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Quel rôle pour les personnes-ressources ?

Dans le canton de Vaud, en Suisse, une réforme de grande ampleur pour intégrer l’éducation numérique à l’enseignement obligatoire a nécessité l’appui de personnes-ressources. Comment ont-elles été formées et comment ont-elles à leur tour accompagné les enseignants ? Récit d’une recherche menée auprès de ces personnes-ressources.

Personnes-ressources, référents numériques, PressMitic (personnes-ressources médias, images et technologies), etc. Mais qui sont ces personnes travaillant dans des dizaines d’écoles obligatoires en Suisse francophone ? Celles que l’on nomme personnes-ressources, selon la dénomination actuellement en vigueur dans la région administrative du canton de Vaud, sont des enseignants qui reçoivent un dégrèvement horaire pour accompagner leurs collègues dans le processus d’adoption de l’éducation numérique.

Ces personnes, jusqu’à il y a quelques années, recevaient une formation spécifique pour assumer ce rôle. Puis, cette formation a été interrompue jusqu’à ce que récemment, en Suisse et ailleurs, l’éducation numérique (re)devienne une priorité des systèmes scolaires.

Des réformes curriculaires, de plus ou moins grande envergure selon les pays ou les régions, le soutien politique et la disponibilité budgétaire ont vu le jour, notamment dans la région de notre étude : le canton de Vaud.

Une réforme à grande échelle

C’est dans le cadre de cette réforme à grande échelle que les personnes-ressources ont ressurgi, avec un rôle revisité, de nouvelles tâches et une nouvelle formation focalisée, initialement, sur l’éducation numérique.

Mandatée dès 2018 par le ministère de l’Éducation (département de la formation de la jeunesse et de la culture) et fruit d’une collaboration avec trois universités, la réforme vise à intégrer l’éducation numérique à tous les niveaux de l’enseignement obligatoire et concerne l’ensemble des 12 000 enseignants et 130 000 élèves faisant partie des degrés scolaires des cycles 1, 2, 3 (primaire et secondaire) et du postobligatoire (lycée) du canton de Vaud.

Afin de former rapidement ce nombre important d’enseignants et de pérenniser le projet, un modèle de formation en cascade a été choisi.

Le modèle de formation en cascade

Des spécialistes en éducation numérique (niveau 3) ont élaboré un programme puis formé une partie des enseignants (niveau 1), mais aussi des enseignants-formateurs (niveau 2) qui forment à leur tour les enseignants restants.

Les spécialistes forment également les personnes-ressources (niveau 2) qui interviennent de manière complémentaire à la formation proposée, au sein de leurs établissements, et accompagnent leurs pairs par diverses activités de développement professionnel.

Ce processus permet non seulement de former tout le corps enseignant dans les délais établis, mais également d’assurer la pérennité de cette réforme au travers des personnes-ressources qui continueront à proposer des activités de développement professionnel, une fois la réforme terminée.

Dans bien des cas, ce sont la formation insuffisante des enseignants, le manque d’adhésion au projet d’intégration des technologies dans les pratiques d’enseignement ou encore les coupes budgétaires qui ont raison de telles réformes.

Un facteur crucial pour le succès réside dans le développement professionnel du corps enseignant.

Les initiatives de perfectionnement professionnel sont efficaces lorsqu’elles prennent la forme de coaching-accompagnement, qu’elles sont continues dans le temps et intégrées à l’emploi, et qu’elles sont basées sur un partenariat non évaluatif entre les enseignants et la personne-ressource. On constate également l’impact positif de ces pratiques d’accompagnement sur l’efficacité des enseignants et sur les résultats scolaires des élèves.

Lynsey K. Gibbons et Paul Cobb1 ont identifié six activités de développement professionnel ayant potentiellement un impact sur les pratiques d’enseignement, dont quatre sont destinées à des groupes d’enseignants. Il s’agit de l’analyse de vidéos sur les pratiques enseignantes, d’activités portant spécifiquement sur les contenus de la discipline concernée, de l’analyse de traces d’élèves et des lesson studies. Deux activités sont destinées aux enseignants individuellement. Il s’agit du coenseignement et des démonstrations en classe où la personne-ressource agit en tant que role model (personne servant d’exemple de comportement positif) afin que l’enseignant puisse observer la nouvelle pratique.

Sondage auprès des personnes-ressources

Afin de savoir quelles étaient les connaissances en termes de méthodes d’accompagnement optimales et de leur fournir une formation qui réponde à leurs besoins réels et concrets, nous avons fait passer deux sondages à 48 personnes-ressources (sur un total de 64 assumant ce rôle en 2021) et en avons rencontré 38 dans des focus groups (groupes de discussion).

