beaucoup donné et avec grand plaisir. »

Aux rencontres de Florac en 1993, avec Jacques Georges.

 

Dans les années 80, les Cahiers pédagogiques étaient dans une période « de vaches grasses », portés par les Mafpen (missions académiques de formation des personnels de l’éducation nationale), qui promouvaient les numéros auprès des enseignants stagiaires. « C’était la seule revue sur l’éducation qui parlait vraiment du terrain, les gens se précipitaient là-dessus. »

Promotion et diffusion

Lorsque les MAFPEN ont été supprimées, la revue a dû réfléchir à sa promotion, sans avoir le droit alors de publier des publicités dans d’autres supports. La seule solution était de faire connaitre les Cahiers par d’autres revues avec un échange de bons procédés, un dossier en commun ou une mention réciproque dans les publications.

Raoul Pantanella, alors corédacteur en chef de la revue, propose la création d’un poste de chargé de diffusion. Elizabeth Thuriet accepte la fonction avec une décharge partielle. « Je me suis rendu compte que le commerce, c’était rigolo. Au CA et au comité de rédaction, on ne savait pas combien coutait un numéro des Cahiers, nous n’avions pas de comptabilité analytique. Un de mes gros boulots a été d’évaluer le cout d’un numéro et de mieux prévoir le nombre d’exemplaires à imprimer en complément des abonnements. »

Elle se souvient des secrétaires avec qui elle a partagé cette mission nouvelle et particulière et notamment Marcia au début, Catherine Nowak et ensuite Fatou Aidara. Leur aide a aussi été précieuse lorsqu’elle prend la suite de Noëlle Villatte en tant que directrice de la revue, et ce, jusqu’à sa retraite. C’est d’ailleurs pour les 20 ans de carrière de Fatou qu’elle est venue pour la dernière fois dans les locaux du CRAP. Elle a vu l’association et la revue évoluer dans leur fonctionnement et dans les publications, les réussites, les déchirements, les rebonds. Elle restera adhérente longtemps après sa retraite, par fidélité aux valeurs communes, jusqu’il y a peu.

Mai 68 et la mixité

Dans son métier d’enseignante, elle a été aussi actrice et témoin des changements dans sa discipline et dans l’éducation toute entière. Elle a débuté à la rentrée 67. « Mai 68 m’est tombé dessus quand j’étais jeune enseignante et c’est une bonne chose ».

Le lycée de Cherbourg où elle arrive est neuf. L’accueil de rentrée se résume à un quart d’heure pendant lequel les emplois du temps sont donnés ainsi que les livres pour toutes les disciplines, sauf la sienne. « Les profs d’EPS étaient les seules à avoir eu une formation pédagogique et fait des stages. Je connaissais le modèle, c’était le même que celui que j’avais en tant qu’élève. »

Les lycées étaient encore non mixtes, accueillaient les élèves de la 6e à la terminale après un examen d’entrée avec pour résultat l’orientation vers des cours complémentaires des candidats non reçus. « 68 a secoué pas mal de choses. Lycée et collège ont été séparés. Mon établissement a gardé la partie lycée. Les classes sont devenues mixtes. »

Extrait d’un manuel fait avec des élèves sur le main-à-main.

La mixité n’était pas une obligation en EPS et, de fait, les classes sont restées ségréguées. « Les profs hommes avaient la trouille de faire cours à des filles et tenaient plus que les femmes à éviter la mixité. » Avec des collègues, elle se rend compte que cette non mixité n’est pas une obligation et qu’il suffit de demander à son chef d’établissement pour ne plus séparer filles et garçons. « C’était un gros changement, au début, la mixité n’était pas évidente. Elle était superficielle. On organisait par exemple des matches de sport-collectif opposant deux équipes de filles ou deux équipes de garçons ».

Elle change son approche lorsqu’un élève lui explique qu’il aimerait faire de la poutre, un agrès qu’elle réservait aux lycéennes. Elle envisage alors ses cours avec des activités prenant en compte l’hétérogénéité.

Statique et dynamique

Tout au long de sa carrière, elle a vécu les successions d’instructions. Quand elle était lycéenne, celles qui imposaient « quarante-cinq minutes de statique et quinze minutes de dynamique ». Les instructions de 1967 partaient du principe que seule la motivation pour le sport peut pousser les élèves à adhérer. « Exit l’EPS et vive le “tout sport”. Les réactions ont été fortes, et la branche EPS du SGEN, où j’ai été très active, a été créé entre autres, en réaction à cette tendance. »

Elle a exercé dans des contextes et niveaux variés, en collège, lycée et lycée pro. Et de toutes ces riches années, elle rattache ses meilleurs souvenirs aux activités cirque qu’elle a animées. Elle avait pourtant au départ des aprioris, aussitôt envolés lorsqu’elle découvre le « nouveau cirque », bien loin du cirque traditionnel, qu’elle appréciait peu. « J’ai été émerveillée de voir comment était abordée la gymnastique au sol dans une école de cirque. J’étais nulle en gymnastique et, dans ce cas, c’est difficile de sortir du schéma des leçons que tu as reçues en tant qu’élève ».

Cirque et enseignement mutuel

Elle monte un groupe cirque dans son collège, adjoint une participation au championnat départemental de gymnastique au premier trimestre pour que l’activité soit reconnue comme section sportive. « Tous les élèves pouvaient s’inscrire, de la 6e à la 3e. Il y avait des entrées tous les ans avec des âges et des niveaux différents. » Avec ces différences, et le nombre important d’inscrits (une cinquantaine par an), elle organise un fonctionnement en enseignement mutuel, ce qui pour elle est une vraie découverte.

L’Hexagone de Meylan accueille les spectacles « dans un vrai théâtre avec une régie, lumière et son à gérer, une aventure stressante et passionnante. » L’activité grandit avec trois heures par semaine dans le cadre de l’association, trois autres dans un format d’atelier de pratiques artistiques. Des spectacles sont réalisés dans le cadre de fêtes de fin d’année organisées par des comités d’entreprise. « Cela donne des relations sociales différentes, soude les élèves. On gagnait de l’argent et on décidait ensemble comment le dépenser, pour l’achat de nouveau matériel par exemple. »

Elle a apprécié l’appui de son chef d’établissement et de voir l’activité cirque s’étendre avec la création de cycles de cirque pendant les cours d’EPS du collège pour toutes les classes. Il lui arrive encore de croiser des anciens élèves dans les rues de Grenoble, et les souvenirs restent joyeux de cette belle aventure. « Quand je me retourne sur ma carrière, beaucoup de choses ont eu un point de départ aléatoire, celle-ci est la plus marquante. »

Monique Royer

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