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Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ?

Les productions diverses autour du métier d’enseignant foisonnent : citons parmi les plus récentes les travaux de la conférence de comparaisons internationales sur le développement professionnel des personnels d’éducation organisée par le Cnesco et le rapport de synthèse du Conseil scientifique de l’éducation nationale (CSEN), Quels professeurs au XXIe siècle ?

L’AFAE (Association française des acteurs de l’éducation) consacre le dernier dossier 2020 de sa revue à la question «Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ?»

Les vingt-quatre contributions qui le constituent – rédigées pour certaines avant le confinement – ne prennent que partiellement en compte la situation particulière liée à la pandémie. D’où l’annonce par la rédaction d’un numéro 169 qui proposera plus spécifiquement un regard sur les conséquences de la crise sanitaire sur l’école.

Ce dossier s’organise en quatre parties qui abordent successivement : une identité professionnelle en construction (1), des objectifs et valeurs (2), la diversité des pratiques (3), un métier de mise en relation (4).

«Soutenir» est un terme qui revient avec force dans une série d’articles (Dubet, Jellab, Thémines, Mary, Marsollier…), qu’il s’agisse de soutenir les élèves, de se soutenir au sein de collectifs de travail, d’être soutenus par les chefs d’établissement et les corps d’inspection, de bénéficier d’une formation et d’un cadre institutionnels soutenants. La dernière phrase de l’article de François Dubet en résume l’esprit en traçant ce qui devrait revenir à l’Institution : «Alors la politique devrait accompagner le changement, soutenir ceux qui bougent et dessinent ce qui sera demain leur métier et la nature de l’institution».

Plusieurs articles sont consacrés aux apports des sciences cognitives et aux conditions nécessaires pour qu’elles irriguent les pratiques enseignantes.

Au fil de la lecture, quelques éléments de réponse à la question «Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui ?» se laissent entrevoir avec prudence – complexité et contexte mouvant obligent. Comme le rappellent de façon lumineuse, chacun à sa manière, François Dubet et Anne Barrère, le travail enseignant est à la fois un métier, l’accomplissement d’un rôle et la mise à l’épreuve d’une personnalité. Mise à l’épreuve qui se vit dans un contexte donné et ne peut se résoudre par l’exécution pure et simple de supposées «bonnes pratiques» dictées de l’extérieur. D’où l’importance, comme le rappelle Catherine Mary, proviseure, de créer des dynamiques collectives et durables de développement professionnel en établissement scolaire. Plusieurs articles insistent sur le rôle central de l’établissement dans un contexte d’affaiblissement du pouvoir central. «On pourrait imaginer – écrit Dubet – que les établissements fonctionnent comme des institutions éducatives et pas seulement comme des échelons hiérarchiques». Ce qui suppose – comme le rappellent Olivier Maulini et Manuel Perrenoud – «un corps professionnel soucieux et capable de revendiquer sa vision des faits» pour «au bout du compte, s’autocontrôler en faisant de son travail sa spécialité».

Et – puisque ce dossier est dédié à la mémoire de Samuel Paty – signalons l’article très éclairant de Benoît Falaize sur un enseignement de l’histoire vu comme la mise à disposition de savoirs au service de valeurs.

Comme le rappellent les coordonnateurs dès l’édito, «l’acte d’enseigner n’est pas neutre, il porte des objectifs et des valeurs». C’est bien ce qui traverse le dossier et en fait l’intérêt. Ce qui n’est pas sans poser des questions à la recherche et à la tendance actuelle à promouvoir les pratiques scientifiquement fondées. En effet, si les recherches sur l’éducation abondent, celles sur la question politique sont rares : quelles valeurs (ou contrevaleurs) sont développées par tel environnement éducatif, par tel dispositif pédagogique… et donc finalement par tel système éducatif ?

De nombreux exemples (des Cardie, de l’IFE, entre autres) laissent entrevoir que la fécondation des pratiques par la recherche passe par des collaborations locales et contextualisées entre collectifs de praticiens et laboratoires de recherche où se croisent preuves fondées sur la pratique (practice-based evidence) et pratiques basées sur les preuves (evidence-based practice) dans des logiques d’intelligence collaborative qui évitent les positions de surplomb.

La lecture du n° 85 de la revue du Centre Sèvres, qui sort en même temps que celle de l’AFAE, sur la recherche en éducation peut utilement compléter celle de ce dossier. Voir notamment la forte introduction de Jean-Marie De Ketele.

Nicole Priou