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Titiou Lecoq : « C’est un vrai plaisir de voir ces images de femmes qui n’existent pas dans notre imaginaire ! »

Photo Céline Nieswazer.

Comment les femmes se sont-elles retrouvées absentes des livres d’histoire et des anthologies de la littérature ou de la peinture ? La réponse de Titiou Lecoq, journaliste et autrice, c’est qu’on les a oubliées, voire délibérément effacées. Elle décrit le processus dans Les femmes aussi ont fait l’Histoire (paru en octobre 2023 aux éditions des Arènes), une adaptation jeunesse de son livre Les Grandes Oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes (paru en 2021 aux éditions de L’Iconoclaste).
Dans Les Grandes Oubliées, vous évoquez des souvenirs de cours d’histoire, et on a l’impression que vous étiez plutôt bien adaptée à l’école ?

Eh bien, ça a été très variable. Entre la primaire, le collège et le lycée, on change complètement… En primaire, ça a été très difficile : j’étais dyslexique. Les dictées étaient impossibles pour moi, et les maitresses n’étaient pas au fait de ces problématiques. Je me souviens d’une maitresse en CE1 qui me laissait toute la journée corriger mes fautes, qu’elle avait simplement soulignées, pendant que les autres faisaient autre chose et avançaient. Mais j’étais sage et discrète, avec toutes les apparences de la bonne élève. J’ai dû apprendre des tas de mots par cœur pour commencer à m’en sortir. Et j’avais du mal aussi en mathématiques, pour les tables de multiplication. Et ça a commencé à aller mieux au collège, j’ai compris ce qu’on attendait de moi en 4e, j’ai compris comment ça fonctionnait. Puis, au lycée, c’était super ! Mais j’aimais l’école, parce que j’étais très souvent seule à la maison, je m’ennuyais beaucoup, les vacances pour moi c’était très pénible ! L’école, c’était le lieu où je voyais des amis.

Et votre intérêt pour l’histoire est venu comment ?

Ça m’a intéressée dès la primaire, ce qu’on nous racontait était incarné, et on n’était pas sur de la dictée ni des multiplications. C’était génial ! J’aimais aussi beaucoup les SVT, tout ce qui me sortait de mes difficultés, au fond. Ma mère était très intéressée par l’histoire aussi, et m’avait beaucoup trainée dans les musées, et raconté l’histoire de Paris, puisqu’on vivait à Paris. Mais je n’ai pas fait d’études d’histoire. J’ai étudié les lettres modernes, avec des cours d’histoire en option, notamment sur l’Antiquité et l’Empire romain.

Comment vous êtes-vous documentée pour écrire Les Grandes Oubliées ?

J’avais le tropisme antérieur pour l’histoire. Dans mon essai Libérées ! Le combat féministe se gagne devant le panier de linge sale, il y avait déjà toute une partie historique sur l’éducation ménagère, pour laquelle j’avais lu beaucoup de travaux sur le XXe siècle. Et puis, pour Honoré et moi, sur Balzac et les femmes, j’avais lu beaucoup de choses sur le XIXe. Enfin, sur la préhistoire, je me tenais au courant, ça m’intéressait beaucoup. J’avais donc ces morceaux historiques, et une éditrice m’a dit « fais-en un livre ».

Je ne voulais pas écrire des récits de destins de femmes, ça existe déjà. Je voulais un livre sur les mécanismes historiques qui se sont mis en place pour faire disparaitre les femmes du récit historique, et parler des femmes comme catégorie sociale.

J’ai écrit de façon chronologique. Le plus gros travail a été de chercher les écrits des historiennes, les plus récents parce que ça bouge très vite, et à chaque fois de vérifier à mort. Je voulais évidemment éviter ce qui était faux historiquement. Je pense que c’est pour ça que le livre a été plutôt bien reçu par la communauté des historiennes et historiens. J’ai beaucoup écrit « on ne sait pas » : je ne peux pas dire si ce sont des femmes qui ont fait les peintures rupestres, ou des hommes, ou les deux.

Est-ce que vous savez si des enseignantes et enseignants s’en sont servi pour leurs cours ?

J’ai rencontré beaucoup d’enseignants et enseignantes quand le livre est sorti, des profs de français et d’histoire-géographie venus à des rencontres, qui m’ont dit que ça leur servait, au moins à titre personnel. Par exemple, beaucoup de profs de français n’avaient jamais entendu parler de Catherine Bernard ! Et il y avait aussi une demande d’adaptation pour les enfants.

Et comment avez-vous fait cette adaptation ?

J’avais envie de faire l’adaptation pour expliquer aux enfants qu’on a plaqué des repères du XIXe et du XXe siècle sur l’histoire. Et pour leur dire que la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin n’a pas toujours existé, et comment elle s’est construite. C’est un truc génial à leur raconter ! Et quand on leur explique le principe de l’accord de majorité ou de proximité, ils comprennent très bien.

Je pensais que ce serait facile et un peu ennuyeux à écrire. Ça s’est révélé compliqué et passionnant. Je ne voulais pas baisser mon seuil d’exigence pour la version jeunesse, mais il a fallu vraiment retravailler. Par exemple, sur le XIXe siècle, c’était impossible de ne pas parler d’IVG, et j’ai réalisé qu’il fallait que j’explique à des enfants et des ados ce que c’était qu’un avortement et pourquoi c’était quelque chose de positif pour les femmes, évoquer le droit à son propre corps…

Il fallait aussi trouver le bon ton. Écrire un livre ‒ et pour enseigner, j’imagine que c’est la même chose ‒ c’est une sorte de billard, un triangle. Il faut trouver la bonne distance entre moi, ceux à qui je m’adresse et le sujet, trouver comment aborder le sujet, avec quel ton et quelle distance, dans un équilibre entre sérieux et légèreté.

J’avais fait des interventions dans la classe de mon fils ainé, j’avais pu un peu évaluer, dans la manière dont je leur parlais, le ton et les mots employés, ce qui passait ou ne passait pas. J’avais aussi fait des interventions en Seine-Saint-Denis, en lycée, sur l’histoire des femmes, le sexisme, etc. J’avais vu là aussi ce qui passait et ne passait pas. Il y a bien sûr des questions de génération, parfois ils me regardaient comme si je venais du xixe siècle !

Et puis j’ai écrit et je lisais à haute voix pour moi-même, pour voir si c’était fluide ou complètement gnangnan. Ça s’entend très bien à l’oral !

Je craignais que ça ne corresponde pas au public recherché, mais j’ai eu déjà des retours positifs, notamment de professeurs documentalistes, disant que c’était tout à fait accessible à leurs élèves. Bon, j’imagine bien qu’on ne va pas m’écrire pour me dire que c’est complètement nul… Quoique, sur internet, c’est possible !

En plus, le livre jeunesse est très beau. C’est un vrai plaisir de voir ces images de femmes qui n’existent pas dans notre imaginaire, ça m’émeut et ça me fait du bien. On ne sait pas à quoi ressemblaient ces femmes, mais voir un dessin qui les représente, c’est déjà beaucoup pour construire l’imaginaire des enfants.

Propos recueillis par Cécile Blanchard

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