Les résultats nous ont montré que les personnes-ressources partaient avec peu de connaissances préalables des meilleures pratiques d’accompagnement. Par exemple, lors des activités de démonstration en classe, l’enseignant avait tendance à se placer en retrait et observer la personne-ressource passivement sans qu’une analyse des besoins soit prévue en amont (que souhaite-t-il observer et pourquoi?), sans grille pour guider son observation (comment est-ce que la personne-ressource s’y prend ?), sans retour prévu à la fin de l’activité de démonstration (qu’est-ce que l’enseignant a observé ? comment le mettre en pratique avec ses élèves ?) et sans forcément prévoir un moment pendant la démonstration, ou dans un deuxième temps, où l’enseignant serait actif et impliqué aussi dans la conduite de l’activité.

Dans certains cas, la personne-ressource menait une activité en classe avec les élèves, à la place de l’enseignant, pendant que ce dernier proposait une autre activité, non numérique, avec l’autre partie de la classe, n’observant donc pas la nouvelle pratique d’enseignement et pouvant difficilement en tirer un développement professionnel.

Toutefois, certaines personnes-ressources proposent des activités recommandées par Gibbons et Cobb. Il s’agit d’ateliers visant l’approfondissement de contenus en lien avec l’éducation numérique et du coenseignement.

Finalement, notre étude nous a permis de constater que les personnes-ressources ne proposaient pas encore d’activités de développement professionnel demandant un haut niveau d’engagement, telles que l’analyse de vidéo de pratiques enseignantes, l’analyse de traces d’élèves ou de productions numériques, ou encore la pratique des lesson studies pour produire, planifier et discuter ensemble des séquences d’enseignement impliquant le numérique.

Un cahier de missions clair

Afin de compléter notre bilan, et de fournir des recommandations au ministère de l’Éducation (qui définit leur cahier de mission), et à la direction de leur établissement (qui leur fournit le cadre de travail), nous avons demandé aux personnes-ressources pour quelle raison elles avaient décidé d’assumer cette fonction. Les résultats montrent qu’au-delà de l’intérêt pour le numérique (30 %) ou de contribuer à la réforme (12 %), celui d’accompagner les collègues (10 %) n’est pas prioritaire, tout comme le développement de nouvelles compétences (4 %), bien que ce rôle demande non seulement de renforcer les compétences numériques mais aussi de développer de nouvelles compétences en gestion d’équipe, en communication ou en formation d’adultes.

Ce résultat est à mettre en lien avec le manque de clarté et de visibilité de ce nouveau rôle pour les enseignants, les directions d’établissement et les personnes-ressources elles-mêmes qui rapportent avoir l’impression que leurs collègues « se demandent ce qu’elles fabriquent » ou encore qu’ils ne savent tout simplement pas ce qu’elles sont en mesure de leur proposer.

Grâce aux informations directement collectées auprès des personnes-ressources, nous avons pu constituer un panorama précis des problématiques qu’elles rencontrent, qui nous permet de mettre en place des moyens et des stratégies pour y palier et améliorer non seulement notre approche mais aussi œuvrer pour que leur contexte de travail soit optimal.

À partir de ces constatations, nous formulons les recommandations suivantes.

  • Les nouvelles tâches qu’endossent les personnes-ressources devraient être explicitées par un cahier de mission clair, connu et partagé par le ministère, les directions d’établissement, les personnes-ressources et les enseignants. Cela aurait comme effet direct de renforcer le sentiment de légitimité des personnes-ressources et faciliterait donc les interactions avec leurs collègues. Nous posons l’hypothèse que les enseignants les accepteront davantage en tant que spécialistes et agents de changement.
  • Les formateurs des personnes-ressources devraient les guider davantage dans la sélection des activités de développement professionnel potentiellement efficaces pour les enseignants, tout en les aidant aussi à développer d’autres compétences nécessaires pour la gestion d’équipe et pour améliorer la communication sur les activités mises en place et les objectifs.
Christiane Caneva
Coordinatrice de recherche à l’École polytechnique fédérale de Lausanne

Sur notre librairie :

N° 580 – Vers une éducation numérique
Coordonné par Sylvie Grau, Jean-Pierre Guédon et John Kingston

Un dossier pour explorer les mutations des apprentissages, des savoirs, des rapports au monde et des rapports humains en jeu dans l’enseignement par et au numérique. Quels savoirs et compétences pour un monde devenu numérique ? Comment éviter que l’école ne renforce la « machine à exclure » par sa mutation numérique ?

Notes
  1. Lynsey K. Gibbons et Paul Cobb, « Focusing on teacher learning opportunities to identify potentially productive coaching activities », Journal of teacher education, 68(4), 2017, p. 411–425.